Le Festival Premières, le festival dédié au jeunes scènes européennes revient pendant trois semaines au Maillon avec des propositions variées qui interrogent à la fois le spectacle, notre société et l'acte théâtral.
Les deux premières pièces nous viennent de Salzbourg avec Giulia Giammona qui a travaillé avec quelques grandes pointures du théâtre international et d'une compagnie crée par Chun Shing Au originellement à Hong-Kong et naviguant entre Halifax au Canada et Amsterdam.
PENELOPE - Leonora Carrington - Giulia Giammona
Leonora Carrington, artiste surréaliste a, un temps avant la deuxième guerre mondiale, partagé la vie de Max Ernst (leur maison est en Ardèche) avant d'aller au Mexique, avec un passage en Espagne où elle a été internée suite à une dépression. Sa pièce Penelope n'a apparemment été publiée que dans les années 1960.
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Penelope - Leonora Carrington - Giulia Giammona - Photo: Alice Silvera, Marielle Mayer |
Elle décrit les atermoiements et les hésitations d'une adolescente qui lors de l'anniversaire de ses dix-huit ans, arrive difficilement à passer ce cap. Leonora Carrington a peint des costumes pour cette pièce mais la mise en scène de Guilia Giammona pour ce spectacle va vers plus de sobriété avec des costumes noirs ou blancs, des personnages dont les têtes et les visages sont cachés derrière des voiles (inspirés d'une sculpture de Carrington de femmes au visage absent ?). Il y a aussi le vert de son voile et de son costume (comme son portrait d'elle au Mexique par Max Ernst). Les chansons, dont Greensleeves (la dame aux manches vertes) chantée et jouée à la harpe impriment une certaine tristesse dès le début du spectacle et la Llorona (la pleureuse) ne peut que renforcer cette ambiance.
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Penelope - Leonora Carrington - Giulia Giammona - Photo: Alice Silvera, Marielle Mayer |
Côté décor, le sol en carreaux d'échiquier noir et blanc, jeu emblématique des surréaliste, et une balançoire suspendue dans le ciel nous introduisent dans décor de rêve surréaliste et impriment des images fortes dans notre mémoire. D'autres images symboliques comme l'oeuf de pigeon, la table de buffet ou les références au cheval (Tartare), comme la bride et le harnais, des morceaux de sculpture (cheval éclaté?) et surtout ces beaux costumes noirs de derviche soutiennent le texte un peu débridé. Et les scènes oscillent entre élans jubilatoires et fortes sensations de souffrance qui tiraillent Penelope entre son père, sa mère et ses amies.
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Penelope - Leonora Carrington - Giulia Giammona - Photo: Alice Silvera, Marielle Mayer |
Penelope se retrouve suspendue, enfermée dans son mutisme et sa douleur, ou alors partant sur des échappées, au galop dans une tempête agitée et furieuse. La pièce joue sur les espaces mouvants et les ruptures, avec de brusques coupures au noir. Elle intègre aussi des extraits filmés d'un entretien avec Leonora Carrington qui parle de manière forte et volontaire de son travail, son art et de son statut et qui apporte une belle connaissance de cette artiste et de son imaginaire singulier.
GPO Box N° 211 - Chun Shing Au
Pour la pièce GPO Box N° 211 de Chuh Shing Au, la lettre donnée à l’entrée de la salle au spectateur par Chuh Shing Au contient un certain nombre d’indices pour la lecture et le décodage de la performance qu’il va réaliser. L’on comprend par exemple que cette lettre adressée à son ami Siu Ming emprisonné à Hong Kong est forcément plus ou moins codée pour des raisons de sécurité. On y parle bien sûr de restriction et de crainte de "révéler des choses", également d’ "autocensure", de "contrainte", et de "régime autoritaire". On cite cependant Joshua Wong, un militant pro-démocratique qui dit "Bien que mon corps ne soit pas libre, tant que mon esprit l’est, je le suis". Chuh Shing Au y parle aussi de ses interrogations sur son engagement politique dans son travail et souligne le fait qu’il devrait "apprendre les gestes de premier secours sur un champ de bataille" et, pour finir en parlant de la nostalgie de certaines friandises locales, révèle les contraintes kafkaïenne des autorisation d’entrée dans la prison (37 grammes autorisés pour un paquet de M&M’s qui se vend 40 grammes en général).
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GPO Box N° 211 - Chuh Shing Au - Photo: Thomas Lenden |
Ces élément et quelques observations vont nous aider à essayer de "lire" ce que nous voyons sur le plateau, qui pour le moment est jonché de nombreuses feuilles froissées ou moins froissées que l’on imagine être d’autres lettres de cette correspondance, et ces lettres "vivent" sur scène, mues par des petits soubresauts et ondulations, dans une rythmique aléatoire et puis très coordonnées quand il s’agit pour Chuh Shing Au de faire le ménage sur le plateau, après avoir un temps construit, sur table à droite une maquette d’un bâtiment (prison, tour de guet ou d’aéroport, ..) blanc. Après avoir rassemblé à gauche ces feuilles éparses froissées, Chuh Shing Au s’approche d’un grand rouleau dont il va dévider une très grande feuille qu’il va manipuler, aplanir, transformer tout au long de la suite.
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GPO Box N° 211 - Chuh Shing Au - Photo: Thomas Lenden |
Ce théâtre d’objets – et de sons parce que la vie du papier est sonore verra sa forme et ses fonctions successivement passer de cachette à socle de ce bâtiment, devenir un vrai personnage et avoir une vie intérieure, devenir poste d’observation et salle de commande (télécommande) de l’extérieur, devenir fantôme et esprit ou ectoplasme hanté, organisme essayant de s’échapper et se heurtant à des obstacles infranchissables pour, au final devenir le marchepied d’une marche de libération où, bien que restant au même endroit, notre personnage avance quand même. La pièce extrêmement sobre et hypnotique, faites de petits riens, de détails infimes et de sons à la fois discrets mais aussi surprenants quand il s’agit du bruit du papier, nous incite à décaler le regard et à observer ce que l’on voit avec une autre perception, un autre mode de compréhension pour y découvrir les signes discrets d’une certaine libération, d’un esprit qui arrive à traverser des murs.
La Fleur du Dimanche
Merci! Et je me demandais si son micro à la jambe fonctionnait ...j avais l impression que non .. Agnès
RépondreSupprimerLe micro dans quel spectacle ? Dans le premier, les micros étaient un peu perturbants.... pas qu'à la jambe surtout à l'oreille !
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