lundi 27 février 2023

Comme tu me veux de Pirandello au TNS: L'inconnue mène le bal d'une symphonie de mots dits et à analyser

 Le théâtre s'inscrit dans l'histoire et Comme tu me veux de Pirandello présenté au TNS n'y échappe malheureusement pas. Les informations entendues à la radio et à la télévision qui parlent des exactions commises par les soldats (violences et viols) en Ukraine se répètent en écho dans cette histoire qui se situe dix ans après la Première Guerre Mondiale. Pirandello l'a écrite à Berlin après avoir quitté l'Italie où Mussolini était déjà au pouvoir et la didascalie projetée en introduction de la pièce sur des images de ruines de guerre indique et alerte sur la montée du fascisme en Europe. Et l'on se prend à vouloir conjurer le sort et espérer que l'histoire ne bégayera pas en reproduisant le même processus aujourd'hui. 


Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot


Mais nous sommes au théâtre, et chez Pirandello, c'est du magnifique théâtre: un texte ciselé - la traduction faite par le metteur en scène Stéphane Braunschweig lui-même - est d'une justesse et d'une vivacité virtuose. La parole rebondit d'un comédien à l'autre et les surprises et les coups de théâtre ou changements de points de vue fusent. La pièce est construite comme une intrigue policière où l'on recherche des indices pour savoir où se niche la vérité et quels faits seraient réels. C'est tout l'enjeu de la pièce et la présence d'un psychanalyste parmi les personnages démontre bien que les faits mais surtout ce qui est dit est sujet à interprétation. Et la pièce est une vaste démonstration que tout est interprétation et que, même la dernière scène, la dernière parole - et celle d'avant - ne sont pas à prendre pour argent comptant. Au point qu'elle nous fait revoir la pièce avec une lecture nouvelle qui nous donne envie de revenir pour une nouvelle soirée et la passer au tamis de ce noveau point de vue.


Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot


Mais rassurez-vous, vous allez déjà être comblé(e)s par la chronologie première où le doute s'instille à chaque moment et où les mots dits par l'inconnue (magnifique et flamboyante Chloé Réjon débordante d'énergie) vous amènent à échafauder de multiples pistes et leur contraire. Car c'est presque elle, cette inconnue, dont on soupçonne un double (sinon trouble) passé qui décide presque comme une magicienne de la dynamique de l'ensemble de la pièce. Dès la deuxième scène, quand une facette de son portrait est tracée, elle énonce une vérité qui la met en porte-à-faux sur qui elle est - ou pourrait être. Et tout au long de la pièce, elle se joue à la fois de nous et de tous ses interlocuteurs qui semblent manipulés par elle, ses paroles, sa présence, ses apparitions - ou son absence. Et les autres personnages jouent avec elle cette partition de mots dits, échangés, rebondissants, dans cette perpétuelle interrogation, cette recherche d'une - illusoire - vérité. 


Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot


Tous les comédiens, subtilement distribués par Stéphane Braunschweig sont à l'harmonie des uns des autres: Claude Duparfait en écrivain sans souflle ni passion tout en virevoltes, Sharif Andoura qui campe un photographe volontaire qui croit en sa mission de la ramener au bercail, le superbe couple oncle et tante, Alain Libolt, délicat et Annie Mercier, puissante et nature, Pierric Plathier en mari déboussolé et l'impressionnante performance de Clémentine Vignais en folle. La symbolique des ruines et de la reconstruction qui sous-tend la pièce, et la vidéo de Maïa Fastinger projeté sur le magnifique mur de fond de scène en brique de la salle Koltès, en parallèle à la thématique douloureuse du "retour" à la maison des "disparus" et de leur reconstruction qui nourrit l'esprit de la pièce, tout comme celle des souvenirs ruinés et "reconstruits" (par quels moyens ?) est également une facette très bien mise en lumière dans cette mise en scène où le théâtre est en abyme. Et où l'on peut s'y perdre. Avec plaisir...


La Fleur du Dimanche


Comme tu me veux 


Au TNS Jusqu'au 4 mars 2023

A la Coursive - scène nationale, La Rochelle - le 1 et 16 mai 2023


Texte Luigi Pirandello
Mise en scène, scénographie et traduction française Stéphane Braunschweig
Avec
Sharif Andoura
Jean-Baptiste Anoumon - Alexandre Pallu
Claude Duparfait*
Alain Libolt
Annie Mercier
Thierry Paret
Pierric Plathier
Lamya Regragui Muzio
Chloé Réjon
Clémentine Vignais
Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Vidéo Maïa Fastinger
Archives vidéo Catherine Jivora
Coiffures / Maquillage Karine Guillem Michalski

vendredi 24 février 2023

Les Vivants et les Morts de Mordillat: une comédie musicale sociale pleine d'amour

 De Gérard Mordillat on connait bien les séries qu'il a réalisées avec Jérôme Prieur autour de Jésus et du Christianisme et qui ont suscité pas mal de réactions. On connait aussi ses nombreux films (quelques-uns également en collaboration avec Jérôme Prieur) dont Vive la Sociale en 1983. On connait aussi ses livres et poèmes et sa participation à l'émission de radio Des Papous dans la tête. Son livre Les Vivants et les Morts édité en 2005, Grand Prix RTL-Lire est devenu un feuilleton télévisé en 2010. Et voici que cette histoire qui raconte une lutte sociale dans une usine menacée de fermeture, contre laquelle vont se battre les ouvriers arrive au théâtre sous la forme d'une comédie musicale présentée au Théâtre du Rond-Point du 14 au 28 février 2023.


Les Vivants et les Morts - Gérérd Mordillat - Photo: François Cantonne


C'est une équipe réduite de huit comédien(ne)s-chanteur(euse)s et musicien(ne)s qui vont interpréter les différent protagonistes de ce drame antique revu sous les couleurs d'une comédie chantée avec allant et dynamisme, soutenus par un choeur (pas antique du tout) le KB Harmony, fondé et encadré par Myriam Lompo au Kremlin Bicêtre. Le choeur soutient de la voix et des pieds la fine équipe et se mêle à eux pour les mouvements de foule. Car dans cette petite troupe il faut être agile. 


Les Vivants et les Morts - Gérérd Mordillat - Photo: François Cantonne


De temps en temps, les personnages féminins se retrouvent au piano et le compositeur de la musique, Hugues Tabar-Nouval, également acteur accompagne au saxophone, à la flûte et au mélodica les tours de chant ou rytme l'ambiance. L'ambiance qui n'est pas forcément mortifère comme pourrait le laisser penser le titre, car il se dégage de la pièce grâce au jeu super dynamique de tous les acteurs- actrices et des épidodes chantés une belle énergie. Bien sûr il est question de fermeture d'usine, de licenciement, de grêve et de révolte. 


Les Vivants et les Morts - Gérérd Mordillat - Photo: Mathilde Thiou


S'y superposent tous les problèmes personnels de couples, en particulier ceux de Rudy (Günther Vanseveren qui apporte à la fois toute sa révolte et toute sa tendresse au personnage) et Dallas (Lucile Mennelet, belle et rebelle, pleine d'énergie et avec une voix magnifique), le couple sur lequel on focalise plus particulièrement le récit. On les suit dans leur vie quotidienne et intime, leurs soucis de fins de mois difficile, leur rythme de vie contraint par le travail d'équipe, le deuxième boulot de Dallas et les problèmes de garde de leur jeune bébé. On assiste aux errements du couple, à leurs frictions et aux incartades de Rudy. 




On découvre aussi les conséquences sur tous ces individus, au niveau très personnel, intime, des manoeuvres des dirigeants de l'usine et des leurs émissaires sur l'équilibre et la solidité du groupe, et la fragilisation qui les pousse à bout, certains dans un stade ultime. On assiste à tous les stades de cette lutte, très bien représentée symboliquement, avec une simplicité de moyens - peu d'accessoires et quelques effets de fumée, des éclairages efficaces (Carlos Monhay) et surtout la musique et les morceaux chantés qui amènent une dynamique et une empathie dans le déroulement de l'action. 


Les Vivants et les Morts - Gérérd Mordillat - Photo: François Cantonne


François Morel qui a écrit les paroles de ces airs chanté a su exprimer avec simplicité et poésie ces scènes de vie, d'amour et de combat qui nous amènent à réfléchir sur les enjeux économique et sociaux de notre société tout en nous rendant attentif à nos engagements personnels. Un beau spectacle, bien enlevé qui en même temps analyse quelques mécanismes à l'oeuvre autant dans le fonctionnement social que personnel. Et les presque deux heures que nous passons en compagnie de cette troupe alerte nous éveillent et nous comblent.


La Fleur du Dimanche


Les Vivants et les Morts

Distribution
Texte et mise en scène : Gérard Mordillat
Adaptation : Hugues Tabar-Nouval, Gérard Mordillat
Paroles : François Morel
Musique : Hugues Tabar-Nouval
Avec : Esther Bastendorff, Odile Conseil, Camille Demoures, Lucile Mennelet, Hugues Tabar-Nouval, Patrice Valota, Günther Vanseveren, Benjamin Wangermée
Chœurs : KB Harmony
Régie générale et lumières : Carlos Monhay
Régie son : Paul Martin

   

jeudi 23 février 2023

Fin de Partie à l'Atelier: Tout est bien qui finit !

 Fin de Partie au Théâtre de l'Atelier à Paris, ce n'est pas encore fini. Je m'entends, la pièce de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Osinski, forte de son succès, est prolongée (au moins) jusqu'au 16 avril 2023. Mais n'attendez pas la fin pour y aller.

Et surtout ne croyez pas lorsque Clov (Denis Lavant) vous dit au début de la pièce... après quelques moments de silence et d'immobilité, puis d'un étrange ballet désarticulé où, comme un pantin attaché à une ficelle il virevolte de gauche à droite avec (ou sans) son échelle pour ouvrir les rideaux des deux fenêtres - côté "mer" et côté "terre" - haut placées: "Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. ..." Parce qu'effectivement cela ne finit pas, cela ne fait que commencer, de finir... Et cela continue ainsi "..., Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas."


Fin de Partie - Samuel Beckett - Denis Lavant - Frédéric Leidgens - Théâtre de L'Atelier


Cette phrase résume dans sa substance même l'esprit de la pièce, cette accumulation de petites choses qui s'amoncellent, que l'on ressort sporadiquement, avec parcimonie. Tout comme les courtes phrases qui seront distillées, et quelquefois répétées tout au long de la pièce et qui nous présentent comme une fin du monde, une apocalypse, où il n'y a plus de salut, plus personne à part ces deux personnages à la relation étrange de maître et valet. Et où le maître, Hamm (Frédéric Leidgens) est totalement sous le joug du valet, ce possible fils adoptif (et vice-versa). Parce que les maigres informations que nous recevons, tout aussi maigres que les biscuits, rares qui sont données à ce fils - et aussi au père Nagg (Peter Bonke) cantonné dans sa grande poubelle à l'arrière de la scène - ces informations que Nagg nous révèle aussi de son côté: Quelques bribes de leur histoire qui ne servent qu'à installer une ambiance d'abandon et de fin du monde. Le décor et la scénographie d'Yann Chapotel, un intérieur glauque aux murs verts où ne filtre presque pas de lumière, et qui semble une tannière, un trou à rat derrière un grand rideau donnant sur une cuisine étique, repaire à rat. La lumière dispensée dans la rareté (Catherine Verheyde) pour de ce qui est des "fenêtres" n'est diffusée que par deux lampes, celle "au centre" qui "douche" Hamm et exacerbe le jeu très expressif, presque expressionniste et maniéré (d'acteur) de Frédéric Leidgens, et celle, plus froide sur les "poubelles" dans lesquelles sont cloîtrés les parents Nagg et Nell (Claudine Delvaux, toute diaphane et presque transparente).  


Fin de Partie - Samuel Beckett - Denis Lavant - Frédéric Leidgens - Théâtre de L'Atelier



Frédéric Leidgens est formidable dans son immobilité (de fantôme pas encore vivant au début) et de mort incertain à la fin et ses éclats de geste et de voix, ses éruptions amènent la tension dans cette relation mystérieuse. De son côté, le seul personnage mobile (et qui fait bouger le fauteuil roulant de Hamm), c'est Clov dont l'incarnation à la fois souple et figée de Denis Lavant est un morceau de bravoure comme on en attendait de lui et qu'il assure à merveille. Il arrive à cette souplesse bien qu'il soit raide des jambes (un handicap?). Il passe de moments d'immobilité d'une densité expressive à des explosions de gestuelle désordonnée presqu'acrobatiques en pliant le corps et le contraignant à la fois. Une marionnette plus que vivante! Et quand il doit "donner la réplique" à Hamm, son jeu est impeccable et ses mimiques efficaces. 

Denis Lavant - Fin de Partie - Samuel Beckett
 

Frédéric Leidgens dans son discours alambiqué et maniéré, souligné par ses gestes élégants de la main et des doigts et son port de tête altier, sous ses lunettes d'aveugle, est lui aussi très juste dans ce personnage en perdition. Et nous en sommes presque tristes de l'abandonner au bout de plus de deux heures, quand il se demande s'il l'a effectivement été, abandonné, à la fin de la "Partie". Tout aussi triste que nous qui nous posons la même question. Peut-être reviendrons-nous, si jamais ça recommence?


La Fleur du Dimanche



Si vous ne voulez pas que cela finisse comme cela, Jacques Osinski et ses comédiens vous convient à un bord plateau à l’issue du spectacle afin d’échanger avec le public autour de l’oeuvre classique de Samuel Beckett, Fin de Partie.

Vendredi 3 mars 

Dimanche 12 mars


 

mercredi 22 février 2023

Over Dance à Chaillot: Bien danser la bienveillance

 Le sujet de l'âge est un sujet délicat si ce n'est crispant sinon excédant. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur l'actualité. Sociale et politique bien sûr mais aussi tout ce qui concerne la santé et le soin. Et également, tout ce qui revient en tête des préoccupations, que ce soit l'inclusion, le soin, la prise en compte des inégalités... Il y a ainsi quelques sujets qui font lentement leur chemin et émergent, passant de la discussion personnelle et de la revendication marginale à une visibilité plus large et infusant la création artistique. Quelques pièces ont mis en scène des personnes âgées et Aterballetto, Fondation Nationale de la Danse, le seul centre chorégraphique national d'Italie, a sollicité Rachid Ouramdane et Angelin Preljocaj pour  interroger le "corps vieillissant".

Le résultat, présenté du 15 au 23 février à Chaillot, Théâtre National de la Danse, Over Dance est constitué de deux pièce complémentaires.


Over Dance - Birthday Party - Rachid Ouramdane - Photo: Patrick Cokpit


C'est avec Birthday party, la pièce la plus courte, chorégraphiée par Rachid Ouramdane que débute la soirée. Elle met en scène deux personnalités qui ont eu une belle carrière entre autres dans le music hall et le divertissement: Herma Vos qui, du fait de sa grande taille (1,86 m), n'a pas pu être danseuse classique mais a fait une carrière dans le cabaret (Lido et Paradis Latin) puis comme comédienne et chanteuse de jazz. Et Darryl E Woods qui, après des prestations dans des comédies musicales, est arrivé dans les compagnies d'Alain Platel et Sidi Larbi Cherkaoui et qui a gardé une belle agilité et prestance. Il incarnent devant nous un couple qui déborde de nostalgie, rejouant avec tendresse des figures imposées des spectacles du temps passé, le cabaret, la revue, les danses de claquettes et un Cha cha cha entraînant, les saluts et les appels au public. Ils se cherchent aussi l'un l'autre, essayant de se retrouver, enveloppés dans les mélodies tournoyantes du piano de Jean-Baptiste Julien. On sent beaucoup de bienveillance et d'attention, mais également une bonne dose de regrets et de désillusions sinon d'amertume, presque d'inquiétude et d'effroi vers la fin. La vie, quoi!


Over Dance - Birthday Party - Rachid Ouramdane - Photo: Patrick Cokpit



Changement de style avec la pièce d'Angelin Preljocaj où le spectacle déborde, où les personnages sont vêtus comme dans les contes de fées ou dans l'héroïc fantasy et où, pendant cinquante minutes vont alterner des tableaux d'ensemble et des duos ou doubles duos magnifiquement interprétés. Les huit danseuses et danseurs - Mario Barzaghi, Sabina Cesaroni, Patricia Dedieu, Roberto Maria Macchi, Elli Medeiros, Thierry Parmentier, Marie-Thérèse Priou, Bruce Taylor. Pas plus jeunes que les précédents, même plus âgé(e)s, sur une musique de 79D qui accueille également Anton Bruckner, Józef Plawiński, Paul Williams, Lee Hazlewood, Jean-Sébastien Bach, Maxime Loaëc, Craig Armstrong et les Stinky Toys, ils et elles enchaînent des variations sur les multiples aspects que la vie réserve aux vieux, mais pas que. Nous assistons ainsi à des chorégraphies allant de l'humour au sport, du combats et même des odes à la liberté sexuelle. 


Over Dance - Un Jour Nouveau - Angelin Preljocaj - Photo de répétition: Julien Bengel 


Une belle distribution des pièces très bien enchaînées, des grandes chorégraphies d'ensemble. Les interprètes, pas forcément professionnels sont pris et présentés tels quels, avec leur force ou leur faiblesse, leur caractère et leurs spécificités, laissant s'exprimer leur personnalité, comme le rappeur semi-burlesque ou diva ou la rockeuse (Elli Medeiros) qui nous offre une prestation chantée de son cru, un morceau bien punk de son groupe des années 70, les Stinky Toys. Angelin Preljocaj a tenu compte de chaque personne pour lui offrir une place dans ce univers un peu décalé, ce spectacle qui prouve que la fragilité et la diversité peut s'insérer dans une prestation collective et aboutir à un vrai spectacle.


La Fleur du Dimanche

lundi 20 février 2023

La Voix Humaine à l'Opéra National du Rhin: Le coupable habite le 16ème mais la femme revient

 La version de La Voix Humaine, monodrame de Jean Cocteau mis en musique par Francis Poulenc présentée à l'Opéra National du Rhin est mise au goût du jour par les trois femmes qui en sont l'âme renaissante. 


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Nous avons d'abord la merveilleuse et talentueuse Patricia Petibon, révélée, entre autres par William Christie et qui est passée de la musique ancienne et baroque, puis dans le répertoire classique jusqu'au Lulu d'Alban Berg et bien d'autres interprétations. C'est elle donc qui joue "Elle" et incarne tous les états d'âme et toutes les infinies variations d'humeur et de jeu que la pièce de Cocteau peut receler. Elle chante aussi magnifiquement, entre les paroles tendres et séductrices et les éclats puissants quand elle donne toute la force de sa voix. Et, bien sûr, elle arrive à moduler ce débit de la voix qui "parle" presque et susurre au téléphone - ou récrimine quand c'est nécessaire ou quand la "technique" perturbe le bon déroulement de la conversation. Et surtout elle arrive à merveille à se taire et nous laisser imaginer ce que son interlocuteur "caché" dit entre ses réponses à elle. 


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Parce que la force de cette pièce de Cocteau, c'est bien de jouer avec nos nerfs et notre curiosité. Nous sommes spectateurs - et auditeurs - actifs de ce qui se déroule sous nos yeux, en n'entendons que ce que dira "Elle" devant nous. Et sommes bien obligés de combler les vides en essayant de "remplir les trous". C'est à la fois un jeu: vérifier si ce que l'on imagine est bien ce qui pourrait être dit "en face", "de l'autre côté", là où nous n'avons pas accès - et une torture puisque l'on nous cache cette partie du texte. Et rien n'est plus frustrant que de ne pas entendre une partie d'une conversation. N'avez vous pas fait cette douloureuse expérience dans les transports en commun par exemple quand vous n'entendez que la partie "présente" d'une conversation - ou peut-être quand vous étiez enfant que l'on ne vous disait pas tout et qu'une partie d'un récit vous échappait parce qu'il partait en chuchotement. Tout cela donne le "monologue au carré" que l'on  diviserait en deux. 


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Pire ! Ce que nous entendons n'est pas forcément, donc ce qui est dit n'est pas forcément ce qui est pensé. Nous nous rendons compte que les paroles dites ne sont pas forcément la vérité, et nous sommes, en plus de deviner ce qui est dit à l'autre bout du fil, obligé de nous demander si ce qu'"Elle" dit est bien vrai. Et si cela ne l'est pas dans quel but, avec quel sentiment ou quelle motivation cela est dit. Une des "alertes" les plus flagrantes est le moment où "Elle" se décrit avec "Ma robe rose... Mon chapeau noir... Oui, j'ai encore mon chapeau sur la tête..". C'est vrai que le téléphone, surtout de l'époque où la pièce avait été écrie - et jouée - permettait de maquiller la vérité. Mais pas tout non plus, preuve, le fait qu'il y a des sons "accusateurs" ("J'entends de la musique" ... "le gramophone à des heures pareilles"). Ce qui met les deux protagonistes à égalité devant la vérité. Mais pas pour nous, qui tentons, et tenterons jusqu'au bout de savoir de quel côté est le vrai et de tirer le fil de ces arguments et de ces mensonges pour savoir comment cela va finir: "Le fil autour de mon cou" ou "ta vois autour de mon cou"? Il faut dire que la chute est assez prévisible, avec tous ces "on coupe", "on m'a coupée.." "Coupe! Coupe vite!", il n'y a pas beaucoup d'espoir.


La Voix Humaine - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Sauf que...,  c'est un spectacle, et comme dans les contes de fées, ou au cinéma, on peut faire dévier le cours des choses. Et Katie Mitchell, la deuxième démiurge de la pièce, qui a fait la mise en scène, a également accolé à la pièce de Poulenc une courte création d'Anna Thorvaldsdottir, Aeriality, pièce orchestrale créée en 2011 à Reykjavik. Cette pièce qui complète dans son esprit le (mono-)drame un peu trop misogyne, nous emmène dans une autre réalité où l'héroine, même si elle ne vole pas (on pourrait le croire de par le titre - et la composition musicale qui est assez aérienne et planante) brise le destin. Et le film de Grant Gee qui l'accompagne, ces images tournées dans la ville la nuit, qui encadre la pièce de Poulenc nous perturbe aussi dans notre perception de la réalité ("Elle" semble rentrer chez elle au début, ce qui contredit le texte et "Elle" rejoue la pièce à la fin). Les repères sont mouvants et nous n'avons qu'à nous accrocher. Peut-être que le chien saura nous "guider".


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Le guide, on l'aura de toute façon trouvé en la personne d'Ariane Matiakh, à la direction de l'orchestre philharmonique de Strasbourg. C'est elle qui nous guide au travers de ces deux pièces musicales complémentaires. Et qui nous illumine magnifiquement la sublime partition de Poulenc de sa direction précise et mesurée. Elle nous fait entendre les "silences" quand "Elle" se tait et écoute et accompagne et enveloppe ses paroles en leur laissant toute leur présence quand elle exprime sa gamme de sentiments. Et nous passons de moments de calme et de sérénité à des explosions poignantes, des épisodes de trouble et de sensualité, de douceur jusqu'à la rage et le désespoir. Et elle ne manque pas non plus de nous surprendre par les changements de tempo ou de rythme que nous réserve quelquefois Francis Poulenc.


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Cette musique qui nous traverse et nous transperce nous unit intimement à ce que Patricia Petibon nous transmet également avec sa voix sensible et enjôleuse. J'ai parlé des trois femmes qui sont l'âme de ce spectacle et de l'homme qui a réalisé la vidéo, il faut citer les deux autres femmes qui on fait, l'une la lumière qui nous et dans l'intimité de cette femme abandonnée, Bethany Gupwell, et l'autre qui s'est chargé des costumes, tout aussi intimes, Sussi Juhlin-Wallen, et, l'homme des décors de cette chambre de dame "abandonnée" par l'homme, dans laquelle ne restent  que des restes qui trainent dans des sacs poubelles, Alex Eales.


La Fleur du Dimanche

* Pour le titre, sachez que "Lui" habite dans le 16ème arrondissement de Paris: Son numéro de téléphone est:  Auteuil 04,7 (dans l'ancienne numérotation)


à l'Opéra National du Rhin à Strasbourg : jusqu'au 26 février 2023
à La Filature à Mulhouse : 12 et 14 mars 2023

Direction musicale: Ariane Matiakh
Mise en scène: Katie Mitchell
Décors: Alex Eales
Costumes: Sussie Juhlin-Wallén
Lumières: Bethany Gupwell
Réalisateur vidéo: Grant Gee
Orchestre philharmonique de Strasbourg

Les Artistes
Elle: Patricia Petibon


samedi 11 février 2023

Zugzwang au Maillon: Il n'y a que la nécessité de bien dégringoler

Avec Zugzwang par le Galactik Ensemble au Maillon, nous assistons à un film en train de se fabriquer en direct. Il pourrait s'intituler Entracte ou Une journée au cirque ou encore La Ruée vers l'Or parce que cela se passe au théâtre, qu'il y a un tigre au sol et que la cabane du chercheur d'or recèle de nombreux mystères et révèle de belles surprises. Après une "mise en place du décor" qui avait subi une "mise à plat", la table magique se couvre puis se retrouve entourée de personnages apparaissant soudain, tous plus étranges les uns que les autres - l'un par exemple coiffé d'une tête de renne. Des crises de tremblement se propagent par contagion entre eux, disparaissent pour renaître plus forts encore. Aboutissant à l'ébranlement et à la dislocation de la petite maison - en fait une pièce unique. Et, ainsi apparait sur une planche de bois le titre "Zugzwang" signifiant "coup forcé". Ce qui laisse à penser que le destin irrémédiable de ces cinq personnages sur scène va être de se battre contre les éléments hostiles du décor qui tremble, gronde et gémit. L'idée du film en train de se bricoler est renforcé par l'envers du décor sur lequel sont notés les noms des personnages et la liste des accessoires qui vont, hanter, peupler le film. De plus, le concept de hors-champ et de son off est expérimenté par l'un des personnage qui sort du "champ" et laisse une trace sonore comique de son déplacement. 


Zugzwang - Le Galactik Ensemble


Le déplacement étant un des principes du Zugzwang - Zug pouvant signifier le trait, le déplacement, le courant d'air, le défilé, le mouvement - les séquences du "film" vont jouer aussi sur des déplacement dans et hors de l'espace d'une pièce, combinés ou pas avec le déplacement de cette pièce même. Cela aboutit à des moments magiques du genre dessin animé ou bande dessinée animée où s'enchainent diverses vues de vie dans un espace privé: debout, assis, arrêtés ou en marche, seul ou à plusieurs ou avec des accessoires. Cela projette aussi des images flottantes de la réalité, ou des situations absurdes quand le décor pousse les protagonistes. Ou encore la démonstration de la théorie de la relativité d'Einstein en mouvement agrémentée de gags et de glissades dangereuses. 


Zugzwang - Le Galactik Ensemble - Photo: Martin Argyroglo


Cette relativité est également mise en oeuvre par un dispositif où le tigre fait bouger un plateau-radeau qui au départ était un tableau de Velasquez que Salvator Dali aurait intitulé "Portrait de crétins à la tête molle" et où les gobelets deviennent des fusées. Sa déconstruction le transforme en un espace d'expérimentation du déséquilibre et d'une chaine de solidarité. Un autre tableau, un paysage d'hiver de Brueghel, servira de prétexte à une chorégraphie de l'incertitude et amènera à creuser, au sens propre, le mur pour y disparaître comme une taupe. De ce trou noir de taupe va resurgir cette troupe en robe blanche de mariée, ou de première communiante. Blanche comme la neige qui tombe en slow/snow dans une version nipponne de chanson d'amour sirupeuse. Et le soyeux sortilège de ce blanc cortège tombant du tobogan pour chanter le refrain des pleurs en impassible manège qui se relaye en choeur au micro en synchro.

Si vous n'avez pas compris, je vous mets la version originale:


Et le rideau tombe annonçant la "Fin de Partie" en générique de fin, comme un dernier coup du sort jeté comme un dé sur le plateau. Il n'y a pas de hasard, il n'y a que la nécessité. Et par la force des choses tout dérape et dégringole, comme le voulait le mouvement inhérent de la pièce.


La Fleur du Dimanche

vendredi 10 février 2023

Starmania en tournée: Sous la nostalgie, l'éclat du noir et le tranchant de la lumière

 Starmania était le premier Opéra Rock français, créé par Michel Berger et le canadien Luc Plamodon en 1979. La musique et de nombreuses chansons sont devenues célèbres. Le spectacle musical qui ne reste que quatre semaines à l'affiche ne décolle qu'avec le deuxième version des deux auteurs en 1989 suivi de tournées mondiales puis avec la version de Lewis Furey, un peu modifiée, qui connait une belle carrière et dont le disque est disque de diamant en 1993 ( plus d'un million de ventes) - les deux précédents ont été disques d'or en 1979 et 1988. Quarante ans après, le fils de Michel Berger et France Gall, Raphaël Hamburger qui souhaiter remonter l'Opéra Rock monte une équipe de choc qui fait des étincelles.


Starmania - Michel Berger - Luc Plamodon - Thomas Jolly - Photo: Antony Dorfmann


Avec Thomas Jolly, à qui a été confié la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de 2024, à la mise en scène, et Sidi Larbi Cherkaoui, danseur et chorégraphe belge qui a fait un beau parcours depuis 1999 (il est à la tête du Grand Ballet du Théatre de Genève), vous pouvez vous attendre à des surprises. Parce qu'il faut se laisser surprendre, et des découvertes vous en ferez. 


Starmania - Michel Berger - Luc Plamodon - Thomas Jolly - Photo: Antony Dorfmann


Les chansons, vous les connaissez, vous les avez écoutées - et chantées pour certaines maintes fois. L'histoire, un peu moins. La révolte des Etoiles Noires et le syndrome de Stockolm plus la Bande à Baader qui ont inspiré en partie cette histoire sont enfouis dans les limbes de la mémoire. Le contexte, utopique à l'époque de ces chaines d'information en continu, d'une élection politique s'appuyant sur le spectacle et la communication, l'urbanisation verticale et la violence urbaine se sont par contre installés dans le paysage et sont banalisés. Les émissions de variété menant à une gloire médiatique, du type de l'émission homonyme de cet opéra-rock se sont multipliées et ont même fourni quelques chanteuses et chanteurs de la version actuelle de la pièce, et qui ne déméritent pas. Alex Montembault en Marie-Jeanne fait preuve d'une belle voix et d'une belle sensibilité, tout comme Adrien Fruit en Ziggy. 


Starmania - Michel Berger - Luc Plamodon - Thomas Jolly - Photo: Antony Dorfmann


Les femmes, "stars" souveraines et belles, Lilya Adad en Cristal, et Maag en Stella Spotlight, de même que le/la dynamique Sadia (Miriam Baghdassarian) accroche sur la scène. Côme est très convaincant en Johnny Rockfort et David Latulippe fait un Zéro Janvier lisse un peu plus dans l'image du politique (présidentiable) de nos jours. Les chansons, et surtout les tubes comme Le blues du businessman, Besoin d'amour, Paranoïa, Ce soir on danse et Le monde est stone, vous allez pouvoir les fredonner, mais le spectacle n'est pas seulement un disque et vous allez en avoir plein les yeux.


Starmania - Michel Berger - Luc Plamodon - Thomas Jolly - Photo: Antony Dorfmann

D'une part la scénographie, les constructions futuristes du décor, souvent mouvant, tournant, tournoyant même pour suivre les montées et descentes de marches des chanteuses et des chanteurs vont vous entraîner dans un tourbillon enivrant. Les tours qui rappellent autant le cinéma expressionniste allemand que des constructions futuriste de films d'anticipation, toutes en noir, sont particulièrement réussies. Par la magie des jeux de lumière et d'éclairage, elles apparaissent et disparaissent comme par magie. 


Starmania - Michel Berger - Luc Plamodon - Thomas Jolly - Photo: Antony Dorfmann


Tout comme quelquefois les comédiens-chanteurs sur scène. Le magicien des lumières, Thomas Dechandon, non content de métamorphoser les éléments de décor (Tour, salle de réception, discothèque Naziland, Underground Café, appartement de Zéro Janvier, souterrains de la Tour), et de transformer un piano noir en piano blanc (observez-le bien), déploie également un superbe ballet lumineux des projecteurs. Ceux-ci, dansant sur scène, amènent un espace et une chorégraphie lumière jusqu'au fond de la salle et dans les yeux des spectateurs. Et c'est bien sûr lui l'escamoteur de corps et de biens. 


Starmania - Michel Berger - Luc Plamodon - Thomas Jolly - Photo: Antony Dorfmann


Les danseurs au début, arivent comme des robots perdus dans un décor asseptisés puis s'éclatent sur la musique un peu trop funk-rock et lourde. Pour cette représentation il n'y avait qu'une band son enregistrés, pas de musiciens. On aurait aimé plus qu'un début de morceau au piano - qui n'est que décor - et une autre à la guitare.  Ils vont continuer dans une diversité de danse de rue en balançant les bras et ne donnent un apperçu de la patte de Sidi Larbi Cherkaoui que sur la scène "d'orgie" (bien sage) sur Paranoïa. 

Pour finir, nous ne pouvons que rester stupéfaits suite à l'explosion (prophétique) de la Tour et nous laisser submerger par une vague de tristesse et de nostalgie avec Marie-Jeanne et nous dire:

"J'ai la tête qui éclate
J'voudrais seulement dormir
M'étendre sur l'asphalte
Et me laisser mourir
Stone
Le monde est stone
Je cherche le soleil
Au milieu de la nuit
J'sais pas si c'est la Terre
Qui tourne à  l'envers
Ou bien si c'est moi
Qui m'fait du cinéma
Qui m'fait mon cinéma
Je cherche le soleil
Au milieu de ma nuit
Stone
Le monde est stone
J'ai plus envie d'me battre
J'ai plus envie d'courir
Comme tous ces automates
Qui bâtissent des empires
Que le vent peut détruire
Comme des châteaux de cartes
Stone
Le monde est stone
Laissez moi me débattre
Venez pas m'secourir
Venez plutôt m'abattre
Pour m'empêcher d'souffrir
J'ai la tête qui éclate
J'voudrais seulement dormir
"


Starmania - Photo: lfdd



Et communier avec toutes celles et tous ceux qui pendant presque trois heures ont réactivé un mythe des années 80 et en ont eu plein les yeux.

La Fleur du Dimanche

jeudi 9 février 2023

Burning Bright d'Hugues Dufourt par les Percussions de Strasbourg: Des éclairs sonores dans la nuit sombre

 Cinquante ans après Erewhon, première collaboration d'Hugues Dufourt, alors jeune compositeur, avec les Percussions de Strasbourg, Burning Bright (2014) ouvre une nouveau chemin, un nouveau regard dans leur collaboration. La pièce, dont le disque, sorti en 2016 fut couronné de plusieurs prix (Diapason d'Or, disque classique de l'année 2017 aux Victoire de la musique, Clé d'Or, Académie Charles Cross), a déjà été jouée au moins deux fois à Strasbourg. Mais c'est à chaque fois une redécouverte. Et c'est donc un grand plaisir de la revoir à Hautepierre dans le fief des Percussions de Strasbourg, comme une étoile dans la queue de la comète des célébrations du soixantième anniversaire du groupe, et en petite avance du 80ème anniversaire du compositeur.


Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


Sur scène, les six musiciens, pas tous les mêmes que sur l'enregistrement du disque, sont positionnés autour de la scène dans ce que l'on pourrait bien imaginer comme l'antre d'un magicien, un atelier mystérieux, amoncellement d'objets étranges. Hugues Dufourt, dans l'échange qui a suivi le concert a d'ailleurs expliqué qu'il avait jeté son dévolu, pour cette composition, sur tous les instruments de percussion considérés comme "accessoires", souvent relégués, exclus des partitions et qui, souvent, ont un rapport avec l'au-delà - et qui sont souvent utilisés dans les films d'épouvante. 


Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


On y trouve par exemple le waterphone, instrument hybride inventé par Richard Waters dans les années 60, mais aussi toutes les cloches, clochettes, crotales, gongs, plaques, morceaux de bois, blocs de bois, cymbales. Tous ces instruments vont être joués pour faire émerger en nappes, éclats, vibrations tournantes, des ondes et vagues qui passent d'un musicien à l'autre. 


Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


Des grondements enflent, des flashes sonores éclatent. Les sons rampent, s'étirent, montent en puissance, puis se calment à nouveau. De partout surgissent des sonorités inédites, qui se mélangent et se tordent, tournent. Les baguettes frappent nerveusement et en extension, sur les caisses, vibraphones, gongs, et se répondent d'un musicien à l'autre. Les cymbales vibrent et montent en tension, les gongs résonnent, les grosses caisses geignent et explosent.

 

Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


Cela bruisse, fourmille, se superpose en de multiples couches, pulsations, tourbillons. L'énergie couve puis se distend, éclate en flashes sonores. Pour finir, les sons grondent dans le lointain, s'enfuient, et s'éteignent doucement. 


Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


Le voyage initiatique et magique du Tigre de William Blake qui a inspiré la composition et le titre de la pièce s'achève. Un monde de ténèbres et d'éclats lumineux brefs et soudains repart dans la nuit. Le voyage intérieur, exploratoire de sensations insolites est terminé. A nous de le recommencer avec le disque. 


Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


Et nous remercions chaleureusement Hugues Dufourt pour qui nous apporte une nouvelle promesse (de fleurs) - lucide ou visionnaire* - de futur. Et nous tenons à saluer la prestation magnifique de la musicienne Hsin-Hsuan Wu, des musiciens François Papirer, Enrico Pedicone, Alexandre Esperet, Thibaut Weber et Minh-Tâm Nguyen, également directeur artistique des Percussions de Strasbourg qui nous ont emmené dans ce magnifique voyage dans la jungle et les étoiles. 


Percussions de Strasbourg - Burning Bright - Hugues Dufourt - Photo: Robert Becker


Tyger, tyger


Tyger tyger, burning bright 
In the forests of the night, 
What immortal hand or eye 
Could frame thy fearful symmetry? 
In what distant deeps or skies 
Burnt the fire of thine eyes? 
On what wings dare he aspire? 
What the hand dare seize the fire? 

Tigre, Tigre! ton éclair luit
Dans les forêts de la nuit,
Quelle main, quel oeil immortels
Purent fabriquer ton effrayante symétrie
Dans quelles profondeurs, quels cieux lointains
Brûla le feu de tes yeux?
Aucune aile ne pourra les atteindre.
Aucune main ne pourrait forger ton regard. 


La Fleur du Dimanche


* En 2016, dans le livret du disque Burning Bright, Hugues Dufourt termine par ces mots:

"L'espace qu'on y découvre, un espace à la Kubrick, pourrait devenir, malgré les espoirs de notre époque, celui d'un éternel confinement"

mercredi 8 février 2023

L'aventure d'EVE de Voix de Stras: Donner de la voix sans entrave et sans frontière

Le concert donné au Munsterhof à Strasbourg par l'ensemble Voix de Stras sous la direction de Catherine Bolzinger avec des femmes, membre du chœur de l’Asian University for Women de Chittagong est le résultat d'un projet très intéressant et très symbolique d'ouverture des frontières et de collaboration internationale.
Par le truchement de la musique vocale, Catherine Bolzinger avait déjà fait un travail de collecte de musiques populaires auprès d'une population cosmopolite à Schiltigheim pour valoriser ces populations étrangères par leur culture, projet qui a abouti à un concert et un disque*. 

Voix de Stras - Catherine Bolzinger - Projet EVE - Photo: Robert Becker


Elle a initié ce projet avec l'Université de Chittagong qui accueille des femmes du continent asiatique pour leur permettre de faire des études et de développer leur émancipation et leur autonomisation. Un séjour d'échange et de formation en juillet 2022 a abouti à la venue de quelques-unes de ces étudiantes qui font partie du Choeur de L'Université. Ainsi Merci Kikon originaire du Nagaland, Azii Hrizzini du Manipur en Inde et Easha Asma Ulfath du Bangladesh sont venues à Strasbourg pour travailler un répertoire, dont une création du compositeur Lionel Ginoux Visages, s'appuyant sur des chansons et airs traditionnels d'Asie, un Sanctus de la Messe à trois voix d'André Caplan, Raison Labiale de Pascal Zavaro et des compositions de Catherine Bolzinger.


Voix de Stras - Catherine Bolzinger - Projet EVE - Photo: Robert Becker


Ce sont quatre de ces chansons qui introduisent le concert: Bela (tribu Tripura du Bengladesh), Novita (Timor Oriental), Manjana (Bengladesh) et Roshani (Népal). Les compositions valorisent les variations du choeur en laissant aussi l'expression des accents traditionnels - Easha par exemple qui pour certains chants retrouve un son plus "ethnique". Certaines sont plus douces, d'autres plus entraînantes, avec des voix qui s'élèvent dans les aigus ou des murmures qui nous bercent.
Pour le Sanctus d'André Caplan nous avons donc trois voix qui de temps en temps se retrouvent à l'unisson et le parallèle avec les Visages de Lionel Ginoux nous font écouter cette "prière" avec une oreille nouvelle. Et cela d'autant plus avec les deux pièces suivantes Yumunai attrile arrangée par Catherine Bolzinger à partir d'un chant du Sri Lanka, combinant voix se promenant dans les airs, murmures et caquètements et chanson de marche, le tout servi avec un bel humour. Ou encore, tout aussi humoristique, si l'on veut - on en saisira toute la saveur lors du bis où le choeur se lâche dans la légèreté d'interprétation joyeuse - avec Raison Labiale, une composition mixant onomatopées, cris rythmés énergiques, sifflements, inspirs et expirs, claquements de langue et des doigts, soupirs dans une belle cacophonie bien ordonnée.

Voix de Stras - Catherine Bolzinger - Projet EVE - Photo: Robert Becker


Kharnaphuly de Catherine Bolzinger s'oriente plus vers une mélopée intériorisée avec frappe des mains sur la corps et belles variations du choeur.
Soma de Lionel Ginoux, débute par un chant patriotique de Rabindraha Tagore déclamé par Easha et pour clore, la pièce Marjana (tribu Chakma du Bengladesh) est un petit bijou de virtuosité avec des accords vocaux presque dissonants et des glissandos surprenants.
Zingarella de Catherine Bolzinger nous offre un beau collage d'airs, de Verdi à Bizet en passant par Abba, Ennio Morricone et des tangos où les interprètes s'éclatent et s'en donnent à "choeur joie".


Voix de Stras - Catherine Bolzinger - Projet EVE - Photo: Robert Becker


Sophorn (Visages) débute par une prière et continue par des discours de liberté dits par chacune des choristes dans sa propre langue (on y entend par exemple le discours de Martin Luther King du 28 août 1963 "I have a dream").
La dernière pièce est ausi une transcription par Catherine Bolzinger de la chanson du chanteur catalan Lluis Llach l'Estaca (le pieu), chanson symbolique de lutte contre le franquisme qui dit bien qu'il faut lutter ensemble pour se libérer:
"Si estirem tots, ella caurà, 
si jo estiro fort per aquí 
i tu l'estires fort per allà, 
segur que tomba, tomba, tomba, 
i ens podrem alliberar"

 "Si nous tirons tous, il va tomber, 
si je tire fort vers ici, et que tu tires fort par là,
 il est certain qu'il tombe, tombe, tombe, 
et nous pourrons nous libérer"

Un peu à l'image de ce concert où, en faisant corps et choeur ensemble, de tous ces pays réunis, nous, et surtout les chanteuses, font avancer la liberté et l'émancipation des femmes ici et chez elles.

Voix de Stras - Catherine Bolzinger - Projet EVE - Photo: Robert Becker


Et comme ce récital est aussi un plaisir, et que le plaisir ne s'arrête pas d'un coup, nous avons droit à un bis, avec la reprise de Yumunai attrile, toujours bien entraînant, suivi par Raison Labiale, pour prouver que la musique contemporaine n'est pas triste - et les interprètes le prouvent - puis, pour ne pas oublier les motivations profondes quand même, on reprend l'émouvant Estaca. Et on se donne rendez-vous ce vendredi à l'église de Breitenbach dans le Val de Villé, prochaine étape de ce périple qui passant par Paris s'achèvera (provisoirement) à Chittagong en Inde aprsè être passe par Ay, Kehl, Paris, Marseille, Genève, .... et continuer après à Dacca et Ukhia dans un camp de réfugiés rohingyas...

Bon vent aux EVE (Empower Vocal Emancipation) et aux Voix de Stras.


La Fleur du Dimanche 


Catherine Bolzinger, la chef alsacienne
Lilia Dornhof, soprano sibérienne
Haelim Lee, soprano sud-coréenne
Rebecca Lohnes, soprano américaine 
Gayané Movsisyan, mezzo arménienne 
Mathilde Mertz, mezzo alsacienne 
Manuela Rovira, alto uruguayenne

* Et le disque c'est "Nos chansons dans les rues"