samedi 30 octobre 2021

Les Ailes du Désir, ballet de Bruno Bouché: Le silence des anges, les emballements du coeur

 Nous avons tous au fond de notre coeur une image de cet ange au-dessus de Berlin, célébré par Wim Wenders en 1989 dans son film "Der Himmel über Berlin" dont le titre français est "Les ailes du Désir". Une version lumineuse réinterprétée par Benjamin Kiffel est venu "habiter" la place d'Austerlitz lors de l'événement "L'Industrie Magnifique". Et pour Bruno Bouché, le désir de faire une chorégraphie autour de ce thème s'est ancré en lui dans sa jeunesse lors de la découverte de ce film bouleversant.


"Les Ailes du désir" de Wim Wenders Crédits : Tamasa


Nous connaissons tous au moins un peu cette histoire qui prend pour décor le Berlin d'avant la chute du mur et où l'on voit les anges mêlés aux habitants sans que ceux-ci ne les voient, de plus, ces anges lisent les pensées des humains. Et l'un d'eux, par amour pour une trapéziste aperçu dans un cirque et dont il tombe amoureux, décide de passer de l'autre côté.

Le ballet "Les ailes du Désirde Bruno Bouché qui aurait dû être présenté en janvier (il n'y a eu qu'une générale pour les professionnels compte-tenu du contexte de la pandémie) a été créé à Biaritz le 19 septembre et la première à Strasbourg a donc eu lieu ce 30 octobre à l'Opéra National du Rhin.


Les Ailes du désir - Bruno Bouché - Photo: Agathe Poupeney

L'adaptation de ce film se fait en deux parties, la première qui reprend quelques scènes emblématiques du film (la bibliothèque, la multitude dans la ville, le cirque et la mort du motard, le concert, le saut dans le vide, la traversée du miroir et la rencontre,...), tandis que la deuxième, d'une manière plus symbolique revient à la source du film. Rappelons qu'à l'origine Wim Wenders souhaitait faire un film sur le Berlin d'après-guerre et finalement improvise un film sur le film avec Peter Falk comme réalisateur et les anges comme vecteur d'un récit mélangeant des textes de Peter Handke et des improvisations écrites au jour le jour. Cela donne un résultat très intériorisé que la chorégraphie de Bruno Bouché et son ballet de trente-deux danseuses et danseurs (28 en fait des rôles tournants) arrivent à faire vivre avec sensibililité, empathie et entrain. Nous avons donc ces anges qui nous entourent dans le théâtre ou qui se retrouvent sur scène, en long manteaux dont les pans deviennent de grandes ailes lors des mouvements dansés. La musique du préambule est de Jamie Man qui a également fait la dramaturgie musicale.


Les Ailes du désir - Bruno Bouché - Photo: Agathe Poupeney

Après le prologue, un mouvement dansé plein de douceur et de lenteur nous emmène dans une ville symbolique faite de blocs compacts comme des bâtiments, surmontés d'un néon en W comme un éclair - coup de foudre pour Wim Wenders ou résumé de l'intrigue, histoire d'amour du ballet pour finir dans un ensemble tournoyant sur une musique d'Olivier Messiaen (La Croix). La scène suivante nous présente le flot des humains, très colorés mais pressés par des servitudes matérielles, sur une musique répétitive Steve Reich jouée à la guitare. Puis, dans un pauvre cirque, nous assistons à la naissance du sentiment de l'ange Damiel (Marwik Schmitt le 30/10, Ryo Shimizu le 31/10) pour la trapéziste Marion (Julia Weiss le 30/10, Dongting Xing le 31/10) qui porte élégamment deux ailes blanches sur son dos (est-ce pour cela que l'ange la remarque?). Marion qui, dans un cabaret noir, va assister à un étrange concert de Nick Cave où le "Silence est sexy", une chanson des Eintürtzende Neubauten, groupe de musique industrielle culte de Berlin Ouest qui s'est formé ans les années 80 autour de Blixa Bargeld qui chante ici de sa belle voix grave un texte minimaliste et désenchanté. Le voici:


Dans la scène suivante, Peter Falk qui revient comme repère dans les différentes scène et est le seul personnage qui arrive à sentir la présence des anges va aider Damiel à faire le saut et lui permettre, dans la traversée du miroir, de rencontrer Marion dans une belle scène d'amour sur un choral de Bach joué sur scène par Bruno Anguerra Garcia.


Les Ailes du désir - Bruno Bouché - Photo: Agathe Poupeney

La deuxième partie démarre par sept anges suspendus, et à nouveau une musique des Eintürtzende Neubauten, Beauty, qui se conclut ainsi: "so beauty remains in the impossibilities of the body." (ainsi la beauté demeure dans les impossibilités du corps).

Comme nous sommes dans les citations, je vous en offre deux supplémentaires, de Rainer Maria Rilke, proposées par Bruno Bouché et Christian Longchamp, le dramaturge du ballet, qui illustrent le synopsis, et pour la première, cette scène d'introduction du deuxième acte:

Vue des Anges, les cimes des arbres, peut-être sont des racines, buvant les cieux (...)

Pour eux, la terre, n'est-elle pas transparente en face d'un ciel, plein comme un corps?

La deuxième, qui complète le côté magique et irréel que la chorégraphie, surtout dans le deuxième acte met en oeuvre, interroge aussi cet art, la danse et les réponses qu'il peut proposer - et que Bruno Bouché, dans le programme essaie de préciser: "... la danse offre une énergie, une vibration particulière à toutes ces sensations, ce goût, cette force de vie, cet étonnement du quotidien que vit l'humain. Le souffle, la suspension, l'élan, la chute, la chair, le toucher, le saut, la terre..."  


Les Ailes du désir - Bruno Bouché - Photo: Agathe Poupeney

"Danser, est-ce combler un vide? Est-ce taire l'essence d'un cri?
C'est la vie de nos astres rapides prise au ralenti."
R. M. Rilke

Et ce sera l'ensemble de la troupe qui, comme des elfes filantes, avec leur chemise blanche volante qui donne comme des ailes à chaque danseur, qui va exprimer le désir et la joie de vivre dans des mouvements d'ensemble énergiques, des traversées de plateau, des portés et des duos multipliés et tournoyants, virevoltants et enivrants sur une musique de John Adams. Et en fond de scène, une magnifique vidéo d'Etienne Guiol qui nous fait survoler Berlin en nous montrant la vie vue par les anges, la nuit et le mur qui, encore là, trace sa frontière entre les deux zones, comme celle aussi, ténue, entre les hommes et les anges, car comme le dit Christian Longchamp:

"Les hommes ont inventé les dieux pour donner corps à l'inconnu. Ils ont inventé les anges pour exprimer leur propre mystère." 


Les Ailes du désir - Bruno Bouché - Photo: Agathe Poupeney

Ce mystère qui passe aussi par la danse, qui ne dit pas tout, qui est aussi silence, qui est aussi sexy, qui plait et interroge. En tout cas qui a vraiment plu au public enthousiaste qui a réservé une belle et longue ovation finale à l'équipe.


La Fleur du Dimanche


Les Ailes du Désir


Strasbourg, à l'Opéra du Rhin, les 30 et 31 octobre et les 2, 3, 4 novembre 2021

A Mulhouse, à la Filature, les 13, 14 et 15 novembre 2021

 

Distribution

Chorégraphie: Bruno Bouché
Dramaturgie musicale: Bruno Bouché, Jamie Man
Musique: Antony and the Johnsons, John Adams, Jean-Sébastien Bach, Jamie Man, Olivier Messiaen, Einstürzende Neubauten, Steve Reich, Jean Sibelius
Dramaturgie: Christian Longchamp
Scénographie: Aurélie Maestre
Assistante scénographie: Clara Cohen
Costumes: Thibaut Welchlin
Lumières: David Debrinay
Vidéo: Etienne Guiol
Accompagnement artistique suspensions: Fabrice Guillot
CCN • Ballet de l'Opéra national du Rhin

Les solistes

Céline Nunigé
Thomas Hinterberger
Rubén Julliard
Dongting Xing
Julia Weiss
Les danseurs
Marin Delavaud
Pierre Doncq
Cauê Frias
Jérémie Lafon
Pierre-Emile Lemieux-Venne
Jesse Lyon
Oliver Oguma
Avery Reiners
Jean-Philippe Rivière
Cedric Rupp
Marwik Schmitt
Ryo Shimizu
Alain Trividic
Hénoc Waysenson

Les danseuses

Monica Barbotte
Audrey Becker
Susie Buisson
Deia Cabalé
Christina Cecchini
Noemi Coin
Ana-Karina Enriquez-Gonzalez
Brett Fukuda
Di He
Chloé Lopes Gomes
Rio Minami
Leonora Nummi
Alice Pernão

Les maîtres de ballet

Claude Agrafeil
Adrien Boissonnet

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