lundi 24 juin 2024

The Cloud d'Arkadi Zaides à Montpellier Danse: Couverture nuageuse sournoise, danse inextricable

 Entre Tchernobyl et nos jours un grand fossé mémoriel semble s'être creusé depuis la catastrophe de 1986. Mais le chorégraphe Arkadi Zaides les réunit dans son spectacle The Cloud créé au Festival Montpelier Danse par le biais de deux nuages qui fusionnent, mais pas seulement. Le chorégraphe, né en Biélorussie - à peu de distance de Tchernobyl - qui est parti à 11 ans en Israël avec ses parents - construit à partir de sa mémoire et de la grande mémoire du nuage (cloud) informatique mondialisé, organisé par l'intelligence artificielle, un parcours qui nous mène avec moults embranchements et liaisons d'une image de plant de lavande à une inscriptions de la souffrance - et de la mort - dans le corps.


The Cloud - Arkadi Zaides - Photo: Giuseppe Follacchio


A partir de cette photo de lavande, le parallèle se fait entre la catastrophe nucléaire et les conflits actuels. Cette plante, résiliente tout comme beaucoup d'autres qui se sont développées sur le site encore interdit d'accès, a donné son nom à la dernière invention létale de l'homme, le Système d'Intelligence Artificiel (I.A.)  Lavande qu'utilise actuellement, non sans polémiques et mises en garde, Israël dans sa guerre à Gaza. Le système sélectionne de possibles cibles ennemies militaires du Hamas et du Jihad islamique palestinien - plus de 37000 Palestiniens ont ainsi été marqués - avec des erreurs de 1 sur 10 à 1 sur 100. Le système laisse 20 secondes à l'opérateur à distance pour décider ou non d'un bombardement ciblé. En plus de nous faire découvrir en temps réel le fonctionnement des outils d'I.A. qui se sont très largement diffusés dans le public (tout le monde ou presque utilise l'I.A. consciemment ou pas) Arkadi Zaides nous embarque dans un récit plus ou moins autobiographique constitué de documents d'archives personnelles ou d'éléments trouvés sur internet: photos, vidéos, images générées par l'I.A., dont va s'emparer une I.A programmée et orchestrée en direct par le musicien et créateur sonore Axel Chemla-Romau-Santos suivant l'écriture dramaturgique du spectacle d'Igor Dobrovic. 


Tchernobyl - les liquidateurs


Ainsi, après une courte introduction du dispositif en anglais sous-titré en français par Arkadi Zaines, ce dernier s'installe au centre de la scène derrière un micro face à une partie du public - la scène est bi-frontale et les spectateurs font face à deux écrans en fond de scène dont un devant lequel se trouve une grande table avec toute l'équipe technique. Le texte que nous lit Arkadi Zaides sur sa tablette nous conte ce va-et-vient entre présent et passé, retour  au pays à la recherche de souvenirs et d'un ami d'enfance, interrogations sur Tchernobyl à l'époque et au début de l'invasion de l'Ukraine, réflexions sur la relation entre fiction et réalité, fake news et théorie du complot, transformation de la réalité en virtuel. Tout au début nous assistons à la fabrication d'un texte en temps réel par la machine qui "ingurgite" et "transcrit" la parole du chorégraphe, avec, bien visible, le travail en train de se faire de cet "agrégateur" soi-disant intelligent, antre autres les "prévisions" de ce qu'Arkadi n'a pas encore dit ou les erreurs et approximations de la machine ("Thernobyl" devient une fois "Channel Bill"). Puis les écrans commencent à accueillir de l'image et des photos, une accumulation et des fusions s'opèrent - une très belle création étant la fusion de la soeur d'Arkadi très jeune avec la barbe du frère sur scène. Le texte se fragmente, se lie à des images qui se regroupent, le brouhaha visuel et sonore s'intensifie. Nous faisons un détour du côté de Walter Benjamin via l'Angelus Novus de Paul Klee, pour arriver à des images d'archives du chantier de nettoyage et des "liquidateurs" - images impressionnantes qui à priori n'avaient pas été montrées. Elles sont poignantes, surtout celles de ces visages sur le toit de la centrale, portant déjà les marques d'une mort prochaine ou lors d'une cérémonie de pacotille avec remise de diplôme et récompense (800 roubles - 8 Euros !) pour ces "Héros de la Nation", nettoyeurs en action.


The Cloud - Arkadi Zaides - Photo: Giuseppe Follacchio


Ces images impressionnantes sont personnifiées - littéralement "incarnées" par le performeur Misha Demoustier qui arrive, habillé d'une authentique combinaison de "Liquidateur" qu'Arkadi Zaides s'était procuré (et dont il a raconté la genèse) à nous faire sentir de l'intérieur la torsion de la violence qui les assaille. L'on pourrait presque dire qu'il inverse le processus de l'I.A. qui recrée du virtuel à partir de réel transformé en transformant ce matériau que l'on voit et que l'on entend en un résultat qui fait bouger le corps de l'intérieur. (" The langage becomes body and the body becomes language - Le langage devient corps et le corps devient parole"). Cet épisode complété par une vidéo d'une tentative de reconstituer le site par Arcady Zaides mène l'émotion à son comble et nous laisse pantois. Une sorte de cérémonie cathartique que nous avons vécue au plus profond de nos sens et une interrogation de ce que le monde et la technologie nous réserve pour l'avenir. Entre documentaire, fiction et performance, un éclairage particulier sur des questions qui restent d'actualité.


La Fleur du Dimanche


The Cloud

Distribution / Production
Institut des Croisements
Concept et direction : Arkadi Zaides
Dramaturgie : Igor Dobricic
Développement de l’IA et son : Axel Chemla–Romeu-Santos
Interprétation : Axel Chemla–Romeu-Santos, Misha Demoustier, Arkadi Zaides
Cinématographie : Artur Castro Freire
Lumière : Jan Mergaert
Direction technique : Étienne Exbrayat
Production et administration : Simge Gücük / Institut des Croisements
Distribution internationale : Cecilia Kuska, Rui Silveira / Something Great
Coproduction : Festival Montpellier Danse 2024, La Maison de la Danse, Lyon, Charleroi Danse, laGeste, Gand, Mousonturm, Frankfort
Accueil studio : Teatro Biblioteca Quarticciolo en coopération avec Orbita | Spellbound National Production Center for Dance, Rome, PACT Zollverein, Essen, CAMPO, Gand, Dialoghi / Villa Manin, CSS Teatro stabile di innovazione del Friuli Venezia Giulia Codroipo/Udine
Recherche initiale réalisée dans le cadre de SoundImageCulture (SIC) soutenue par la Fédération Wallonie-Bruxelles et VAF – Vlaams Audiovisueel Fund
Avec le soutien de : Ministère de la culture / Direction générale de la création artistique, TMU New York
Arkadi Zaides / Institut des Croisements est soutenu par le Ministère de la Culture / DRAC Auvergne-Rhône-Alpes
Pour cette création, Arkadi Zaides a été accueilli en résidence à l’Agora, cité internationale de la danse avec le soutien de la Fondation BNP Paribas.

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