mercredi 19 juin 2024

Médée poème enragé de Jean-René Lemoine au Festival de Caves: Un voyage d'Enfer

 L'enfer pourrait se nicher dans les caves ou les lieux souterrains. Est-ce pour cela que le Festival de Caves qui fête cette année sa majorité (18ème édition) nous offre à Strasbourg, dans une cave fidèle où nous revenons pour la troisième fois (voir les édition 2023, 2022 - 2021 s'étant déroulé, pandémie oblige en plein air devant un garage), l'histoire de Médée, contée dans Médée Poème Enragé de Jean-René Lemoine. 


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker

Nous avons aussi le plaisir d'y retrouver Simon Vincent, magnifique comédien qui interprète ici avec toute la finesse, mais aussi toute la violence habitée, le destin de cette Médée, cette femme dont la vie est violence: violence contre elle, violence qui rejaillit sur ses proches, "son père, son frère, sa maman", mais aussi sur ses enfants et toutes celles et tous ceux qui se mettent en travers de son chemin.


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker


Curieuse destinée que celle de cette femme au parcours emblématique, débordant d'énergie, d'amour, de passion, de fureur, de sexe et de vengeance. Le texte est poétique mais aussi très concret, explorant autant les plis de son âme que les tréfonds de son corps. Il décrit autant les variations de ses états d'âmes, ses humeurs, ses doutes ou ses stratagèmes et ses manigances, que les scènes d'amour. Là, sont traitées ses relations passionnées et physiques avec Jason dont elle est follement amoureuse - au début - et aussi les outrages et humiliations que ce dernier lui fait subir une fois que, pour lui, le vent a tourné. 


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker


Le portait qui est ici brossé pourrait être fondamentalement celui d'une femme forte et volontaire qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. On pourrait presque la considérer comme une féministe avant l'heure. En tout cas, si l'on s'en tient à ses actes et ses réalisations, c'est une femme qui sait ce qu'elle veut et qui arrive à ses fins. Au point qu'on peut la prendre pour une femme sans coeur - un exemple étant l'épisode où, pour semer le bateau de son père qui la poursuit elle et Jason rentrant à Iolcos avec la Toison d'Or qu'ils lui ont dérobée, elle démembre son frère Apsyrtos à la hache et sème ses membres - "un bras, un pied, une épaule" - dans la mer.


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker


Mais les choses ne sont pas aussi simples et en fait, nous assistons dans la pièce à une espèce de remembrement, d'essai de remise en ordre de tous ces souvenirs avec des allers et  retours, des "accélérer" et des "rembobiner", par un personnage qui est au moins double - très finement et astucieusement concrétisé par un artifice sonore. 


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker


La discrète mise en scène d'Hélène Schwaller qui utilise au mieux le décor existant en délimitant trois ou quatre espaces dédiés: un escalier qui ne mène nulle part, un recoin de mur, un tabouret en proximité du public pour une plus grande intimité et un espace scénique comme un "théâtre mental" arrive à inscrire ce récit dans un espace imaginaire que nous arrivons très facilement à nous imaginer (les palais, les tours qui s'effondrent, la piscine, les bateaux, les lits, la plage finale,..) de même que les épisodes qui s'y déroulent. Le superbe texte de Jean-Réné Lemoine - à la fois imagé et très précis - y aidant grandement. 


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker


Et bien sûr, le jeu à la fois sobre, précis et en retenue mais toutefois totalement habité et expressif de Simon Vincent qui nous emporte avec lui dans les méandres de sa pensée dans ce récit fleuve entre mer et palais. Ce récit plein d'hybris, de démesure, de violence, de passion et de sexe, contient en vérité plus d'une vie. Un sujet complexe qui ne nous laisse pas indifférents. Et c'est ça aussi la magie du théâtre, même dans un bout de cave, peut-être aussi grâce à ce petit bout de cave. 


Médée poème enragé - Jean-René Lemoine - Festival de Caves - Photo: Robert Becker


Et si nous n'avons pas fait un voyage en enfer, nous en avons vu la couleur. Grâce à cette "petite équipe" qu'il faut saluer: en plus de l'auteur Jean-Réné Lemoine, de la metteuse en scène Hélène Schwaller et du comédien Simon Vincent, il y avait aussi pour les costumes Louise Yribarren et à la régie son et lumière Paul Benrahho, et bien sûr pour l'organisation du Festival, toute l'équipe du Festival et les artistes invités.

Alors on dit à l'année prochaine ! Pour de nouvelles caves d'enfer !


La Fleur du Dimanche

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