La mer nous accueille, immense et double sur grand écran dans la salle Gignoux du TNS pour le spectacle Superstructure mis en scène par Hubert Colas à partir de textes du livre Gratte-ciel, récit de Sonia Chiambretto. Une jeune femme se tient immobile et silencieuse puis d'autres jeunes, femmes et hommes arrivent pour placer des structures en bois sur l'avant de la scène, maquette du projet "Obus" que l'architecte Le Corbusier avait prévu dans les années 1930 pour revitaliser et rénover Alger.
Superstructure - Sonia Chiambretto - Hubert Colas - Photo: Hervé Bellamy |
Les comédiens prennent place sur l'avant de la scène, sur le plateau - surface de projection - et sur des bouts de la maquette et tirent le fil de l'origine du récit. Il s'agit de témoignages, récoltés et arrangés de manière poétique par Sonia Chiambretto et qui racontent, de manière intime et personnelle les souvenirs des années de la "décennie noire" qui ont débutés le 26 décembre 1991 par l'annulation des élections par le gouvernement et une longue guerre civile qui a fait entre 60.000 et 150.000 morts. Le récit commence par la présentations des protagonistes à l'image de la démarche qu'a effectué l'autrice elle-même après avoir été réagi à ce drame qui semblait être totalement occulté face à la mort - à la même époque de Lady Di:
"...j’ai retrouvé mes cousines Ksu et Djenat. Elles avaient quinze ans. Elles vivaient sur les hauteurs d’Alger, dans les quartiers riches. Elles ont commencé à me raconter leur quotidien dans la «décennie noire». Tout est allé très vite. Elles m’ont mise en relation avec un copain à elles, qui m’a mise en relation avec un cousin, qui m’a mise en relation avec un terroriste, qui m’a mise en relation avec un repenti, qui m’a mise en relation avec un gendarme, qui m’a mise en relation avec un ancien moudjahidin… "
Superstructure - Sonia Chiambretto - Hubert Colas - Photo: Hervé Bellamy |
La narration distribuée sur le plateau se fait face aux spectateurs, sans violence, mais sans échappatoire non plus. Et tandis que, sur l'écran nous nous approchons de la côte et du port d'Alger dans lequel nous rentrons, puis que sur l'écran des vues des architectures de la ville s'inscrivent, la parole est distribuée à tous les protagonistes qui nous construisent une mémoire que nous ignorions, qui était occultée, cachée et même niée. Nous apprenons les exactions commises, les crimes et les assassinats, en essayant de transposer cela chez nous. Comme le dit encore Sonia Chiambretto:
"Imaginez si en France, tous les intellectuels et artistes, chanteurs, réalisateurs, poètes, étaient décimés, assassinés, pendant une décennie ! S’ajoutait un sentiment de confusion : on finissait par ne plus savoir d’où venaient les coups, entre les faux barrages, les faux soldats, les vraies milices, les vrais militaires se transformant en faux terroristes pour intimider les populations qui abritaient les islamistes dans les villages. Qui est qui? Qui tue qui?"
Superstructure - Sonia Chiambretto - Hubert Colas - Photo: Hervé Bellamy |
Un gouffre immense nous apparaît, un vide dans l'histoire, mais les événements, après cette "décennie noire", ces années de braise, ne semblent pas terminer, la confusion et la violence ne s'éteignent pas sur décret et les témoignages restent encore accusateurs. La "Concorde" ce n'est pas encore la paix, ni la fin de la violence et la liberté. Le texte se projette vers le futur et suppose que "cette histoire ne se finira jamais et qu’il reste beaucoup à dire et à faire pour énoncer tout ce que la terreur a étouffé."
Superstructure - Sonia Chiambretto - Hubert Colas - Photo: Hervé Bellamy |
Comme témoignage de ce pessimisme, la dernière partie, après un entracte, mais considéré comme une apparition ou un phantasme par l'auteur, le récit qui revient à la "guerre d'Algérie", le récit de combats de la fin des années 1950, entre autres l'embuscade de Palestro en 1956 qui a eu un écho important en France à l'époque, racontée par des combattants en tenue de camouflage dans un décor de forêt sombre - entre autres un personnage qui joue le dialogue entre un général et son subalterne - nous pousse à croire que le chemin vers la sérénité est encore loin, en dépit de la parenthèse finale d'une troupe joyeuse et optimiste qui danse et chante sur la chanson Pata-Pata que Myriam Makeba chantait en 1969. Mais la "Bataille d'Alger" (un extrait du film homonyme est projeté sur l'écran) n'est pas terminée, et le travail de mémoire doit continuer à tous les niveaux.
La Fleur du Dimanche
Au TNS Strasbourg, du 9 au 15 juin 2022 - attention aux horaires (19h00 - 16h00 le 12 juin)
Mise en scène et scénographie Hubert Colas
Avec Sofiane Bennacer, Mehmet Bozkurt, Ahmed Fattat, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Nastassja Tanner, Manuel Vallade
Vidéo Pierre Nouvel
Lumière Fabien Sanchez
Son Frédéric Viénot
Costumes Fred Cambier
Assistanat mise en scène Lisa Kramarz
Assistanat scénographie Andrea Baglione
Régie générale Nils Doucet
Régie vidéo Hugo Saugier
Le décor est réalisé par les ateliers du TNS.
Sonia Chiambretto est représentée par L’Arche, agence théâtrale.
Le texte intégral est publié et représenté par L’ARCHE (août 2020)
Spectacle créé le 25 janvier 22 à la MC2: Grenoble
Production Diphtong Cie
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre de Liège, MC2:Grenoble
Avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes Dramatiques, la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et de la Spedidam
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire