mardi 17 janvier 2023

Un sentiment de vie de Claudine Galea au TNS: Comme une chanson douce...

 Claudine Galea a plusieurs familles: la sienne, qu'elle essaie de qualifier de "normale" mais dont nous allons nous rendre compte qu'elle a un destin assez extraordinaire, la famille des livres, auteurs et autrices, écrivains, qui la nourrit et l'entoure, et son public, celui qui lit ses livres et assiste à ses pièces de théâtre, dont ce public du TNS qui assiste à cette pièce "Un sentiment de vie".


Un sentiment de vie - Claudine Galea - Valérie Dréville - Emilie Charriot- Photo: Jean-Louis Fernandez


Pour ces derniers, le choix de la metteuse en scène-comédienne Emilie Charriot de faire jouer Valérie Dréville sur une scène nue face à lui dans la salle qui reste éclairée, est une très bonne idée qui amène une empathie certaine et quelques surprises tout au long du spectacle. Valérie Dréville s'y tient droite, face à nous, simple et directe, elle nous dit, chuchote presque ce texte, révélé à nous et dont on saisit bien les trois étapes ou niveaux. Elle est l'interprète idéale et incarne à merveille cette confession qui va de l'intime, son jardin secret, ses sentiments et ses peurs, jusqu'à une certaine universalité, autant dans l'Histoire que dans la littérature, en passant par la réactivation de la mémoire de moments passés avec son père dans ses derniers jours. Elle conjugue la proximité et la complicité avec son public tout en reprenant quelquefois de la distance, de la hauteur, pour remettre la réalité à sa place, avouant par exemple que dans cette famille, ils n'étaient pas d'accord, c'est peut-être pour cela qu'ils ne s'étaient pas assez parlé.


Un sentiment de vie - Claudine Galea - Valérie Dréville - Emilie Charriot- Photo: Jean-Louis Fernandez


Pour commencer,  Claudine Galea explore ce besoin qui la taraudait d'écrire sur sa famille et qui s'est libéré grâce à son frère en écriture, Falk Richter et sa pièce autobiographique "A secret garden".  On saisit la mue, la transformation de l'autrice qui s'immerge dans son sujet, qui prend corps dans son histoire, avec tout le plaisir qu'elle a de s'y incarner, équivalent à celui d'enfiler le jean d'un amant et de rentrer dans son corps. Et donc d'écrire non pas "pour" mais "avec". Avec son frère en écriture, avec sa famille, avec son père, avec les autres écrivains, avec nous. Avec Lenz aussi, le vrai, celui qui a besoin de l'Amour, tout comme celui de Büchner qui "Le 20 janvier alla dans la montagne...", où elle dit avec Oberlin "Nous nous aimons... nous vous aimons" en se demandant si "les livres sauvent?". 


Un sentiment de vie - Claudine Galea - Valérie Dréville - Emilie Charriot- Photo: Jean-Louis Fernandez


Et nous basculons dans la deuxième partie, dans laquelle, grâce aux souvenirs de chansons, ressuscitées et partagées avec le public, nous refaisons avec elle les chemins (de croix) entre le domicile familial et l'hôpital avec son père pour ses soins. Et par la magie des chansons, la voix, celle de son père et celle du chanteur "The Voice", le crooner Franck Sinatra, les rôles sont mélangés: la narratrice devient son père et chante, comme lui, les chansons et dit" je" à sa place. Elle s'incarne en lui, et, la fin étant proche, l'assume en devenant un simple humain qui souffre, jure (en arabe aussi, la langue d'origine) en balançant entre l'amour et les larmes:

And now the end is near
And so I face the final curtain
My friend, I'll say it clear
I'll state my case of which I'm certain
...
The record shows, I took the blows
And did it my way
Yes it was my way


Un sentiment de vie - Claudine Galea - Valérie Dréville - Emilie Charriot- Photo: Jean-Louis Fernandez


Donc, dans la troisième partie, la vie n'étant rien d'autre que la vie, que l'écriture n'est pas là pour réparer et que tout s'est fissuré, il faut écrire. Ecrire et convoquer les autre écrivains, témoigner aussi de leur mort, quelquefois violentes, quelquefois désespérées, quelquefois oubliées, les convoquer en procession, en litanie, en citation. Convoquer à nouveau Lenz et "marcher sur la tête", reprendre des chansons, reprendre le fil du récit, passer de la petite histoire à la grande, avec un grand H et à l'universel, en faisant témoigner tous ces autres dans un savant équilibre pour ne pas perdre pied. Et prendre la fin de la phrase, et saisir le coeur,  saisir l'amour. Pour continuer, et transmettre.

C'est chose faite avec le public, qui a perçu, vécu, chacune et chacun à sa façon ce récit de perte, d'amour non exprimé, qu'il est trop tard d'avouer à celui qui aurait dû le recevoir ou le dire, trop tard pour celles et ceux qui ne sont plus là. Mais qui nous conforte dans notre sentiment, dans notre amour et nous invite à le dire aussi, chacun de notre côté.

Et l'on remercie très chaudement ce petit trio, l'autrice Claudine Galea, la comédienne Valérie Dréville et la metteuse en scène Emilie Charriot soutenues par le discret éclairage d'Edouard Hugli d'avoir partagé avec nous ce moment d'émotion pure.



La Fleur du Dimanche


Un sentiment de vie


Au TNS du 17 au 27 janvier 2023

Création au TNS le 17 janvier 2023

Tournée:

Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse): du 1er au 11 février 2023

Paris - Théâtre des Bouffes du Nord: du 11 au 18 janvier 2024 


Texte Claudine Galea*
Mise en scène Émilie Charriot
Avec Valérie Dréville*
Lumière Édouard Hugli
Costumes Émilie Loiseau

Production Compagnie Émilie Charriot
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre Vidy-Lausanne
Coréalisation Théâtre des Bouffes du Nord, Paris

Avec le soutien de la Fondation Leenaards, , la Fondation Jan Michalski, la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, la Fondation suisse des artistes interprètes (SIS).
La compagnie est au bénéfice d’une convention de subventionnement avec la Ville de Lausanne et le Canton de Vaud.
Remerciements à l’Odéon-Théâtre de l’Europe
Diffusion, administration et production Sarah Gumy, Marko Rankov, Christèle Fürbringer]
Claudine Galea est représentée par L’Arche, agence théâtrale.


Le texte est publié aux éditions Espaces 34.

* Valérie Dréville et Claudine Galea sont artistes associées au TNS.


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