Par le truchement de la musique vocale, Catherine Bolzinger avait déjà fait un travail de collecte de musiques populaires auprès d'une population cosmopolite à Schiltigheim pour valoriser ces populations étrangères par leur culture, projet qui a abouti à un concert et un disque*.
Elle a initié ce projet avec l'Université de Chittagong qui accueille des femmes du continent asiatique pour leur permettre de faire des études et de développer leur émancipation et leur autonomisation. Un séjour d'échange et de formation en juillet 2022 a abouti à la venue de quelques-unes de ces étudiantes qui font partie du Choeur de L'Université. Ainsi Merci Kikon originaire du Nagaland, Azii Hrizzini du Manipur en Inde et Easha Asma Ulfath du Bangladesh sont venues à Strasbourg pour travailler un répertoire, dont une création du compositeur Lionel Ginoux Visages, s'appuyant sur des chansons et airs traditionnels d'Asie, un Sanctus de la Messe à trois voix d'André Caplan, Raison Labiale de Pascal Zavaro et des compositions de Catherine Bolzinger.
Ce sont quatre de ces chansons qui introduisent le concert: Bela (tribu Tripura du Bengladesh), Novita (Timor Oriental), Manjana (Bengladesh) et Roshani (Népal). Les compositions valorisent les variations du choeur en laissant aussi l'expression des accents traditionnels - Easha par exemple qui pour certains chants retrouve un son plus "ethnique". Certaines sont plus douces, d'autres plus entraînantes, avec des voix qui s'élèvent dans les aigus ou des murmures qui nous bercent.
Pour le Sanctus d'André Caplan nous avons donc trois voix qui de temps en temps se retrouvent à l'unisson et le parallèle avec les Visages de Lionel Ginoux nous font écouter cette "prière" avec une oreille nouvelle. Et cela d'autant plus avec les deux pièces suivantes Yumunai attrile arrangée par Catherine Bolzinger à partir d'un chant du Sri Lanka, combinant voix se promenant dans les airs, murmures et caquètements et chanson de marche, le tout servi avec un bel humour. Ou encore, tout aussi humoristique, si l'on veut - on en saisira toute la saveur lors du bis où le choeur se lâche dans la légèreté d'interprétation joyeuse - avec Raison Labiale, une composition mixant onomatopées, cris rythmés énergiques, sifflements, inspirs et expirs, claquements de langue et des doigts, soupirs dans une belle cacophonie bien ordonnée.
Kharnaphuly de Catherine Bolzinger s'oriente plus vers une mélopée intériorisée avec frappe des mains sur la corps et belles variations du choeur.
Soma de Lionel Ginoux, débute par un chant patriotique de Rabindraha Tagore déclamé par Easha et pour clore, la pièce Marjana (tribu Chakma du Bengladesh) est un petit bijou de virtuosité avec des accords vocaux presque dissonants et des glissandos surprenants.
Zingarella de Catherine Bolzinger nous offre un beau collage d'airs, de Verdi à Bizet en passant par Abba, Ennio Morricone et des tangos où les interprètes s'éclatent et s'en donnent à "choeur joie".
Sophorn (Visages) débute par une prière et continue par des discours de liberté dits par chacune des choristes dans sa propre langue (on y entend par exemple le discours de Martin Luther King du 28 août 1963 "I have a dream").
La dernière pièce est ausi une transcription par Catherine Bolzinger de la chanson du chanteur catalan Lluis Llach l'Estaca (le pieu), chanson symbolique de lutte contre le franquisme qui dit bien qu'il faut lutter ensemble pour se libérer:
"Si estirem tots, ella caurà,
si jo estiro fort per aquí
i tu l'estires fort per allà,
segur que tomba, tomba, tomba,
i ens podrem alliberar"
"Si nous tirons tous, il va tomber,
si je tire fort vers ici, et que tu tires fort par là,
il est certain qu'il tombe, tombe, tombe,
et nous pourrons nous libérer"
Un peu à l'image de ce concert où, en faisant corps et choeur ensemble, de tous ces pays réunis, nous, et surtout les chanteuses, font avancer la liberté et l'émancipation des femmes ici et chez elles.
Et comme ce récital est aussi un plaisir, et que le plaisir ne s'arrête pas d'un coup, nous avons droit à un bis, avec la reprise de Yumunai attrile, toujours bien entraînant, suivi par Raison Labiale, pour prouver que la musique contemporaine n'est pas triste - et les interprètes le prouvent - puis, pour ne pas oublier les motivations profondes quand même, on reprend l'émouvant Estaca. Et on se donne rendez-vous ce vendredi à l'église de Breitenbach dans le Val de Villé, prochaine étape de ce périple qui passant par Paris s'achèvera (provisoirement) à Chittagong en Inde aprsè être passe par Ay, Kehl, Paris, Marseille, Genève, .... et continuer après à Dacca et Ukhia dans un camp de réfugiés rohingyas...
Bon vent aux EVE (Empower Vocal Emancipation) et aux Voix de Stras.
La Fleur du Dimanche
Les Voix de Stras, c'est:
Catherine Bolzinger, la chef alsacienne
Lilia Dornhof, soprano sibérienne
Haelim Lee, soprano sud-coréenne
Rebecca Lohnes, soprano américaine
Gayané Movsisyan, mezzo arménienne
Mathilde Mertz, mezzo alsacienne
Manuela Rovira, alto uruguayenne
* Et le disque c'est "Nos chansons dans les rues"
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