jeudi 4 juillet 2024

Suite des 24èmes rencontres d'été : Croiser les siècles et les pays en musique (de chambre)

 Le succès des 24èmes rencontres d'été de musique de chambre de l'Accroche Note à l'église du Bouclier à la Petite France à Strasbourg ne se dément pas. Après une première soirée qui nous a fait voyager au Japon (voir le billet du 2 juillet En route pour le Japon), voici un voyage autour de Ravel avec une incursion en Italie et une autre au pays de Fauré.


Accroche Note - Lisa Meignin - Wilhem Latchoumia - Françoise Kubler - Christophe Beau - Photo: Zoé Khan-Thibeault

Rencontres d'été - Accroche Note - Françoise Kubler - Photo: Zoé Khan-Thibeault


Ce sont les chansons de Ravel qui ouvrent et ferment le programme, permettant à Françoise Kubler de nous enchanter de sa voix de soprano qu'elle arrive à moduler merveilleusement, du chuchotement le plus fin à l'expression la plus puissante, passant sans problème du grave à l'aigu et du Yiddish dans les Chansons Hébraïques au japonais comme la veille ou tout simplement au français d'Évariste de Parny qui nous parle avec ces trois chansons, Nahandove, Aoua et Il est doux à la fois d'érotisme et de colonialisme:

Tes baisers pénètrent jusqu’à l’âme ; tes caresses brûlent tous mes sens ; arrête, ou je vais mourir. Meurt-on de volupté, Nahandove, ô belle Nabandove !

et

.... Les blancs promirent, et cependant ils faisoient des retranchemens. Un fort menaçant s’éleva ; le tonnerre fut renfermé dans des bouches d’airain ; leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu que nous ne connoissons pas ; ils parlèrent enfin d’obéissance et d’esclavage. Plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible ; mais malgré la foudre qu’ils vomissoient, et qui écrasoit des armées entières, ils furent tous exterminés. Méfiez-vous des blancs....


Rencontres d'été - Accroche Note - Wilhem Latchoumia - Photo: Zoé Khan-Thibeault


C'est Wilhem Latchoumia qui interprète magnifiquement l'hommage de Martino Traversa à Maurice Ravel avec ses Oiseaux tristes - en écho aérien à cette pièce "Miroirs" où l'on imagine bien cet oiseau que viennent rejoindre ses acolytes dans une ambiance estivale.


Rencontres d'été - Accroche Note - Wilhem Latchoumia - Photo: Zoé Khan-Thibeault



Autre hommage, plus rapproché, ce Trio op. 120 de 1920 de Gabriel Fauré, écrit six ans après celui de Ravel. Un trio pour piano, violon et violoncelle, initialement aussi écrit pour clarinette, ici interprété à la clarinette par Armand Angster, au violoncelle par Christophe Beau et au piano toujours par Wilhem Latchoumia. Une très belle pièce, belle découverte qui enchante la soirée.


Rencontres d'été - Accroche Note - Wilhem Latchoumia - Photo: Robert Becker


La dernière soirée "A la croisée des chemins", le jeudi, nous propose un autre voyage avec cinq étapes dans la musique contemporaine dont une création mondiale et deux créations française.


Rencontres d'été - Accroche Note - Wilhem Latchoumia - Photo: Robert Becker


Elle débute avec une courte pièce du strasbourgeois Christophe Bertrand (1981-2010) Haos (2003) - Le titre fait référence à une "plante des Îles Sandwich dont les fleurs sont blanches le matin, jaunes à midi, rouges le soir et mortes le lendemain" (Littré). Effectivement, le piano (toujours sous les doigts agiles de Wilhem Latchoumia) s'éveille doucement, note à note. Quelque chose se dessine, prend forme, se complète, accélère, puis à toute vitesse. Un deuxième son émerge, s'amplifie, s'y rajoute. Tout s'arrête en continuant de résonner. Puis quelque chose d'autre, plus vif, plus fort, plus grinçant: dans les aigus, mais aussi dans les graves. Cela ralentit en frappes fortes sur les touches, puis, le silence.


Françoise Kubler - Wilhem Latchoumia - Lisa Meignin - Armand Angster - Christophe Beau - Photo: Robert Becker


Presque l'amour de Demian Rudel Rey est une création, commande avec le soutien de la Fondation Salabert, inspiré par un texte de Laure Deval Métronome. pour soprano, flûte, clarinette, violoncelle et piano. Françoise Kubler énonce des bouts de phrases ("la police est partie", "autre chose me préoccupe",...)  ou éructe, chante, en éclats de voix et en gestes brusques (bras gauche levé).


Rencontres d'été - Accroche Note - Lisa Meignin - Photo: Zoé Khan-Thibeault


La musique se fait dense, des mélodies rapides ou des sons qui se superposent (Lisa Meignin, très précise à la flûte, Armand Angster magistral à la clarinette et Christophe Beau, altier au violoncelle) suivis de moments plus calmes, jusqu'à ce que Françoise s'empare d'un mégaphone avec cris et sifflements. Une pièce pleine d'énergie et d'humour où le jeu théâtral est mis en avant. Un succès si l'on se reporte aux applaudissements.


Françoise Kubler - Demian Rudel Rey - Lisa Meignin - Armand Angster - Photo: Robert Becker

Rencontres d'été - Françoise Kubler - Armand Angster - Photo: Robert Becker


Di anima e corpo de Claudio Ambrossini est aussi une création que nous offre le duo de base d'Accroche Note dans un très bel ensemble. Françoise y joue du souffle et Armand tire des interjections de son instrument. Des lamentations, des éclats de mots, chantés et la clarinette toujours en variations et en vibrations. Un semblant de phrase chantée se construit. Le voix puissante de Françoise accroche dans les aigus et la clarinette se lamente, Les interprètes s'offrent corps et âme.


Rencontres d'été - Accroche Note - Françoise Kubler - Armand Angster - Photo: Zoé Khan-Thibeault


Rencontres d'été - Accroche Note - Françoise Kubler - Photo: Zoé Khan-Thibeault


Avec Teatrino per Cathy, de Marcello Panni, autre création, c'est une sorte d'hommage dans un duo augmenté, Armand et Françoise accompagnés par le piano de Wilhem Latchoumia, leur complice depuis quelques années. La pièce, "augmentée" de "collages" des années 70, en référence à Berio, Schnebel et bien sûr Cathy Berberian, assemble des langues (italien, allemand, français,..) dans une folle inventivité et avec plein d'humour, humour qui transpire aussi dans les interprétations du pianiste et du clarinettiste avec des moments gais frais, frémissants et drôles quelquefois pour tous les trois. 


Rencontres d'été - Accroche Note - Françoise Kubler - Armand Angster - Photo: Robert Becker


La soirée s'achève avec la pièce de Jonathan Harvey Chu qui avait été crée par Accroche Note en 2002 au Festival Musica. Elle inclut des prières thibétaines et un poème de Soname Yangchen, une chanteuse qui a fui le pays sous occupation chinoise. On les entend bien sûr accompagnées des clochettes thibétaines que joue Françoise Kubler avant que les instruments (violoncelle et clarinette) n'arrivent. 


Rencontres d'été - Accroche Note - Christophe Beau - Photo: Zoé Khan-Thibeault


Et les chants se transforment, Il y a des cris, de l'agitations mais aussi du silence, des cordes frappées, des boucles de sons. De l'inquiétude, une montée en tension puis, pour finir, un air primesautier et, à nouveau les clochettes. Encore une magnifique soirée que le public, nombreux, a apprécié. 

Rendez-vous l'été prochain....


La Fleur du Dimanche

mardi 2 juillet 2024

Les 24èmes rencontres d'été de musique de chambre de l'Accroche Note - En route pour le Japon

 La première soirée des 24èmes rencontres d'été de musique de chambre organisées par l'Accroche Note à la Petite France dans l'église du Bouclier est consacrée au Japon. Des oeuvres de deux compositeurs japonais et une création d'une compositrice japonaise encadrent la création d'Ivan Fedele commandée par la Fondation Ernst von Siemens. Celle-ci est une création de ce compositeur italien, à partir de haikus, courts poèmes de trois vers sur le thème des saisons, ici l'été, choisis parmi les oeuvres de poètes japonais. Ivan Fedele est un ami fidèle de Strasbourg - Le Festival Musica lui avait consacré un portrait en 1995 et il a fait une résidence la même année Conservatoire National de Région où il a enseigné jusqu'en 2008.


Rencontres d'été - Toshio Hosokawa -  Vertical Time Study I - Photo: Robert Becker


La soirée commence avec une courte pièce de Toshio Hosokawa, Vertical Time Study I écrite en 1994 pour clarinette, violoncelle et piano. Toshio Hosokawa s'est intéressé à la musique très jeune et est venu étudier en Allemagne à Berlin, Darmstadt et Freiburg. Sa pièce marie les influences de compositeurs allemands et la culture japonaise - il appelle lui-même sa musique "calligraphie sonore" et l'on entend bien dans cette composition des coups énergiques et des lignes tenues et tirées, ponctuées de séries de notes qui s'égrènent. Des sons lancinants et le violoncelle nerveux alternent avec de brusques éclats. On arrive bien à s'imaginer les calligraphies énergiques qui pourraient en découler.


Rencontres d'été - Toward the Sea -  Toru Takemistsu - Photo: Robert Becker


La deuxième pièce ressemble également à une série de tableaux, trois pour être précis, car la pièce Toward the Sea de Toru Takemistsu écrite en 1981 pour flûte et guitare est inspirée de Moby Dick de Melville et comprend trois sections: The Night où l'on imagine un horizon lointain avec une mer calme, bercé par la flûte avec quelques notes de guitare qui s'y posent. La deuxième partie, Moby Dick voit la flûte développer une mélodie ondulante. Et pour la troisième partie, Cape Cod, c'est la guitare qui démarre et la pièce continue en une sorte de tourbillon, à l'image de la péninsule en face de Nantucket.

 

Rencontres d'été - Ivan Fedele - Natsu Haiku - Photo: Robert Becker

Rencontres d'été - Ivan Fedele - Natsu Haiku - Photo: Robert Becker

Rencontres d'été - Ivan Fedele - Natsu Haiku - Photo: Robert Becker


Pour la pièce d'Ivan Fedele, Natsu Haiku qui est donc créée ce soir, c'est un bel ensemble avec Armand Angster à la clarinette basse, Christophe Beau au violoncelle, Emmanuel Séjourné aux percussion et Françoise Kubler à la voix, qui interprète cette série de courtes pièces, variées. Francoise Kubler y prouve une fois encore la maîtrise de ses registres d'interprétation de ces courts poèmes et où les percussions, diverses - bois, métal, marimbas, gong, maracas - marquent le rythme. La plupart des sections sont nerveuses, quelques-unes plus gaies et l'ensemble est de belle facture.


Rencontres d'été - Sanae Ishida - Voie Lactée, ontarakusowaka - Photo: Robert Becker


La soirée s'achève avec une autre composition, Voie Lactée, ontarakusowaka de Sanae Ishida pour huit instruments et voix sous la direction d'Emmanuel Séjourné. La pièce joue sur la délicatesse, les bruissements, la discrétion. Les percussions avec Sylvie Reynaert se font discrètes, Gaspar Schlich caresse délicatement sa guitare électrique, lui donne de petite tapes avec une règle ou crée de petits échos avec un tube en verre, Christophe Beau modère son violoncelle, Joachim Angster son alto, Wilhem Latchoumia se fait discret derrière son piano et il arrive que quelquefois un son aigu que l'on n'arrive pas à identifier sorte de l'accordéon de Hugo Degorre.

 

Rencontres d'été - Sanae Ishida - Voie Lactée, ontarakusowaka - Photo: Robert Becker


Françoise Kubler, elle, passe de la voix de gorge à de grands aigus sans problèmes et de temps en temps , après un silence, le léger bruissement de feuilles de papier d'aluminium que chacune et chacun caresse, nous fait nous interroger sur l'origine de ce frémissement. 


Rencontres d'été - Sanae Ishida - Voie Lactée, ontarakusowaka - Photo: Robert Becker


Il arrive aussi bien sûr que subitement, en cascade, les cordes se suivent en écho, repris par les percussions ou même que, vers la fin, une agitation monte et enfle dans ce petit orchestre, mais cela se calme à nouveau. Un léger chant s'élève, des sons délicats résonnent et tout cela s'achève en toute discrétion. La compositrice, présente, reçoit un accueil chaleureux. 


Rencontres d'été - Sanae Ishida - Voie Lactée, ontarakusowaka - Photo: Robert Becker


Et le public nombreux, dont quelques curieux qui ne s'attendaient pas du tout à de la musique contemporaine, repartent heureux. Quelques-uns reviendront demain pour une soirée plus "classique" autour de Ravel, Traversa et Fauré.


Le Fleur du Dimanche