lundi 24 juin 2024

Full Moon de Joseph Nadj à Montpellier Danse: Un histoire en blanc et noirs

 Joseph Nadj est chorégraphe, danseur, plasticien et photographe. Il est surtout créateur d'un univers particulier, presqu'un sculpteur d'espace. Il s'inspire aussi des auteurs contemporains (Beckett, Roussel,...) et a travaillé avec Miquel Barcello qui lui fait découvrir la civilisation Dogon. Ces deux rencontres lui ont ouvert un "cycle africain" démarré avec Omma, spectacle dont l'accueil et les tournées qui ont suivi, plus, à priori la demande des danseurs, ont été à l'origine de ce qui serait le deuxième volet d'un diptyque. 


Full Moon - Josef Nadj - Photo: Théo Schornstein


Il crée ainsi avec presque la même équipe (un danseur en moins) ce spectacle Full Moon en essayant de repartir avec eux de zéro et de réinventer un univers similaire mais se rapportant à la Lune - et sa relation réelle concrète et spirituelle à la terre, en particulier la terre nourricière, sujet qui dont il partage, en fils de paysan, l'expérience. Il explique que pour le travail de création en amont du spectacle, ce sont les propositions des danseurs africains (venus de différents pays et régions) qui ont servi de matériau pour construire le spectacle. Spectacle dont il a délibérément évacué tout décor. Il s'en qualifie d'auteur et arrive au début en une sorte de marionnette ou d'automate écrivain, se mettant en scène en tant que créateur avec sa plume, par opposition avec ses interprètes dont la culture est orale. 


Full Moon - Josef Nadj - Photo: Laurent Philippe


Et sous cette apparence intermittente de marionnette habillée d'un costume, il va "sculpter", grâce à la lumière, les nombreuses "phases" de cette culture noire, axées sur des gestes concrets, pragmatiques et pratiques, ancestraux. Les danseurs, par petits groupes vont jouer en "sculptures vivantes" une sorte de diorama ou de restitution, de réactivation de situations et d'attitudes de travail qui prennent la formes de séquences de chronophotographies d'Etienne-Jules Marey ou de Eadwaer Muybridge. Le résultat, des sortes de camées animées qui surgissent à la lumière à différents endroits de la scène au gré des éclairages changeants. Et le passage d'un groupe à l'autre se fait via des noirs profonds. Le geste n'est pas toujours explicite ni démonstratif et l'on découvre une suite de scènes qui met en valeur le corps des danseurs et leurs gestes ralentis. 


Full Moon - Josef Nadj - Photo: Laurent Philippe


Quelques tours de marionette à petits pas hésitants plus tard, on bascule dans un autre univers. Des gestes inscrits et ancestraux liés à la terre et au travail on arrive à la représentation d'extraits de variations de danses plus "ethniques", danses énergétiques, presque des danses de possession. Ce sont également de courtes séquences en groupe formés, soudés, mixant le rythme, le souffle, le percussif, la voix, et toutes sortes de mouvements du corps, tremblements ou secousses, trépignements, battements de pieds. Le groupe faisant bloc exhibe la beauté du corps noir musclé dans toute sa puissance - les danseurs sont torse nu. Ils se présentent ainsi frontalement, sans de filtre, et le regard de l'homme blanc dans la salle ne peut qu'être subjugué par la musculature brillante sous les éclairages dans ce clair-obscur contrastés au maximum. Il est question de souffle, de matérialité, de chair, de peau... Le corps devient objet et l'on a curieusement l'impression que nous sommes dans une caricature de représentation, le cliché d'un spectacle qui ne se pose pas les questions sur la discrimination et le colonialisme qui sont en train d'agiter le monde aujourd'hui. Et l'on se demande si, par exemple, une des danses caricaturale simiesque est à prendre au premier, au deuxième ou au troisième degré. 


Full Moon - Josef Nadj - Photo: Laurent Philippe


Surtout quand on se rappelle qu'à la question de l'absence des femmes dans son spectacle, à la fin des raisons avancées par Joseph Nadj - c'est vrai, ce n'est pas forcément obligatoire - il avoue qu'il ne s'est pas (encore) posé la question. Tout comme quand il affirme que les Africains ne connaissent pas le jazz (et ne le dansent pas) mais qu'il leur fait quand même danser un défilé de marche funèbre sur un rythme jazzy. On s'interroge aussi sur cette marionnette qu'il fait venir sur scène et qu'il interprète,  qui est censée être "manipulée" alors que c'est lui qui tire les ficelles de la pièce. Je ne sais pas quelle est la couleur de son humour, mais il semble qu'il en a, au vu de la surprise finale que je ne vais pas divulgâcher. Au final, le spectacle a de bonne qualités esthétiques mais nous regrettons que la rencontre de son univers magique et mystérieux avec la culture et les traditions ancestrales de ces pays d'Afrique qui auraient pu s'enrichir et se nourrir mutuellement ne soient pas allée un peu plus loin, plutôt que cette visite express de la danse d'un continent avec des cartes postales brillantes et contrastées.


Le Fleur du Dimanche   

 

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