Sa maison était au dessus du brouillard, près des nuages et il est parti ... définitivement.
Albert, l'ami d'enfance, celui qui aimait la forêt du Rhin, qui y revenait comme à ses anciennes amours.
Celui à qui le grand-père calfat avait fait découvrir la jungle des bras morts du Rhin
Celui qui est parti tutoyer l'horizon vaste et lumineux sur son échelle du ciel
Celui qui, jour après jour, nuit après nuit tissait en liens indélébiles les mots des uns et des autres avec les siens
Celui qui s'émerveillait des riens somptueux et chantait la nature et l'Homme, les femmes aussi..
Celui qui déployait une énergie au dessus de ses forces pour chanter et célébrer la poésie de la vie et des ami(e)s
Albert restera auprès de nombreux amis, lecteurs et lectrices comme une éphéméride des souvenirs, un almanach de la météo de nos sentiments
Son sourire brillera encore longtemps dans nos yeux, sa bonté nous réchauffera les jours de pluie
Sa joie de vivre ensoleillera les jours futurs
Et sa faconde nous racontera encore mille histoires en poèmes ou en prose.
Il avait participé au bouquet des Fleurs Fabuleuses, le livre d'artiste de Robert Becker et Dominique Haettel et avait choisi, en troubadour facétieux, la photo de l'Iris qui tire la langue, devenu masque vénitien et je vous l'offre - à lui aussi par dessus les nuages, ainsi que le texte qu'il avait avec sa faconde et sa fantaisie habituelle rédigé dès qu'il avait eu la proposition à laquelle il avait bien sûr répondu sans hésiter.
Une magnifique gondole sur roulettes – en fait, une espèce de cercueil en forme de brouette – avait valu à son concepteur le premier prix du concours Lépine.
Les Vénitiens et les touristes qui les avaient rejoints en masse, et en masques, était plus fous que jamais, en dépit du manque d’eau dû au curage évoqué.
Et la faune, ni plus ni moins que la flore d’ailleurs, n’était de loin pas en reste. Car les loups, comme sortis des bois de l’hiver, se mêlèrent vite aux masques aussi.
Un vieux Doge, costumé en vieille chouette, à la main un sceptre en forme de trompe d’éléphant orné d’un sourire de lune malicieuse, et bombant d’orgueil la poitrine quoique mort, s’était en même temps travesti en sirène de proue ornant son propre corbillard.
Le plus intrigant étant qu’il paraissait se multiplier au fur à mesure qu’il fendait les flots à sec.
Moi qui avais appris à danser la valse sur le sirupeux mouvement de l’été de Vivaldi, je profitai de la zizanie ambiante pour retourner sur la tombe de Stravinsky et y déposer mon bouquet qui sacre traditionnellement le printemps.
Quand j’en revins du cimetière San Michele, je croisai Claudia, la seule qui ne fût ni maquillée ni même habillée.
« - Qu’est-ce que tu fous là, à poil ?
-Si je me suis costumée en nue, c’est qu’on n’a pas de temps à perdre. Tu es bien sûr le seul à ne pas savoir que nous sommes confinés.
Viens, je nous ai déniché un superbe palais près de La Fenice. On se met sous la couette, c’est quand mieux que de se voler dans les plumes, non ! »
Le temps d’enregistrer sa proposition – il y a moins alléchant ! – et un nombre incroyable de ses clones sortirent de son dos comme des anges pour aller puiser dans le corbillard du doge des fleurs de toutes sortes et les jeter, avec force clins d’œil, hors de leur char, comme jadis, chez nous, les jeunes filles lors de la Fête-Dieu."
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