Comment fonctionne le souvenir, comment fonctionne la danse ?
Avec oe, la pièce qu'il crée pour le Festival Montpellier Danse, Pierre Pontvianne nous fait toucher du doigt ou plutôt de l'oeil et de l'entendement, très précisément quelques essais pour se rendre compte et nous permettre d'expérimenter par nous-même ce mécanisme. Dès le lever du rideau, le tableau est brossé: Sept danseuses et danseurs lévitent ici devant nos yeux sans que nous n'arrivions à les fixer. La lumière, une bande, les éclaire par réflexion iar le sol noir et, lentement nos yeux les captent et les situent. Tout aussi lentement, cette bande de lumière va littéralement les "balayer" des pieds à la tête en n'en éclairant qu'une fraction qui devient plus précise puis repart dans la pénombre, l'ombre d'elle-même jusqu'à ce qu'ils soient à nouveau engloutis dans l'obscurité dans un grand fracas d'éboulement. Ils étaient sept et l'on n'en retrouve plus qu'une dont seules les mains semblent visibles. La main se tend, d'un côté, puis de l'autre, lentement, le corps bouge doucement et occupe l'espace. Au loin, vraiment loin, on entend des bruits de la vie (une foule? des enfants ? une cour d'école ?des bruits de la nature...). Ces sons vont monter graduellement puis repartir. tout au long du spectacle. Des traits des cordes tenus émergent de temps en temps. un bruit frappe, la danseuse s'immobilise puis repart dans sa gestuelle mesurée et un grand bruit d'éboulement accompagne le noir sur le plateau.
oe - Pierre Pontvianne - Photo: Compagnie Parc |
Et ce sont deux danseurs qui occupent la scène, d'abord immobiles, puis qui vont se trouver, se retrouver, se quitter et se relier dans une suite de mouvements construits arrêtés de temps en temps pour s'effondrer à nouveau. La suite semble sûre, trois danseurs et danseuses se retrouvent sous les feux, après le noir complet qui nous lave la mémoire. Ils et elles vont réitérer ces gestes, ces essais de relation, ces rencontrer et ces enchaînements, dont nous essayons d'imaginer la succession, le rythme, le sens. Les situations se ressemblent, des arrêts en ligne en fuite ou en face, des déplacements, des postures, des gestes vers l'autre ou vers le ciel. Des essais de relations, de mouvements de groupe, des empêchements... Et toujours ces traits de cordes qui ponctuent, cette ambiance (ces enfants, cette foule au loin) qui habite l'atmosphère, et cet effondrement après la pause, et le noir, alors que l'on croyait que tout était reparti. Et ce sera donc ainsi, on l'a compris, et on l'attend, jusqu'à sept puisqu'ils étaient là, les sept. Ils seront tous sur le plateau, à réitérer des enchaînements, à se remettre dans des poses à différents moments, à construire ensemble un vécu peut-être déjà vécu, de manière de plus en plus précise et plus rapide, cette chorégraphie d'ensemble, ces liens qui se font et se défont. dans une danse totalement maîtrisée, dans une délicate précision des gestes. Les costumes sombres, bleu ou noirs, comme des vêtements de travail (création également de Pierre Pontvianne, tout comme la musique) disparaissent presque dans la lumière très précise de Victor Mandin (souvent des douches, ou des contrejours, sauf quand les choses, au bout d'un moment doivent se préciser).
oe - Pierre Pontvianne - Photo: Compagnie Parc |
Et alors que l'on pense que tout est terminé, il n'en est rien, Pierre Pontvianne va encore nous proposer des variations de cette grande variation dans différentes directions, quelquefois sur le mode de la révolte, de la violence: les bras, ou les poings, levés). Egalement une séquence totalement immobile (qui nous ferait penser à une sculpture de Duane Hanson) ou encore des chutes ou des mouvements à terre dans une attitude presque bestiale. Et nous essayons de retrouver des repères. Et nous nous demandons ce qu'il est encore possible de faire (et les possibilités sont multiples), quand tout à coup cela s'arrête avec un spot de lumière rouge qui éclaire une main tendue immobile…. Que s'est-il passé ? A nous de rembobiner les souvenirs.
Et curieusement il nous reste le souvenir d'un moment doux et glissant, où nous avons été bercé par de très belles variations de relations entre les corps qui se cherchent, se trouvent, se lient et se délient, s'attendent, se rejettent, se rattrapent, se tiennent, s'arrêtent et recommencent, à l'infini. Mais qu'avons-nous vu? Que s'est-il dansé devant nous ? Euh ....
La Fleur du Dimanche
Au Festival Montpellier Danse, le 30 juin et le 1er juillet 2023
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