Ce Monodrame lyrique Le Journal d'Hélène Berr trouve son origine dans une double rencontre, d'une part la volonté d'Hubert Dutreil du Quatuor Bela de commander une oeuvre à Bernard Foccroulle et d'autre part la découverte par ce dernier du Journal d'Hélène Berr. Au départ interprète et compositeur pour l'orgue, il élargit sa palette à d'autres formations et à des pièces instrumentales et vocales et assure également la direction générale du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles et celle du Festival d'Aix en Provence.
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Le journal d'Hélène Berr - Bernard Foccroulle - Photo: Klara Beck |
La lecture du Journal d'Hélène Berr a été un choc pour lui. Ce texte que la jeune femme, encore étudiante fait débuter à ses 21 ans (les écrits antérieurs ont disparu) raconte des événements qui lui sont arrivés entre le 7 avril 1942 et le 15 février 1944 et sont un témoignage rare de l'intérieur concernant la vie d'une jeune femme juive dans le Paris occupé avec l'escalade de la répression par les nazis, les persécutions, les arrestations et les déportations vécues par un témoin, actrice aux premières loges. Nous y trouvons ainsi les descriptions des sentiments propres à cette jeune fille, autant en relation avec cette situation et les questions, les réflexions et prises de position qu'elle fait naitre, que des éléments de sa vie amoureuse, entre la fin d'une relation et la naissance d'une autre. C'est d'ailleurs sûrement ce qui nous vaut d'avoir accès à ce texte, qu'elle a dédiée à Jean Morawiecki qu'elle rencontre pour la première fois le 27 avril 1942.
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Le journal d'Hélène Berr - Bernard Foccroulle - Photo: Klara Beck |
Le fait de commencer son journal vingt jours avant met celui-ci sous les auspices de la poésie, étant donné qu'il débute par une visite chez Paul Valéry pour y récupérer "son" livre avec cette dédicace "Au réveil, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant". Sous ces auspices, le texte de ce journal passe de pensées poétiques à des réflexions beaucoup plus prosaïques, surtout des constatations de la dégradation de la situation dans cette période, surtout concernant les juifs (avec l'emprisonnement de son père à Drancy, puis les différentes rafles au Vél' d'Hiv', le départ de Jean pour l'Espagne - ce qui vaudra au journal une interruption de dix mois, avec cette reprise où l'on sent une forte volonté de témoigner mais aussi de laisser une trace et des souvenirs pour elle et pour Jean. Elle le dit d'ailleurs au début de la deuxième partie: "Il y a la partie que j'écris par devoir, pour conserver des souvenirs de ce qui devra être raconté et celle qui est écrite pour Jean, pour moi et pour lui." Le texte et simple, poétique mais aussi émouvant et poignant. Il montre les hésitations mais aussi la force de caractère de cette jeune étudiante qui adopte des attitudes courageuses (par exemple de porter fièrement l'étoile jaune) mais qui est aussi très consciente de ce qui est en train d'arriver et des dangers qui la guettent, mais sans se décourager.
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Le journal d'Hélène Berr - Bernard Foccroulle - Photo: Klara Beck |
La musique, qui se cantonne à ce quatuor et un piano, souligne les différents états que traverse la jeune étudiante, rappelant des atmosphères et marquant aussi quelquefois par avance le drame qui se dessine à l'horizon. Pour ce qui est du texte, celui-ci alterne entre des parties parlées, du Sprechgesang, qui nous permettent de bien suivre le déroulement de ce drame qui se joue sous nos yeux, et des parties chantées où, en plus de l'orchestre, la cantatrice apporte son instrument vocal au service de la coloration musicale. La composition varie selon les douze parties qui découpent ce journal. Il faut souligner la très belle interprétation de la magnifique mezzo-soprano Adèle Charvet mais également ses talents de comédienne. Car dans la mise en scène à la fois sobre mais forte et poignante de Matthieu Cruciani, elle est comédienne sur une grande partie de la pièce et arrive à faire passer des sentiments ou des émotions même sans parler ni chanter.
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Le journal d'Hélène Berr - Bernard Foccroulle - Photo: Klara Beck |
Cette mise en scène sobre dans un décor minimaliste mais très lisible de Marc Lainé qui joue sur les différents découpages d'espace que permettent ces six voiles qui au départ nous accueillent comme des transats, des fauteuils ou des vagues immobiles sur une plage où nous projetons nos rêves, vont, au fil du dérouler délimiter des espaces plus ou moins ouverts, avec deux trois meubles, dont le bureau principal, celui de l'écriture, et des chaises. Et donc un extérieur, une chambre, presqu'une cellule à la limite et - un moment, le fantôme de Jean qui rejoint Hélène qui se languit de lui. Une vraie prouesse avec une économie de moyens, mais une résultat fabuleux. On peut dire la même chose en ce qui concerne la relation d'Hélène avec sa soeur pianiste par les simples gestes de transfert de gilet de l'une à l'autre. Et bien sûr le lien via les citations du quatuor à cordes de Beethoven et le Lied de Schumann sur un poème de Heine.
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Le journal d'Hélène Berr - Bernard Foccroulle - Photo: Klara Beck |
Les costumes de Thiébault Welchlin sont aussi beaux qu'efficace en sens, du manteau sobre mais altier du début et de la robe jaune clair qui marque la jeunesse et le printemps, à un pantalon beaucoup plus sérieux et sobre à l'image du changement de sentiments d'Hélène - "mais je suis devenue très grave" - à la robe de chambre témoin d'un claustration certaine, présage de l'avenir plus sombre encore. Tout ce dispositif nous emporte totalement à la fois dans le récit et les péripéties - les moments ponctuant la vie de cette jeune femme dans laquelle interfère l'Histoire, les changements patents dans l'environnement et le voisinage t les informations qui arrivent à passer, que ce soient les rafles la déportation ou les assassinats. Et toujours ce courage de cette jeune femme qui sait qu'elle n'est pas éternelle mais qui vit debout avec courage. Et qui nous vaut ce beau bijou plein d'émotion à ne pas rater et surtout à ne pas oublier.
La Fleur du Dimanche
Le Journal d'Hélène Berr
A Strasbourg - Théâtre de Hautepierre - du 13 au 21 décembre 2023
A Mulhouse - Théâtre de la Sinne - 12 janvier 2024
Composition
Bernard Foccroulle
Mise en scène
Matthieu Cruciani
Scénographie
Marc Lainé
Costumes
Thibaut Welchlin
Lumières
Kelig Le Bars
Les Artistes
Hélène
Adèle Charvet
Piano
Jeanne Bleuse
Quatuor Béla