Dernière soirée du Festival L'Année commence avec elles à Pôle Sud (Voir les billets sur la première, la deuxième soirée et celle qui a été présentée à la Pokop sous les liens). Et toujours place aux femmes.
Pour finir, et c'est très intéressant, on se retrouve sur des territoires à la frange de la danse, même si avec Silvia Gribaudi on interroge une certaine forme de danse. Mais ce qui caractérise cette soirée, c'est justement que la danse se frotte à des sujets voisins, d'une part le sport et d'autre part l'aérobic et le spectacle. Vous n'êtes pas obligés d'assister aux deux spectacles mais je recommande vivement à celles et ceux qui sont des vrais "fans" de sport d'aller voir Le Tir Sacré de Marine Colard et surtout de ne pas rater R.OSA de Silvia Gribaudi, d'autant plus qu'à l'issue du spectacle du samedi 29 janvier vous pourrez rencontrer et échanger avec l'interprète Claudia A. Marsicano, une personne qui a l'air formidable et toute l'équipe artistique lors d'un échange sympathique organisé avec l'Institut Culturel Italien.
Le Tir Sacré - Marine Colard
Marine Colard est comédienne, danseuse et chorégraphe et sa pièce Le Tir Sacré interroge le rapport du public et des fans en particulier au sport et à la compétition, également à l'image que le sport peut avoir sans image, par le commentaire en particulier. Elle nous fait expérimenter cela sur le mode déceptif dès le départ avec un "chauffeur de salle" - pas moins que Frédéric Voegel, l'animateur de la radio du Racing de Strasbourg qui essaie de nous mettre dans le bain du spectacle avec un décompte de sept minutes savamment orchestré avant une petite douche froide.
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Le Tir Sacré - Marine Colard - Photo: Anthony Devaux |
Le spectacle est à l'avenant, mix de musique entraînante et d'extraits de commentaires sportifs dans différentes disciplines (foot, escrime, boxe, badminton,...) qu'elle emprunte à de vrais journalistes (Fanny Lechevestrier et Bruno Salomon) ou qu'elle-même a enregistrés ou qu'elle fait en direct. Là dessus nous assistons à des variations gestuelles symboliques plus ou moins transposées de ces sports qu'elle fait en duo très danse contact avec Sophie Billon (qui a remplacé Esse Vanderbruggen qui avait créé la pièce avec Marine Colard) dont on peut admirer le corps sportif et sculptural (celui de Marine Colard étant le pendant critique de cette tendance, justifiant ironiquement son amour du sport par son envie de devenir journaliste n'ayant pas pu devenir chanteuse punk).
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Le Tir Sacré - Marine Colard - Photo: Anthony Devaux |
Cette vision distanciée et déconstruite atteint son sommet lors d'une course hippique où les protagonistes sont presqu'immobiles - nous n'avons qu'à faire marcher notre imagination (c'est la raison même du commentaire sportif à la radio). Déconstruction aussi avec la gymnastique qui lorgne du côté de Marey et distanciation-fusion dans la fausse proximité avec ces membres de l'équipe de foot féminine d'Auxerre (en silhouettes de carton) avec lesquelles elles viennent saluer. Un regard bien caustique sur le sport et ses afficionados.
R.OSA - Silvia Gribaudi
Avec R.OSA de Silvia Gribaudi où elle met en scène Claudia A. Marsicano, le challenge est ailleurs, et autrement plus risqué et délicat. Et toute l'intelligence et la sensibilité de Silvia Gribaudi va être d'amener étape par étape à transformer la perception du corps de l'interprète par le spectateur du statut d'un corps que l'on pourrait qualifier de corps étrange, étranger, que nous ne n'avons du tout, dans notre société hygiénisée, excluante et normative, l'habitude de voir, en un corps qui nous devient presque tellement familier parce qu'on l'a adopté, en tout cas que la personne est presque devenue notre amie. On pourrait même penser d'une manière symbolique au Petit Prince de Saint Exupéry et à sa rencontre avec le renard .
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R.OSA - Silvia Gribaudi - Photo: Gianfranco Rota |
Dans cette découverte du corps, étrange et insolite au premier regard, par petites touches: d'abord la voix qui sort de ce bloc immobile, puis la tête, le haut - dans une gestuelle fluide lente et qui s'accélère - qui aboutit à une démonstration agile de morphing dansé, et qui concentre notre attention sur l'agilité et la précision des gestes et leur beauté esthétique. Ensuite à nous incluant dans cette succession d'"exercices" (N°1, N°2,N° 3,...) de simili aérobic dans lesquels, en devenant "actifs" nous ne pouvons que comparer le geste et les performances aux nôtres sans compétition ni critique. Et où ne faisons plus qu'un seul organisme, spectateurs et actrice inclus.
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R.OSA - Silvia Gribaudi - Photo: Manuel Cafini |
Ainsi, elle nous donne le change et nous inclus dans ce combat pour une reconnaissance et une acceptation de soi, nous mêmes aussi devenons "rois et reines" en bombant le torse, ou les maîtres du rythmes en frappant, nous aussi toutes les parties de notre corps, qui nous appartient et qui n'est pas plus ou moins bien que le sien. Claudia Marsicano nous embarque avec encore plus d'empathie en jouant les grâces agiles, en référence à la peinture classique. Elle nous rappelle même avec tendresse les femmes de Botero. Et, après avoir dévoilé son corps auquel nous nous sommes familiarisé, elle le dénude encore plus pour nous mettre dans sa poche en nous montrant qu'elle aussi peut s'affranchir d'une certaine manière de la pesanteur et avoir sa propre légèreté.
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R.OSA - Silvia Gribaudi - Photo: Gianfranco Rota |
Une démonstration gagnante en dix exercices dispensés dans la joie et la bonne humeur nous fait nous sentir plus légers et heureux. Comme quoi l'inclusion bien vécue, avec empathie, peut faire tourner le monde dans le bon sens. Une belle leçon d'égalité, une leçon de poids.
La Fleur du Dimanche
A voir à Pôle Sud encore le 29 janvier 2025 à 19h00 et 20h30
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