lundi 30 septembre 2024

Les Percussions à Musica: RuptuR avec Caravaggio - une Odyssée entre jazz, rock et percussions

 Depuis quelques années déjà, les Percussions de Strasbourg élargissent les limites de leur répertoire. La musique contemporaine de leurs débuts en 1962 a un âge vénérable et, bien que de nombreux compositeurs ont innové en leur écrivant des pièces novatrices, dans une nouvelle ère, un nouvel air a soufflé sur l'ensemble qui est devenu plus souple. Par exemple plus de sacro-sainte formation avec les six musiciens et ils ont mis en place des collaborations dans de nombreux domaines, que ce soit avec des musiciens hors de leur milieu habituel. Et des techniques, processus ou genres nouveaux ont ouvert de nouveaux horizon. 

Pour ce concert dans le cadre du Festival Musica, dans leur fief à Hautepierre (une représentation aura lieu le 4 octobre Metz à l'Arsenal - et un autre programme Ryoji Ikeda + Philip Glass le lendemain), ils se sont associés au groupe Caravaggio qui rassemble, depuis 2004 deux musiciens contemporains Benjamin de la Fuente violon (qui joue du violon et de la guitare ténor électrique) et Samuel Sighicelli (qui joue du synthétiseur et du sampler) et deux musiciens de jazz, Bruno Chevillon à la basse et Éric Echampard à la batterie. Ils se retrouvent avec trois Percussionnistes Théo His-Mahier, Emil Kuyumcuyan et Lou Renaud-Bailly pour cette composition Ruptur

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker


C'est un long voyage plein d'énergie et de fusion, mélange de pop, de percussions, de distorsions, de rythmes endiablés. Les lignes de basse alternent avec des nappes de synthés. Le violon de temps en temps lance ses notes plaintives, les percussions se font légères puis de grosses cloches résonnent et l'on part sur une séquence emphatique, on se croirait dans une grande odyssée de l'espace qui s'achève dans un acmé spectaculaire. 

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

Puis nous repartons pour un solo de guitare qui se continue par une batterie nerveuse et des percussions. Les changements de rythme sont continuels, cela explose de temps en temps. 

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

La basse reprend, égrenant quelques notes les nappes s'envolent, s'enroulent, la tension monte, se répand, tous les interprètes s'unissent dans une implications totale qui monte dans une vague finale qui, doucement s'éteint. 

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker

C'était une prestation magnifique, puissante, originale, cette partition entre plusieurs univers, mixant les percussions dans toute leur finesse et leur variété, l'énergie de la pop et l'inventivité du jazz libre et pourtant noté dans une partition dont ne peux qu'admirer encore la performance de tou.te.s les musicien.ne.s. Une sacrée soirée bourrée d'énergie.

Festival Musica 2024 - Percussions de Strasbourg - Caravaggio - Photo: Robert Becker


La Fleur du Dimanche

dimanche 29 septembre 2024

Un dimanche à Musica: De Sarhan à Schoenberg, du Log Book au Quatuor - un jour parfait

 D'un dimanche à l'autre, Musica continue mais ne se resemble pas. Après les 36 variations sous le soleil des Peuples Unis, nous plongeons dans un Journal de bord musical pour terminer autour de la forme parfaite du quatuor pas rond.


Log Book de François Sarhan avec Zafraan Ensemble


Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

La journée commence comme il se doit avec un petit déjeuner, café, croissants, pains au chocolat, délicieux jus de fruits pour être en forme, mais surtout un voyage dans le temps avec le "journal sonore" de François Sarhan qu'il tient depuis 2019. Ce projet original, fait de notes (musicales), de notes (sonores), de notes (écrite), de notes (vidéo) et de cartes (météo) et de cartes (à jouer) se concrétise aujourd'hui dans le cadre du Festival Musica dans la salle de la Bourse sous la forme d'un concert avec l'Ensemble Zafraan dans lequel on va lentement suivre le temps de date en date, de note en note depuis le début jusqu'à aujourd'hui. 

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

En fait, ce Log book peut prendre plusieurs formes, les deux principales - publiques - étant ce concert de quatre heures à entrée et sortie variable et un jeu de cartes composé de 80 cartes illustrées de dessins qu'il a réalisées et sur le dos desquelles se trouve un QR code qui renvoie sur le contenu du journal correspondant à la carte. Les quatre-vingt cartes ne sont pas toutes jouées pendant le concert, et à priori le Log Book ne s'arrête pas encore. Les différentes dates de ce journal - jours où il y a eu création sont composées de manière variable, mais il y a des éléments qui se retrouvent régulièrement, comme un journal "enregistré" qui commente avec ironie l'actualité, des montages sonores sur la thématique du temps "A propos du temps", collage sonore curieux, des moments musicaux interprété par les musiciens de l'ensemble Zafraan, cet ensemble berlinois que nous avons également vu avec la pièce de Rimini Protokol All Right. Good Night. 

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker


Ici se sont Martin Posegga au saxophone, Emmanuelle Bernard au violon, Josa Gerhard à l'alto, Jakob Krupp à la contrebasse, Clemens Hund-Göschel au synthétiseur et Daniel Eichholz aux percussions et à la batterie qui nous interprètent ces voyages et notations musicales originales. Avec ou sans le commentaire de François Sahran se ses réflexion ou ses élucubrations surréalistes ou ironiques. Quelques repères reviennent de temps en temps comme la "Météo Marine"; les anniversaires (le 30 septembre), les progrès sonores de "Lilou", et les images de voyage (Prague,..) des expérimentations sonores (le son du corps, film assez drolatique), les rêves, et des essais pour ouvrir un cadena à chiffre sont la réussite marque la fin provisoire du Log Book, qui bien sûr continue encore avec des réflexions sur la musique jusqu'au couperet final: "Tu dois apprendre à fermer tes oreilles". Le Log book se déguste bien en petit déjeuner qui dure jusqu'au déjeuner, le mariage texte et musique touve un bon équilibre et l'on sent une réelle complicité avec l'Ensemble Zafraan. Leur musique qui pourrait presqu'être du free jazz assure une bonne dynamique, surtout avec Daniel Eicholz à la batterie. Un bon début de journée.

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Ensemble Zafraan - Log Book - Photo: Robert Becker



Le Film Arnold Schönberg l'inlassable visionnaire 

La journée continue à la Cité de la Musique et de la Danse pour une avant-première proposée par Arte du film d'Andreas Morel Arnold Schönberg l'inlassable visionnaire - der rastlose Visionär qui sera diffusé à l'antenne le 7 octobre à 00h10 pour les insomniaques. Le film nous fait découvrir sa vie (à 8 ans il faisant du violon et composait des pastiches de pièces classiques), ses deux femmes (la trahison de la première qui aurait influé l'écriture du Quatuor à corde N°2) ses 5 enfants dont on en voit trois qui témoignent dans le film et son petit film qui s'occupe de son oeuvre. On y voit bien sûr des témoignages de professionnels, musiciens, chefs d'orchestre, archivistes et ses influences (Richard Wagner et Richard Strauss) ainsi que son évolution musicale vers le dodécaphonisme ainsi que son influence sur les élèves qu'il a eu Alban Berg, Anton Webern. On y découvre aussi son travail pictural et les nombreux dessins, tableaux et autoportrait qu'il a réalisé à côté de la musique. Et bien sûr des extraits de ses pièces dans un dispositif original. Le comédien et chanteur Dominique Horwitz, fantôme ou réincarnation de Schönberg nous guide dans un parcours sur les traces du compositeur et nous déclame ses lettres et pensées. L'occasion pour les 150 ans de cet auteur né un 13 septembre et mort un 13 juillet (il était superstitieux) de connaitre un peu mieux sa vie, son oeuvre. 



Arnold Schönberg visionnaire - Quatuor  Diotima


Festival Musica 2024 - François Sarhan - Quatuor Diotima - Photo: Robert Becker

Changement de plateau et en avant pour le concert autour de Schönberg et du quatuor. C'est le Quatuor Diotima avec, au violon Yun-Peng Zhao,et Léo Marillier, à l'alto Franck Chevalier et au violoncelle Alexis Descharmes qui démarrent avec le Quatuor N°1 "Bobok" (2002) de François Sarhan qu'on ne quitte décidemment pas. Son quatuor fait référence à la nouvelle de Dostoïevski, une conversation entre les morts. 

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Quatuor Diotima - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - François Sarhan - Quatuor Diotima - Photo: Robert Becker



La pièce commence doucement avec des trajectoire individuelles et des variations pizzicato puis une petite danse en trille, des glissements, accélérations, ralentis qui de temps en temps se rejoignent. Le toucher est délicat, lessons presque chuchotés, une mélodie tente d'émerger puis nous partons dans un mouvement crescendo et une envolée. Puis l'on repart dans la légèreté avec un arrêt brutal, final.

Festival Musica 2024 - Helmut Lachenman - Quatuor Diotima - Photo: Robert Becker

Suit le 3ème Quatuor à cordes "Grido" (2001) d'Helmut Lachenmann qui nous emmène dans un monde de cordes frotées presqu'en silence, par petites touches, avec des notes presqu'imperceptibles, une poésie du silence, en quelque sorte. Des vibrations hyper discrètes, comme une de ces peintures preque blanche de Cy Twombly et des sons qui semblent joués à 'envers. Tout à coup les cordes vibrent, crissent, grincent et un rythme qui essaie de s'installer puis l'évaporation du son avant un crissement final. Magnifique ode au silence.


Festival Musica 2024 - Arnold Schönberg - Quatuor Diotima - Photo: Robert Becker


 Nous terminons avec le Quatuor à cordes N° 2 d'Arnold Schönberg. Il démarre de manière plutôt classique et les instruments se répondent et reprennent la mélodie avec un certain lyrisme. Le violoncelle pose sa base. Le deuxième mouvement est un peu plus balancé et c'est là que l'on peut entendre la citation de la chanson populaire "Oh du Lieber Augustin" qui se transforme. Elle peut signifier le désarroi de Schoenberg suite à la trahison de sa femme et de son meilleur ami, tout comme la vison de l'avenir de sa musique qui commence à changer, amenant le sérialisme et le dodécaphonisme - et la réception houleuse que lui en fera la public de l'époque. Dans le troisième mouvement qui démarre lentement apparaît le chant. 

Festival Musica 2024 - Arnold Schönberg - Quatuor Diotima - Axelle Fanyo - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Arnold Schönberg - Quatuor Diotima - Axelle Fanyo - Photo: Robert Becker

C'est la soprano Axelle Fanyo qui interprète avec puissance un poème Stefan George, également dans le quatrième mouvement. Celui-ci joue aussi sur la lenteur et la délicatesse, la mélodie tourne et se cherche, se répète, avec quelques pizzicatos, puis enfle et arrive doucement le chant, avec ce poème qui dit:

"Je sens l'air d'une autre planète

Dans le noir, pâlissent les visages

Qui jusqu'alors s'étaient tournés vers moi"

Festival Musica 2024 - Arnold Schönberg - Quatuor Diotima - Axelle Fanyo - Photo: Robert Becker

La pièce se termine en douces et lentes répétions des airs qui doucement s'envolent. Un très beau moment, qui sera dédié à Rohan de Saram, membre du Quatuor Arditi dont l'annonce du décès s'est faite ce jour.


La Fleur du Dimanche

samedi 28 septembre 2024

Deuxième samedi à Musica: des expériences et des voyages dans Sirius et au Havre de Grace - ça oscille ça aussi

 Samedi au Festival Musica ça balance. Déjà de bon matin cela oscille entre concert et conférence scientifique à la Pokop.


La Prédiction des oscillations

Le chercheur Daniele Schön, également violoncelliste joue deux rôle, celui de musicien chargé de cours, il interprète la musique composée par Benjamin Dupé également maitre de cérémonie qui joue également sa partie électronique et concepteur de ce moment, balançant entre concert et expérience scientifique .

Musica - Pokop - Daniele Schön - Benjamin Dupé - Prédiction des oscillations - Photo: Robert Becker

Il y est question de recherche sur le son et les spectateurs, quelquefois seul, mais aussi à trois ou quatre et même la salle coupée en deux, se retrouvent acteurs expérimentateurs de l'événement. 

Musica - Pokop - Daniele Schön - Benjamin Dupé - Prédiction des oscillations - Photo: Robert Becker

Structuré en 5 chapitres qui décrivent des résultats de recherche via des exemples musicaux prouvant que le cerveau n'est pas une machine à calculer, et n'est donc pas qu'un ordinateur, mais un objet encore inconnu. 

Musica - Pokop - Daniele Schön - Benjamin Dupé - Prédiction des oscillations - Photo: Robert Becker

Les objets musicaux non plus - par exemple un métronome ne calcule pas la fréquence lorsqu'il se cale, au bout d'un certain temps sur la même fréquence qu'un autre - phénomène qu'on appelle "sympathie" et qu'Huyghens a découvert en 1665 sans en connaître la raison et qui n'a été expliqué qu'en 2015 fait appel à la théorie du chaos. 

Musica - Pokop - Daniele Schön - Benjamin Dupé - Prédiction des oscillations - Photo: Robert Becker

Musica - Pokop - Daniele Schön - Benjamin Dupé - Prédiction des oscillations - Photo: Robert Becker

On y découvre aussi la tâche de Stroop que trois percussionnistes démontrent en direct ou encore la transmission générationnelle (une genre de téléphone arabe musical), le neurone miroir (qui nous pousse à mimétiser notre vis-à-vis) ou la théorie des avalanches, tout cela en musique et avec humour et où pour une fois nous n'étions pas des rats de laboratoire. Un concert qui nous rend plus intelligent !


Sirius, le concert intergalactique de Karlheinz

Le trajet musical de Karlheinz Stockhausen, qui avait démarré par des oeuvres vocales, va de la musique sérielle suite à sa découverte de Messian à la musique concrète puis électronique après et son séjour à Paris et sa collaboration ave Pierre Schaeffer, puis de la musique aléatoire. Il compose par exemple les Hymnen puis verse dans la philosophie indoue et compose Mantra qui revient vers la notation classique. Son gros chantier sera Licht son chantier de 1977 à 2004 et dont Sirius porte l'esprit.

Musica - Palais des Fêtes - Sirius - Karlheinz Stockhausen - Photo: Robert Becker

La pièce Sirius (1975-1977) est constituée de musique électronique - des bruits d'atterrissage de vaisseaux spatiaux au début - et qui repartent à la fin - et de deux chanteurs - la soprano Sophia Körber et la basse Damien Pass et une clarinettiste basse Johanna Stephens-Janning et Paul Hubner à la trompette. Les interprètes sont placés au Nord, la basse, à l'Est, la trompette, au Sud, la soprano et à l'Ouest, la clarinettiste. 

Musica - Palais des Fêtes - Sirius - Karlheinz Stockhausen - Photo: Robert Becker

Le dispositif est exactement la conception de cette pièce, Space Opéra de chambre qui commence par la présentation par la basse du dispositif, symbolisant à la fois les points cardinaux, les instruments, les quatre éléments, les saisons, sexes ('homme, l'adolescent, la femme et l'ami ou l'aimée), le moments de la journée et les étapes de la croissance. 

Musica - Palais des Fêtes - Sirius - Karlheinz Stockhausen - Photo: Robert Becker

La conception du livret, un peu mystique, suit ces catégories puis continue avec la roue des mois, les douze de l'année , les heures et les signes du Zodiaque pour arriver à l'Annonciation ou il est dit: "Je Me suis choisi, dans le Grand Homme de la Création, ce cocon cosmique, et à l'intérieur de ce cocon, la région de l'univers don Sirius est le soleil central." Rappelons que Stockhausen a affirm": "Tout le monde trouve cela tellement stupide que je dois insister pour que l'on me croie. Je me suis formé sur Sirius et je veux y retourner bien que je vive actuellement à Kürten, près de Cologne.

Musica - Palais des Fêtes - Sirius - Karlheinz Stockhausen - Photo: Robert Becker

Par contre ce que l'on peut dire c'est que musicalement cette pièce est magnifique et que la Basse, Damien Pass est fantastique et sa voix est exceptionnelle, tout comme la soprano, Sophia Körber qui a une tessiture exceptionnelle et une très belle voix. Les instrumentistes ne sont pas en reste, la clarinettiste Johanna Stephens-Janning est impeccable et Paul Hubner a un puissance exceptionnel et sait tenir en souffle continu une durée incroyable de ses airs de trompette. 

Musica - Palais des Fêtes - Sirius - Karlheinz Stockhausen - Photo: Robert Becker

La partie électronique, même si elle n'a pas la sophistication des composition actuelles, fonctionne très bien avec les voix et le concert est d'une exceptionnel qualité. Si ce n'est le message sous-jacent, le spectacle est totalement réussi et il ne faut pas oublier les costumes des interprètes, à la fois très simples avec de belles couleurs primaires, gris, rouge, bleu, jaune et de très beaux tissus plissés, valorisés par un éclairage en contre plongée qui projettent leur ombre en double sur les fonds noirs. Un très beau moment.


Moor Mother avec Havre de Grace to Le Havre


Musica - Saint Paul - Moor Mother - Photo: Robert Becker

La soirée continue à l’église Saint Paul, lieu central du Festival Musica cette année. C’est Moor Mother l’artiste etasunienne engagée qui nous propose Havre De Grace to Le Havre, une performance qu’elle parle, performe et chante accompagnée par Simon Sieger aux percussions, à la flûte et à l’orgue et par Aquiles Navarro à la trompette. 

Musica - Saint Paul - Moor Mother - Photo: Robert Becker

Le Chœur LGBT+ alsacien Pelicanto arrive sur scène en chantonnant, les membres habillés en noir. Iels l’accompagnent en sourdine, les musiciens avec leurs instruments et moultes cloches et crotales. S’élèvent des chants d’église puis des cris de joie suivi d’un superbe solo de trompette d’Aquiles Navarro. Moor Mother continue dans un magnifique solo où il est question de religion. Simon Sieger fait une escapade à l’orgue et Moor Mother continue ses chants, parlant de « disaster », en Anglais (une traduction de ses textes sûrement très poétiques et intéressants aurait été bienvenu. 

Musica - Saint Paul - Moor Mother - Photo: Robert Becker

Sur son orgue, Simon Sieger nous offre une belle série de variations dans les aigus suivi d’une séquence grave tout aussi appréciée pour aller encore plus haut dans presque l’indiscernable pour finir. Aquiles Navarro s’empare d’une conque dans laquelle il souffle, Simon revient pour une improvisation débridée de cris et d’éructations et de râles pas forcément réussis tandis que Moor Mother se lâche en improvisations stridentes en sons électroniques nerveux. Cela se conclut par « The sound of us… ». 

Musica - Saint Paul - Moor Mother - Photo: Robert Becker

Un bel accompagnement, un belle voix, un texte qui semble bien écrit de cette poète engagée dont on aurait aimé toucher de plus près la beauté. Mais le son et la musique nous ont touché, c’est l’essentiel. Et la soirée, programmée par des spectateurs de Musica a eu un très beau succès de fréquentation. 

Musica - Saint Paul - Moor Mother - Photo: Robert Becker


La Fleur du Dimanche

vendredi 27 septembre 2024

Musica au Maillon: The Source et All Right. Good Night: Le récit, la réalité et la musique: Mystère!

 Comment la réalité peut-elle faire spectacle? Comment peut-elle nous toucher voire nous révolter? Nous émouvoir? Changer le monde? Ce pourrait être le questionnement sous-jacent aux deux spectacles du Festival Musica présentés avec et accueillis au Maillon, The Source de Ted Hearne et All Rihgt. Good Night de Helgard Haug, se basant tous les deux sur des faits d'actualité mais dont le résultat diffère sensiblement.


Musica - Maillon - The Source - Ted Hearne - Photo: Paula Court


Ted Hearne que nous avions vu lors du précédent Festival avec Place également au Maillon revient ici dans cette pièce The Source mise en scène par Daniel Fish sur le personnage de Chelsea Manning (Braldley Manning, personne transgenre qui a fait sa transition en prison) à l'origine de la fuite de documents secrets de l'armée américaine vers Wikileaks fondé par Julien Assange. Le dispositif du spectacle est totalement immersif, les spectateurs se retrouvent face à face, de biais par rapport à quatre très grands écrans dont l'un est devant la scène où joue l'orchestre avec Nathan Koci à la direction et aux clavier, María Muñoz Lopez au violon, Marion Abeilhou à l'alto, Antoine Martynciow au violoncelle, Taylor Levine à la guitare, Greg Chudzik à la basse électrique, Ron Wiltrout à la batterie et Rohan Chander à l'électronique. 


Musica - Maillon - The Source - Ted Hearne - Photo: Paula Court

L'orchestre accompagne à merveille dans cet oratorio moderne les voix souvent autotunées d'Eliza Bagg (dont on a pu apprécier la qualité vocale lors de son concert solo sous le nom de Lisel Patterns...), Mikaela Bennett, Isaiah Robinson et Jonathan Woody. Les deux chanteuses et les deux chanteurs sont assis dans la salle au milieu du public, on ne les voit presque pas (au début on ne les éclaire pas). Leurs voix sont magnifiques, en particulier les voix masculines à large tessiture et l'un à la voix labile. La musique varie de la pop au soul, au groove et au contemporain, avec quelques emprunts à la variété. Elle nous emporte quelquefois dans une débauche de grande puissance et aussi pour des moments beaucoup plus calmes ou introspectifs avec entre autre un très bel air joué au violon. 


Musica - Maillon - The Source - Ted Hearne - Photo: Robert Becker

Les musiciens sont tous impeccables et l'équilibre orchestre et voix nous accompagne sur ce chemin tortueux de révélations d'exactions presqu'innommables qui sont chantées et dont quelques-unes sont affichées à l'écran. Nous suivons ce récit, essentiellement des rapports sur des morts (de militaires ou de civils), des questionnements de la personne qui commente des images que l'on ne voit pas (par exemple de tirs sur une jeep juste parce que le soleil se reflétait sur le pare-brise, des essais d'identifications de signes suspects dans l'image - des signaux de fumées, un cerf-volant, des pigeons lâchés), mais surtout des listes de morts ou de cadavres découverts - et quelquefois des extraits de la vie de Chelsea Manning qui dit avoir su lire à trois ans, qui a joué à Sim City dès la sortie du jeu vidéo (en remplissant le monde de zéros) et qui dit qu'elle a l'allure d'un homme mais que ce "n'est pas moi", qu'elle est "un fantôme". 


Musica - Maillon - The Source - Ted Hearne - Photo: Robert Becker

Les textes sont en surimpression sur les écrans sur lesquels sont projetés en gros plans des visages d'hommes et de femmes - on imagine des Américaines et des Américains lambda - qui semblent nous regarder. Ils ont quelquefois l'air triste, en tout cas soucieux ou attentifs. Et on se sent observé par eux qui nous dominent du haut de l'écran. De temps en temps l'image change, un visage passe d'un écran à l'autre et vers la fin il y a deux visages par écran. On se demande ce qu'ils regardent, on identifie un reflet sur des lunettes et on se dit qu'ils regardent ce qui est décrit et l'on se prend d'empathie pour eux. L'empathie se transforme en choc quand, après un nouveau défilé rapide de ces quelques quatre-vingt visages, ces individus laissent la place à l'innommable, peut-être à ce qu'ils ont vu. C'est la vidéo appelée "Collateral Murder" et qui nous montre l'attaque de deux hélicoptères de l'armée américaine à l'est de Bagdad le 12 juillet 2007 et qui a tué des civils, en particulier deux journalistes, correspondants de Reuters. Le spectacle nous met en situation de témoin, après nous avoir mis un écran entre nous et la réalité décrite, réalité cachée mais révélée par des lanceurs d'alerte qui ont été emprisonnés. Et ainsi, devenons nous-même responsables et juges de ces actions. Une position inconfortable que le spectacle nous assigne en toute conscience et force.



Musica - Maillon - All Right Good Night - Helgard Haug - Photo: Merlin Nadj-Torma


Avec le mystérieux titre annonce All right. Good night de Helgar Haug, membre de Rimini Protokol, on s'attend également à être placé en position instable de spectateur qui se pose des questions sur sa place, le point de vue sur le monde, un regard critique. Le double sujet de la pièce, qui touche chacun de nous, creuse en nous une attente. D'une part la disparition d'un avion dont le mystère s'épaissit de jour en jour, a en son temps titillé la curiosité de la plupart de nos concitoyens. Un avion en lui-même et ce qui peut lui arriver fait toujours l'objet d'une couverture presse très large, non que la mort ou la disparitions d'êtres humains ne soit pas l'objet de compassion, et que l'on pense bien sûr aux familles dans le deuil (en Alsace, qui ne connait de près des personnes touchées), mais un accident de voiture est certes moins spectaculaire et la disparition de personnes ou encore les naufrages en Méditerranée ou dans la Manche ou l'attaque par des rebelles d'un pétrolier en Mer Rouge qui pourrait provoquer une terrible catastrophe écologique font moins parler d'eux.Le sujet devrait être intéressant encore faut-il  savoir ce qu'on en fait. De même le parallèle avec la dégénérescence due, entre autre à l'âge du père de l'autrice et l'évolution de cette démence sénile nous touche aussi au plus près. C'est LE sujet de l'époque et il est appelé à se développer. Chacun peut craindre d'en subir les dégâts un jour. Si l'on ne l'a pas encore vécu, cela peut bien sûr être intéressant d'en connaître davantage. 


Musica - Maillon - All Right Good Night - Helgard Haug - Photo: Merlin Nadj-Torma


Le texte est très intéressant, bien écrit, Au début on accroche. Le parallèle entre l'histoire de cet avion dont on cherche des traces par tous les moyens, sur les écrans radar, dans les images de vidéo surveillance, dans la mer et sur les plages où échouent des débris et ce père dont la mémoire, les souvenirs, la sociabilité disparait au fur et à mesure de ce récit qui se déroule sur 8 ans semble une bonne idée. Mais huit ans, c'est long et en faire deux heures de spectacle sur cette trame est un exercice périlleux. Le spectacle, avec ces hypothèses qui chacune se révèle, à priori fausse et n'aboutit qu'à rendre ridicule ceux, parents des survivants, qui continuent inlassablement à demander "avez-vous du nouveau?", quand tout se vide, même le sujet, n'est pas forcément une bonne idée, en tout cas, le risque de lasser le spectateur est grand. Cela a donné un livre, primé, où l'on peut retrouver rassemblé ce qu'on sait, de l'avion et du parcours d'un père malade dont le premier signe est d'envoyer quatre lettres d'anniversaire à son neveu. Cela a donné un podcast également primé et curieusement la pièce elle-même a été élue "Meilleure production 2022" par la critique de Theater Heute. Qu'est-ce qui fait alors que l'on ne rentre pas dans cette pièce, que l'on ne passe pas l'écran sur lequel le texte défile devant nous comme sur un prompteur, même si on y mêle quelques effets spéciaux et graphismes originaux. Un performeur (Johannes Benecke) et une performeuse (Mia Rainprechter qui dit aussi une partie du texte en plus des autres voix off)) animent la scène et transportent des accessoires.   Comment se fait-il que la musique, au demeurant de bonne qualité et jouée par l'ensemble Zafraan avec énergie (Evi Filippou à la batterie et au vibraphone, Mathias Badczong à la clarinette, Josa Gerhard au violon, Marin Possega au saxophone et Jacob Krupp à la contrebasse) sur une composition de Barbara Morgenstern qui varie du classique au free jazz avec un plaisir partagé ne semble être là que pour servir d'interlude et les musiciens de figurants désoeuvrés - ou de techniciens de plateau fatigués - même si certaines scènes sont originales, par exemple l'arrivée du sable de la plage. 


Musica - Maillon - All Right Good Night - Helgard Haug - Photo: Merlin Nadj-Torma


Mais tout cela ne semble que servir à nous rendre conscient de notre impuissance à maîtriser le temps qui file - huit ans résumés en deux heures quinze, ce n'est presque plus un résumé, surtout avec la distillation - voire la sublimation des informations événements et souvenirs. Certains spectateurs ont peut-être découvert ce que peut l'information - ou les fake news - sur la vie de nos contemporains et ce que nous réserve possiblement notre avenir en terme de santé mentale 'le tableau", résumé en quelques moments clés est bien décrit, mais nous aurions aimé ne pas rester spectateurs impuissants et prisonniers d'un dispositif un peu trop contraint. 

Bonne idée nuit!


Musica - Maillon - All Right Good Night - Helgard Haug - Photo: Robert Becker

La Fleur du Dimanche

jeudi 26 septembre 2024

A Musica Christian Marclay et Geneviève Murphy: du souffle, des vagues, des cordes et stridence qui nous emporte

 Si l'on a vu l'exposition consacrée à Christian Marclay à Beaubourg au Centre Pompidou en 2022-2023 on sait que pour lui la musique et le disque, entre autres, sont des matériaux artistiques, assemblages, collages soit visuels soit sonores - et que ses vidéos interrogent les rythmes et le temps ("The clock", film de 24 heures où l'heure est en temps réel inscrite dans le film de montage de milliers d'autres extraits de films, et qui lui a valu le Lion d'Or à la 54ème Biennale de Venise en 2001. Son travail étant exploration, ce n'est pas surprenant qu'il collabore avec Onceim, cet orchestre ouvert à des échanges artistiques innovants. D'ailleurs Geneviève Murphy était aussi complice sur ce voyage lors de cette soirée Musica en deux étapes qui se déroule encore à Saint Paul.

Festival Musica 2024 - Christian Marclay - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Christian Marclay - Photo: Robert Becker


 Et donc Christian Marclay, aimant les assemblages, nous propose un assemblage d'étoiles avec cette création Constellation: Souffles qui s'essoufflent, cordes qui s'élancent, les vents dans le grave et l'accordéon dans les stridences, cela commence comme une tempête solaire. Un saxophone larmoie et toute cette joyeuse compagnie des musiciens de l'Onceim se met en route avec énergie. Arrive une mélodie douce, suivie de grondements. Des accents de free jazz se font entendre, et à nouveau une mélodie douce et les souffles reviennent. 

Festival Musica 2024 - Christian Marclay - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Christian Marclay - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Christian Marclay - Photo: Robert Becker


Alternance des cordes, avec un air martial et toute la puissance des cuivres et le piano qui écrase. La pièce change tout le temps, nous avons à nouveau une mélodie qui flotte, bruisse puis s'énerve et explose. A nouveau les souffles, les respirs s'installent et peu à peu ralentissent et s'éteignent très doucement. Une belle expérience de perception.


Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker

Genevieve Murphy, elle, change carrément les règles du jeu du concert avec sa pièce Together we feel and alone we experience. Elle se positionne à côté du chef Frédéric Blondy et, en toute sympathie donne le souffle de départ à sa cornemuse qui se remplit, extirpe quelques sons auxquels répond la guitare au loin. Le silence se fait et l'on entend l'accordéon souffler également. Les cordes se mettent à crisser quelques notes aigues. 


Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker


Genevieve Murphy a quitté le devant de la scène et s'est fondue dans l'obscurité au milieu du public. La guitare égrène ses notes en intro, les cordes bruissent, les clarinettes jouent en l'air. Tout monte en volume et en stridence puis s'arrête sec. 

Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker


Une courte mélodie entêtante au violon et au piano accompagnée de percussions, tourne un peu puis est reprise par les autres puis seule par l'accordéon. Un bruit comme une fusée qui décolle se déclenche et l'orchestre tout entier joue de plus en plus fort puis s'arrête net. 

Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker


Genevieve Murphy joue seule dans le noir au milieu du public, puis à nouveau l'orchestre alterne. Et le souffle, ce souffle de vie pour finir.

Festival Musica 2024 - Genevieve Murphy - Photo: Robert Becker


La Fleur du Dimanche