vendredi 22 avril 2022

Filer à la Filature et fuir les fantômes puis partir dans l'Entre-Deux avec Laurie Anderson: Chute !

 C'est un vendredi que l'on pourrait placer sous le signe des fantômes, car, entre les deux expositions (à Colmar et à Mulhouse) et le film puis le concert spectacle de Laurie Anderson à la Filature à Mulhouse, les esprits, avatars, doubles et apparitions nous ont accompagnés tout le long de cette fin de semaine.

Pour commencer, à Colmar à l'espace d'Art Contemporain André Malraux où une magnifique exposition  - presque - rétrospective de Patrick Bailly-Maître-Grand se tient encore jusqu'au 22 mai. Il n'y a pas les Véroniques, mais de superbes daguerréotypes qui invoquent les esprits, d'une part celles des ancêtres via des crânes décorés, d'autre part des "doubles humains" deux fois dégradés, en l'occurrence des têtes de poupées de cire du début du vingtième siècle, abimées et défigurées. Nous avons aussi le plaisir de découvrir les premiers travaux photographiques, "Les Noires" où, au début des années 1980 le "peintre", Patrick Bailly-Maître-Grand ne lâche pas encore totalement la matière pour la lumière et où la photo déborde en gravure du papier. Un clin d'oeil à Cy Twombly nous accueille aussi au pied des escaliers et le premier étage nous offre une promenade dans les multiples jeux et tours de magie lumineux de l'artiste, entre voyage sur la lune les pieds sur terre (blanche), nimbes de fantômes ou lucioles folles, soupirails et les dés jetés d'Alea Jacta Est. Entre rayogrammes, strobophotographies, monotypes ou herbes flashées, nous en prenons plein les yeux éblouis. 

Exposition Patrick Bailly-Maitre-Grand - Les Noires

Exposition Patrick Bailly-Maitre-Grand - Les Noires

Exposition Patrick Bailly-Maitre-Grand - City Twombly

Exposition Patrick Bailly-Maitre-Grand - Apollo XI

Exposition Patrick Bailly-Maitre-Grand - Les Nimbes

Exposition Patrick Bailly-Maitre-Grand - Les Lucioles - détail


A Mulhouse, à la Filature, l'exposition en cours (jusqu'au 7 mai), première partie d'un compagnonnage avec l'artiste SMITH, dont l'on pourra voir l'installation "Desidération" à partir du 24 mai en relation avec la Biennale de la Photographie du 11 juin au 24 juillet. Ses photographies, aux couleurs pastel et blanchies, laiteuses nous emmènent dans un monde éthéré, instantanés de portraits intimes et de relations délicates, éthérées, un monde flotant, indéfini. Il nous parle de présences absentes, d'anges en quelque sorte... de fanômes. Les fantômes les spectres sont aussi le sujet du film Spectrographies (2014) projeté dans l'exposition et qui est présenté en présence de l'artiste dans une salle avant le concert. On y voit un essai de se rapprocher de la chaleur humaine, de la capturer, même de l'incorporer (via une puce implantée sous la peau), et une quête de fantômes, que ce soit le fantôme de Pascale Ogier ou la tombe de Maurice Merleau-Ponty que vient hanter Mathieu Amalric pour terminer son livre inachevé Le Visible et l'Invisible. Une balade nocturne en compagnie de beautés ténébreuses qui nous hantent et où la musique nous projette dans le passé.

Et la dernière étape de ce voyage avec les fantômes se fera avec Laurie Anderson qui en introduction dédie le concert à des êtres chers qui sont partis il y a deux mois, et d'autres un peu plus longtemps. Mais c'est un voyage sans tristesse, dans un entre deux, le Bardo, qui dans la philosophie boudhiste signifie un état intermédiaire, entre le sommeil, le rêve, la méditation et la mort. Avec son complice Rubin Khodeli, qui improvise sur son violoncelle électrique ("il ne joue jamais la même note, ni celle qu'il a déjà jouée ni celle qu'il va jouer" dit-elle de lui) alors qu'elle jongle entre son violon, ses différentes claviers, ses boucles, ses films qui passent en fond de scène, même les lumières, et l'histoire - ou plutôt les histoires qu'elle va nous conter pendant une bonne heure et demie. Histoires inspirées de ses amitiés musicales (Phil Glass, John Cage, James Brown et bien sûr Lou Reed), ou les réflexions qui lui viennent des nouveaux usages dans le show-business comme les concerts d'hologrammes d'artistes vivants ou disparus (encore des fantômes ressuscités). Mais cela elle n'en a que faire, elle gère cela de manière transparentes ("Ceux qui disent que la technologie n'est pas un problème ne comprennent pas la technologie" assure-t-elle très philosophe). Et ses animations ou ses films nous portent tout au long du concert-spectacle en nous poussant à nous interroger sur ce que l'on voit. Allons-nous en avant ou reculons-nous? Quand elle nous parle des images envoyée par une caméra sur un observatoire d'oiseau qu'elle regardait pendant le confinement, nous y voyons un "fantôme", un chat qui rôde. Les oiseaux, objet de méditation su sujet de philosophie, à l'instar d'Aristophane dont elle nous raconte le début pour nous inciter à le relire et y réfléchir. Elle nous parle de la perte, des catastrophes qui nous permettent de nous reconstruire (la tempête Sandy à New-York) qui fait le ménage à la cave, de la fragilité de nos vies et de la philosophie boudhiste, entre le livre des morts et la tai-chi sport de combat ralenti où les gestes à priori très beaux sont une décapitation au ralenti (elle nous en fait une très belle démonstration sur scène). Et pour finir ce magnifique dialogue entre chansons, paroles et duo musical, elle nous gratifie d'une reprise de Gee Wiz de Phil Glass qu'elle avait interprètée aux Grammy Awards en 2020. Un grande dame nous a conté une belle histoire: The Art of Falling, ou comment tomber, doucement, lentement et tenir pourtant, soutenu par la force de la musique.


Concert Laurie Anderson - La Filature - Mulhouse - Photo: lfdd

Concert Laurie Anderson - La Filature - Mulhouse - Photo: lfdd

Concert Laurie Anderson - La Filature - Mulhouse - Photo: lfdd

Concert Laurie Anderson - La Filature - Mulhouse - Photo: lfdd

Concert Laurie Anderson - La Filature - Mulhouse - Photo: lfdd


Et un aperçu de son art (martial) du Tai Chi:





La Fleur du Dimanche

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