Hilda de Marie NDiaye a été publié en 1999, avant que l'autrice ne reçoive le prix Fémina (en 2003) et le prix Goncourt (en 2009). C'est sa première pièce de théâtre. Rappelons qu'elle a publié son premier roman en 1985 à 18 ans. Elle est autrice associée au TNS. Elisabeth Chailloux qui a mis en scène Hilda a un long compagnonnage avec Marie NDiaye, au moins depuis son travail sur le "Petit triptyque de la dévoration" (Hilda, Les serpents et Rien d'humain). Et le projet de monter Hilda s'est concrétisé d'une part en contrepoint de Mademoiselle Julie de Strindberg qu'elle avait monté en 2019 et d'autre part avec la rencontre avec Natalie Dessay qu'elle avait vue jouer à Avignon et à qui elle a proposé le rôle.
TNS - Hilda - Marie NDiaye -Elisabeth Chailloux - Natalie Dessay - Gautier Baillot - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Natalie Dessay s'en sort magnifiquement de ce rôle de presque vampire, cette "bourgeoise de gauche" qui veut faire l'éducation de son employée de maison, mais qui en fait va vider de sa substance, de son énergie cette femme sur laquelle elle projette bien des phantasmes. En six tableaux qui procèdent d'un drame antique, nous allons assister à une lente dévoration de cette femme que nous ne verrons jamais, épouse mère de deux enfants dont nous ne connaîtrons le destin que par le mari et la soeur et surtout de ce qu'en dit Madame Lemarchand. Ce destin qui n'est finalement que ce que les autres, surtout influencés par les manoeuvres de Madame Lemarchand, vont induire et dont ils vont déposséder Hilda.
TNS - Hilda - Marie NDiaye - Elisabeth Chailloux - Natalie Dessay - Gautier Baillot - Photo: Jean-Louis Fernandez |
La pièce présente donc les différentes étapes de mise en soumission de cette femme dont le mari devient l'instrument principal de coercition, même si c'est indirectement et par son absence de réaction. Parce que cette Madame Lemarchand, avec son vocabulaire riche et sa rhétorique, ses moyens de négociation - l'argent, entre autre - va imposer son projet et aboutir à ses fins. En jouant sur différents niveaux - la logique, la liberté, l'honnêteté, la fidélité, l'implication, ... - elle se sort de tout nouvel obstacle ou objection qui pourrait contrecarrer son dessein. Face à elle, le mari de Hilda, Frank Meyer - qu'elle appelle très vite Frank pour le mettre également sous sa coupe - manque de mots et d'arguments et ne peut qu'opposer son silence ou quelques réactions violentes inopérantes à cet étau qui se met en place et le rabaisse et lui vole sa femme.
TNS - Hilda- Marie NDiaye- Elisabeth Chailloux - Natalie Dessay - Gautier Baillot - Photo: Jean-Louis Fernandez |
En face de Natalie Dessay, qui interprète avec brio et plein d'énergie cette bourgeoise incontrôlable, versatile et qui passe d'un coup d'oeil d'une grande maîtrise à un désarroi et une forme de désespoir et une peur de l'abandon, un besoin inextinguible d'amour et un manque de flagrant de sentiments, Gautier Baillot, qui incarne Frank Meyer dans son corps massif et muet, présence puissante et désemparée à la fois, l'essentiel de la pièce se joue sur ces face-à-face répétés, ces combats souterrains et vains, cette lente mise à l'écart, cette dépossession et cet enfermement à l'écart dans sa triste banlieue de sous-prolétaire.
TNS - Hilda - Natalie Dessay - Lucile Jegou - Gautier Baillot - Photo: Jean-Louis Fernandez |
La scénographie, sobre et efficace, minimaliste avec le fauteuil de la bourgeoise, trône du pouvoir, et la chaise en formica de l'ouvrier sur laquelle il ne peut s'asseoir et au fond le piano à gauche et la table de la cuisine ouvrière à droite, de même que les pleurs des enfants (malaimés?) de la bourgeoise et les tours sombres de la banlieue ouvrière avec les enfants absents (mis à l'écart) positionnent la scène de la bataille, terrain neutre où Frank arrive par le bas et se retrouve relégué par le fond, l'espace bourgeois restant définitivement inaccessible.
TNS - Hilda - Marie NDiaye - Elisabeth Chailloux - Natalie Dessay - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Le texte de Marie NDiaye, surtout et essentiellement le presque monologue de Mme Lemarchand est bourré de surprises, de va-et-vient entre un discours bienveillant, des arguments surprenants dans les négociations et des moments d'abandons ou de désespoir ou de forte demande de reconnaissance. Cela donne à ce personnage étrange et multiple que l'on découvre au fur et à mesure dans toute sa perversité, sa noirceur et son désespoir un sel inconnu et un intérêt qui dépasse l'aspect uniquement critique de cet épisode d'esclavage des temps modernes tel qu'on peut encore l'imaginer de nos jours.
La Fleur du Dimanche
Strasbourg du 7 au 17 octobre 2021 au TNS
Paris | 20 > 30 oct 2021 | Les Plateaux Sauvages
Caen | 1er > 3 fév 2021 | La Comédie de Caen, CDN
Ivry | 16 > 20 fév 2021 | Théâtre des Quartiers d'Ivry
Toulon | 8 mars 2021 | Châteauvallon-Liberté scène nationale
CRÉATION AU TNS
COPRODUCTION
Texte Marie NDiaye
Mise en scène Élisabeth Chailloux
Avec Gauthier Baillot, Natalie Dessay, Lucile Jégou
Scénographie et lumière Yves Collet, Léo Garnier
Assistanat à la mise en scène Lucile Jégou
Son Madame Miniature
Vidéo Michaël Dusautoy
Costumes Dominique Rocher
Marie NDiaye est autrice associée au TNS.
Le texte est publié aux Éditions de Minuit.
Production Théâtre de la Balance
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Châteauvallon-Liberté scène nationale, Comédie de Caen CDN de Normandie, Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne et La Comédie de Picardie
Coréalisation Les Plateaux Sauvages
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Résidences de création Théâtre National de Strasbourg, Les Plateaux Sauvages
Le Théâtre de la Balance est conventionné par le Ministère de la Culture
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire