Le théâtre s'inscrit dans l'histoire et Comme tu me veux de Pirandello présenté au TNS n'y échappe malheureusement pas. Les informations entendues à la radio et à la télévision qui parlent des exactions commises par les soldats (violences et viols) en Ukraine se répètent en écho dans cette histoire qui se situe dix ans après la Première Guerre Mondiale. Pirandello l'a écrite à Berlin après avoir quitté l'Italie où Mussolini était déjà au pouvoir et la didascalie projetée en introduction de la pièce sur des images de ruines de guerre indique et alerte sur la montée du fascisme en Europe. Et l'on se prend à vouloir conjurer le sort et espérer que l'histoire ne bégayera pas en reproduisant le même processus aujourd'hui.
Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot |
Mais nous sommes au théâtre, et chez Pirandello, c'est du magnifique théâtre: un texte ciselé - la traduction faite par le metteur en scène Stéphane Braunschweig lui-même - est d'une justesse et d'une vivacité virtuose. La parole rebondit d'un comédien à l'autre et les surprises et les coups de théâtre ou changements de points de vue fusent. La pièce est construite comme une intrigue policière où l'on recherche des indices pour savoir où se niche la vérité et quels faits seraient réels. C'est tout l'enjeu de la pièce et la présence d'un psychanalyste parmi les personnages démontre bien que les faits mais surtout ce qui est dit est sujet à interprétation. Et la pièce est une vaste démonstration que tout est interprétation et que, même la dernière scène, la dernière parole - et celle d'avant - ne sont pas à prendre pour argent comptant. Au point qu'elle nous fait revoir la pièce avec une lecture nouvelle qui nous donne envie de revenir pour une nouvelle soirée et la passer au tamis de ce noveau point de vue.
Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot |
Mais rassurez-vous, vous allez déjà être comblé(e)s par la chronologie première où le doute s'instille à chaque moment et où les mots dits par l'inconnue (magnifique et flamboyante Chloé Réjon débordante d'énergie) vous amènent à échafauder de multiples pistes et leur contraire. Car c'est presque elle, cette inconnue, dont on soupçonne un double (sinon trouble) passé qui décide presque comme une magicienne de la dynamique de l'ensemble de la pièce. Dès la deuxième scène, quand une facette de son portrait est tracée, elle énonce une vérité qui la met en porte-à-faux sur qui elle est - ou pourrait être. Et tout au long de la pièce, elle se joue à la fois de nous et de tous ses interlocuteurs qui semblent manipulés par elle, ses paroles, sa présence, ses apparitions - ou son absence. Et les autres personnages jouent avec elle cette partition de mots dits, échangés, rebondissants, dans cette perpétuelle interrogation, cette recherche d'une - illusoire - vérité.
Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot |
Tous les comédiens, subtilement distribués par Stéphane Braunschweig sont à l'harmonie des uns des autres: Claude Duparfait en écrivain sans souflle ni passion tout en virevoltes, Sharif Andoura qui campe un photographe volontaire qui croit en sa mission de la ramener au bercail, le superbe couple oncle et tante, Alain Libolt, délicat et Annie Mercier, puissante et nature, Pierric Plathier en mari déboussolé et l'impressionnante performance de Clémentine Vignais en folle. La symbolique des ruines et de la reconstruction qui sous-tend la pièce, et la vidéo de Maïa Fastinger projeté sur le magnifique mur de fond de scène en brique de la salle Koltès, en parallèle à la thématique douloureuse du "retour" à la maison des "disparus" et de leur reconstruction qui nourrit l'esprit de la pièce, tout comme celle des souvenirs ruinés et "reconstruits" (par quels moyens ?) est également une facette très bien mise en lumière dans cette mise en scène où le théâtre est en abyme. Et où l'on peut s'y perdre. Avec plaisir...
La Fleur du Dimanche
Au TNS Jusqu'au 4 mars 2023
A la Coursive - scène nationale, La Rochelle - le 1 et 16 mai 2023
Mise en scène, scénographie et traduction française Stéphane Braunschweig
Avec
Sharif Andoura
Jean-Baptiste Anoumon - Alexandre Pallu
Claude Duparfait*
Alain Libolt
Annie Mercier
Thierry Paret
Pierric Plathier
Lamya Regragui Muzio
Chloé Réjon
Clémentine Vignais
Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Vidéo Maïa Fastinger
Archives vidéo Catherine Jivora
Coiffures / Maquillage Karine Guillem Michalski