Ce n'est pas la première fois que le Ballet de l'Opéra National du Rhin propose une pièce de William Forsythe, j'ai d'ailleurs été surpris de (re)découvrir que déjà la première année du blog de La Fleur du Dimanche (qui vient de fêter ses quatorze ans), je parlais de la présentation de sa pièce Workwithinwork en novembre 2011 ! Et Quintett a été présenté en 2017 lors d'une soirée consacrée aux grands chorégraphes du XXIème siècle par Bruno Bouché qui venait d'arriver à la tête du Ballet. A noter également que dans la distribution, trois des interprètes sont encore présent(e)s huit ans après (Ana Enriquez, Susie Buisson et Marwik Schmitt). De même, Enemy in the Figure s'est aussi retrouvé dans le programme Spectres d'Europe en 2023. Rien d'étonnant puisque William Forsythe, ce danseur et chorégraphe américain qui s'est d'abord installé à Stuttgart, engagé comme danseur par John Cranko en 1973 dans le Stuttgarter Ballett, sous la direction de Marcia Haydée, puis à Francfort en 1984 où il dirige le Ballet de la ville qui prendra son nom jusqu'à ce qu'il crée sa propre compagnie en 2004. William Forsythe a développé un style très personnel et particulier, dynamitant la danse classique et néoclassique, mêlant le vocabulaire de la danse classique avec un imaginaire et une inventivité très actuelle, croisant les arts et s'ouvrant à d'autres expressions, comme les installations et utilisant avec délice et très tôt les nouvelles technologie et l'interactivité. Ses installations par exemple perturbent la perception de l'espace et avec White Bouncy Castle, le spectateur n'est pas regardeur mais acteur. Pour William Forsythe "Le vocabulaire n'est pas, ne sera jamais vieux. C'est l'écriture qui peut dater. La grande différence entre hier et aujourd'hui réside dans la façon de bouger et de concevoir l'espace où l'on se meut." Et c'est sur cela qu'il travaille: déconstruire le mouvement, le tordre, le retourner et lui donner des contraintes ou des obstacles, faire intervenir des éléments extérieurs, calculer ou non d'autres choses et des interactions, partir sur des pistes, les creuser et voir où elles vont.
Avec le programme "William Forsythe" de ce soir nous avons de manière intéressante trois directions sur lesquelles il va créer. Et ce qui est intéressant aussi c'est que ces trois chorégraphies sont déjà anciennes, datant d'autour des années 90, dont la plus ancienne, Enemy in the Figure est la plus désarçonnante.
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William Forsythe - Quintet - Ballet National de l'Opéra du Rhin - Photo: Agathe Poupeney |
Quintett qui débute la soirée, créé en 1993 par le Ballet de Francfort et entré au répertoire du Ballet de l'Opéra National du Rhin en 2017, nous parle de fragilité et d'instabilité. Suivant la bande son de la pièce minimaliste envoûtante de Gavin Bryars Jesus' Blood Never Failed Me Yet qui émerge doucement du silence avec cette voix qui répète en boucle "Le sang de Jésus ne m’a jamais abandonné, c’est une chose que je sais, tout comme je sais qu’il m’aime.", dans une montée en puissance et l'orchestration qui la magnifie au fur et à mesure, les danseuses et les danseurs, entre animalité et brisure, inlassablement se lèvent, avancent puis reculent, font des gestes amples et s'effondrent. Ils sortent et reviennent, se retrouvent puis se cassent et se séparent, portés par un élan brisé, sautent et retombent dans un cycle qui pourrait ne pas finir, d'ailleurs cela s'achève sans se terminer, même si on en devine l'issue.
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William Forsythe - Quintet - Ballet National de l'Opéra du Rhin - Photo: Agathe Poupeney |
Les deux danseuses et les trois danseurs interprètent, incarnent littéralement la musique et le mouvement, adaptés à des corps divers pas forcément dans les canons du "classique" mais l'ensemble est à la fois riche et magnifique.
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William Forsythe - Trio - Ballet National de l'Opéra du Rhin - Photo: Agathe Poupeney |
Avec Trio, une pièce créée par le Ballet de Francfort en 1996 qui entre au répertoire du Ballet de l'Opéra National du Rhin, nous changeons de style. Cela démarre par une "exposition" du propos, à savoir des mises en valeur de "parcelles" des corps de la danseuse et des deux danseurs (coude, épaule, genoux, flanc, fesse, main,...) dans des poses démonstratives avant de mettre toutes ces parties du corps en mouvement et des les lier par des chorégraphies où à la fois le corps et l'espace du plateau, de manière métonymique se retrouvent exposés et explorés.
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William Forsythe - Trio - Ballet National de l'Opéra du Rhin - Photo: Agathe Poupeney |
Cela donne un ballet plaisant et surprenant, coloré et plein d'humour. A l'image aussi de cet Allegro du 15ème Quatuor à corde de Beethoven, qui démarre et s'arrête et reprend sans cesse. Un autre manière de voir le mouvement et le corps, avec des costumes très colorés de Stephen Galloway.
Et donc, Enemy in the Figure, après l'entracte, nous présente la pièce la plus ancienne de ce répertoire. C'est sur une composition électronique du musicien Thom Willems qui a travaillé avec William Forsythe sur plus de 60 ballets depuis qu'il était à Francfort que se déroule un étrange manège.
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William Forsythe - Enemy in the Figure - Ballet National de l'Opéra du Rhin - Photo: Agathe Poupeney |
La musique en tensions, battements, nappes sonores, transformations, fait exister un espace habité mais aussi caché, traversé par onze danseurs dans tous les sens, devant ou derrière un panneau en bois faisant un paravent comme une grande vague verticale en travers du plateau. La vie est même dans les ondulations d'une drisse (on ne dit pas corde sur un plateau) dont les ondes traversent de temps en temps l'arrière de la scène ou le côté gauche, ou encore un très grand projecteur sur roulettes qui, déplacé par l'un ou l'autre danseur fait varier l'éclairage et l'espace de la scène, coupant ou révélant des parties du décor et des énergies qui s'y révèlent.
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William Forsythe - Enemy in the Figure - Ballet National de l'Opéra du Rhin - Photo: Agathe Poupeney |
Parce que de l'énergie, il y en a dans tous les coins, des danseurs et des danseuses n'arrêtent pas d'entrer et sortir de scène, de se trouver devant ou derrière ce mur ondulant, d'apparaître en courant, sautant, tournant et dansant seul, à deux ou plus dans une énergie débordante, avec des costumes originaux, dont des maillots blancs et des jupettes à volant noirs à pompons ou même tout un costume du même acabit. On a l'impression qu'ils se trouvent et se perdent dans des mondes parallèles, toujours en fractures et en torsions. Une expérience étrange, une performance pour la troupe du Ballet de l'Opéra National du Rhin dont ils se sortent haut la main, et le pied !
La Fleur du Dimanche
A Strasbourg - Opéra du Rhin - du 27 février au 2 mars 2025
A Mulhouse - La Filature - le 14 et 16 mars 2025
Pièce pour 5 danseurs
Reprise. Créée en 1993 par le Ballet de Francfort. Entrée au répertoire du Ballet de l’OnR en 2017.
Chorégraphie
William Forsythe
En collaboration avec
Dana Caspersen, Stephen Galloway, Jacopo Godani, Thomas McManus, Jones San Martin
Musique
Gavin Bryars
Costumes
Stephen Galloway
Décors et lumières
William Forsythe
Pièce pour 3 danseurs
Entrée au répertoire. Créée en 1996 par le Ballet de Francfort.
Chorégraphie et scénographie
William Forsythe
Musique
Ludwig van Beethoven
Lumières
Tanja Rühl
Costumes
Stephen Galloway
Pièce pour 11 danseurs
Reprise. Créée en 1989 par le Ballet de Francfort. Entrée au répertoire du Ballet de l’OnR en 2023.
Chorégraphie, scénographie, lumières et costumes
William Forsythe
Musique
Thom Willems
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