Le conte est en général un récit raconté à des enfants pour leur présenter symboliquement le monde réel et les problèmes ou les joies qu'ils peuvent y rencontrer. Il leur permet de mieux comprendre certaines situations et de s'y préparer. Dans Le Conte du Tsar Saltane, l'opéra de Nikolaï Rimski-Korsakov, dont le livret est inspiré du conte d'Alexandre Pouchkine, l'histoire est basée sur la répudiation de la mère et de son fils par le Tsar Saltane à la suite d'une manigance de ses soeurs. Et nous aurons bien d'autres situations et rebondissements divers qui vont émailler le récit et la composition avant une réconciliation finale.
Le Conte du Tsar Saltane - Rimski-Korsakov - Photo: Clara Beck |
Dmitri Tcherniakov, qui en a fait la mise en scène contemporaine, a enserré cette narration plus ou moins rêvée dans un épisode où une mère, pour amener à la maturité son fils un brin autiste, qui ne parle pas, sauf à elle lui fait ce récit. Cette histoire devrait lui permettre de mieux assumer la réalité et de grandir, car, il n'a, comme elle le dit, vécu "que dans les contes que je lui ai raconté". On s'en rend bien compte, car le fils, brillamment interprété par Bogdan Volkov, se mure dans ce côté introverti et inaccessible, ne s'occupant que de ses jouets, un écureuil, une princesse recouverte de plumes blanches et un armée de petits soldats, des boyards.
Le Conte du Tsar Saltane - Rimski-Korsakov - Photo: Clara Beck |
Le choix de la mise en scène, de la scénographie, des décors et des costumes est judicieux, car nous nous trouvons projetés dès le prologue dans un univers de bande dessinée. Avec d'un côté de la scène le Tsar, et de l'autre, les deux soeurs ainsi que la mère habillés de magnifique costumes que l'on croirait en carton-pâte, mais souples et joliment colorés qui forment des figurines coincées dans une case de bande dessinée très peu profonde et qui prend toute la largeur de la scène. Elles se trouvent confrontées à la dernière soeur, qui elle, s'occupant des tâches ménagères, est habillée d'une banalité roturière, costume qu'elle ne quittera pas jusqu'à la fin. Puisque la boucle du conte étant bouclée, le réalité reprend le dessus, même après le happy end traditionnel des contes. C'est donc dans ce cadre en cinémascope que la réalité du conte va se dérouler: la demande et le mariage de la soeur mal aimée, le départ derechef du Tsar à la guerre, la naissance de l'enfant et le bannissement suite aux manigances des soeurs, de la mère et du fils qui se retrouvent enfermés dans un tonneau et jetés à la mer.
Le Conte du Tsar Saltane - Rimski-Korsakov - Photo: Clara Beck |
Et là, changement de décor, nous partons pour un voyage, tel celui de Moïse ou de Jonas pour aboutir sur l'île de Bouïane. Ce passage sera l'occasion d'un magnifique dessin animé dont les croquis ayant été faits par le metteur en scène Dmitri Tcherniakov et la réalisation des superbes animation est l'oeuvre de l'équipe du Show Consulting Studio. Ils ont également fait les décors animés qui vont se animer un genre de grotte magique située à l'arrière de l'espace précédent où l'on est successivement dans la nature au bord de la mer, devant la ville de Ledenetz et à Tmoutarakane (Pétaouchnock) pour la scène du Tsar qui, après son retour, rencontre les marchands qui le décident d'aller sur l'île. C'est là que nous avons l'épisode du Bourdon, en fait le Tsarevitch Guidone, qui s'est transformé en bourdon après avoir plongé trois fois dans la mer - ce fameux bourdon dont le vol est célèbre, d'ailleurs l'extrait le plus célèbre de cet opéra.
Le Conte du Tsar Saltane - Rimski-Korsakov - Photo: Clara Beck |
Côté composition, Nikolaï Rimski-Korsakov qualifie le composition de "mixte", "mi-instrumental , mi-vocal. Toute la partie fantastique correspondait au premier et la partie vocale au second." La musique faisant rêver et soutenant plutôt les épisodes et récits féériques - le voyage en tonneau, la délivrance et les rencontres de la Princesse-Cygne, le Bourdon. Cette dernière, avec la voix sublime de la soprano Julia Muzychenko avec ses magnifiques vocalises (qui reçoit de chaleureux saluts du public) fait une très adorable princesse de conte de fées. Les airs chantés sont d'ailleurs des mélodies délicatement accompagnées par l'orchestre. le duo des deux soeurs. Les très convaincantes Stine Marie Fischer (la Cuisinière) et Bogdan Volkov (la Tisserande) rejointes par Bernada Bobro (Babarhika) nous charment dès le prologue. Le rôle de Militrisa, devenant Tsarine, tenu par la soprano russe Tatiana Pavloskaya qui porte le personnage à merveille du début à la fin est un morceau de bravoure époustouflant. Son interprétation tout en finesse nous émeut au plus profond. Et la voix de basse d'Ante Jerkunika dans le rôle du Tsar Saltane nous fait des frisson.
Le Conte du Tsar Saltane - Rimski-Korsakov - Photo: Clara Beck |
Bien sûr, et je l'ai déjà noté, le "muet" devenant Tsarevitch Gvidone, ne joue pas seulement avec conviction ce personnage à part qu'est le fils banni, mais il chante aussi magnifiquement dans ses rêves - il prend d'ailleurs sur lui les paroles qu'il attribue à la princesse-cygne en les chantant intérieurement. Les autre personnages font également l'objet d'une belle distribution, en particulier le bouffon (Alecxander Vassiliev), le messager (Ivan Thirion) et le Vieil Homme conteur d'histoires (Evgeny Akimov). Sans oublier les soldats, marchand et les multiples autre personnages joués par les membre du Choeur de l'Opéra National du Rhin (certain(e)s resté(e)s en coulisse. L'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, sous la direction alerte d'Aziz Shokhakimov, prouve à nouveau sa grande qualité d'interprétation, que ce soit pour les parties d'accompagnement des solistes, que pour toutes les parties orchestrales où les solistes (flûte, picolo, harpe, célesta,...) mettent en valeur cette partition qui va d'airs de berceuses ou de musique populaires à des écritures plus originales jusqu'à ces sonneries de trompettes qui battent le rappel de la suite de l'histoire racontée.
Le Conte du Tsar Saltane - Rimski-Korsakov - Photo: Clara Beck |
Cette relecture d'un classique du conte russe, dont la mise en scène de Dmitri Tcherniakov avait été créé en 2019 au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles est bienvenue dans cette reprise à l'Opéra National du Rhin à l'occasion du Festival Arsmondo en ce qu'elle porte un regard actuel à la fois sur le conte de Pouchkine et l'oeuvre de Rimski-Korsakov, en même temps qu'elle interroge le statut des contes et des cultures. Tout comme elle questionne le brassage des mythes et des archétypes et leur remise en cause dans l'évolutions de la société. Et cela tout en nous proposant un spectacle inventif et frais, d'une très grande qualité plastique et musicale.
La Fleur du Dimanche
Nikolaï Rimski-Korsakov
A l'Opéra National du Rhin à Strasbourg - du 5 au 13 mai
A La Filature à Mulhouse - version de concert - dimanche 28 mai 2023
Direction musicale
Aziz Shokhakimov
Mise en scène et décors
Dmitri Tcherniakov
Costumes
Elena Zaytseva
Direction artistique de la vidéo et des éclairages
Gleb Filshtinsky
Chœur de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg
Responsable de la reprise
Joël Lauwers
Les Artistes
Le Tsar Saltane
Ante Jerkunica
La Tsarine Militrissa
Tatiana Pavlovskaya
Le Tsarévitch Gvidone
Bogdan Volkov
La Tisserande
Stine Marie Fischer
La Cuisinière
Bernarda Bobro
Babarikha
Carole Wilson
La Princesse-Cygne
Julia Muzychenko
Le Vieil Homme, 1er Marin
Evgeny Akimov
Le Messager, 2e Marin
Ivan Thirion
Le Bouffon, 3e Marin
Alexander Vassiliev
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