Le rapport de la danse à la musique ne va pas toujours de soi. Bien sûr, dans la danse classique, la danse séparée de la musique était considérée comme une folie. Dans la musique contemporaine, il y a bien de de la danse sans musique, ou des compositions pour la chorégraphie non musicale, ou même, avec Merce Cunningham, l'utilisation de la musique comme une expression artistique en soi, prenant son propre chemin à côté de la chorégraphie. Il y a eu aussi, et les exemples sont maintenant nombreux, des chorégraphes comme Lisbeth Gruwez ou Anne Teresa de Keersmaeker qui rendent un hommage à des chanteurs comme Bob Dylan ou au jazz de Coltrane (A Love Supreme) en dansant sur un disque fétiche. Pour Trajal Harrell, c'est le "monument" du pianiste de Jazz Keith Jarrett, The Köln Concert - qui s'est vendu à des millions d'exemplaires, le rendant l'album de jazz et celui de piano le plus vendu dans le monde - qu'il présente. Mais auparavant il nous offre quelques chansons de la divine Joni Mitchell dans une belle variation de styles.
The Köln Concert - Trajal Harrell - Photo: Reto Schmid |
Il nous accueille debout sur le bord de la scène et glisse insensiblement dans le spectacle en laissant la salle éclairée, se laissant imprégner par la musique, l'intégrant dans son corps et la projetant sur le public en généreuses brassées. Sa danse est effectivement généreuse, hospitalière, bienveillante, magnanime. Sur scène, sept tabourets de piano sont rangés sur deux files et attendent les sept danseurs (dont lui).
The Köln Concert - Trajal Harrell - Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble - Photo: Reto Schmid |
Ceux-ci, après son introduction vont rentrer sur scène au fur et à mesure, s'installant sur ces tabourets, bougeant du buste en toute liberté dans un même balancement sur ces quelques chansons plutôt tendance folk ou blues, dont la première, My old man, donne le ton .
He's a walker in the rain
He's a dancer in the dark
We don't need no piece of paper from the city hall
Keeping us tied and true no, my old man
Keeping away my blues
He's my sunshine in the morning
He's my fireworks at the end of the day
He's the warmest chord I ever heard
Play that warm chord, play and stay, baby
C'est d'ailleurs presque dans le noir, tout au fond de la scène qu'avec la dernière chanson, plus sombre, plus grave (aussi par la voix de Joni Mitchell) que démarre un très beau défilé de voguing du plus bel effet qu'il nous offre en feu d'artifice.
The Köln Concert - Trajal Harrell - Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble - Photo: Reto Schmid |
Puis c'est par un discret déplacement en arc de cercle de ces tabourets, comme pour en signifier l'intimité et la solidarité augmentée qu'il vont, sur la pièce de Keith Jarrett, interpréter chacun à leur manière, dans leur style et leur corps, leur culture, ce lent et long surgissement de musique.
The Köln Concert - Trajal Harrell - Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble - Photo: Reto Schmid |
Songhghay Toldon dans sa part rebelle, ses cheveux en jaillissement généreux, tout comme New Kid, toute aussi dynamique, ses longues tresses doublant des bras agiles. Rob Fordeyn dans son élégance surannée qui semble glisser dans l'espace. Ondrej Vidlar plus ramassé, plus en force intérieure et Thibault Lac dans ses déséquilibres, sa démarche chaloupée sans oublier la forte présence dans sa discrétion de Maria Ferreira Silva dont le regard sombre hante le plateau.
The Köln Concert - Trajal Harrell - Schauspielhaus Zürich Dance Ensemble - Photo: Reto Schmid |
Et bien sûr, Trajal Harrel dans une délicate présence au service du piano de son maître. Ce sera une vraie immersion dans la musique, une intériorisation des rythmes, élans, improvisations, déroulés, retours, lancées et dépliés des airs que le pianiste inspiré amorce, déjoue et détourne pour partir dans une jubilation finale qui emplit tous les danseurs de cette musique fabuleuse. Un magnifique spectacle, une soirée mémorable.
La Fleur du Dimanche
Au Maillon - Strasbourg - du 10 au 12 avril 2024
Avec : New Kyd, Maria Ferreira Silva, Trajal Harrell, Rob Fordeyn, Thibault Lac, Songhay Toldon, Ondrej Vidlar
Musique : Keith Jarrett, Joni Mitchell
Création lumières : Sylvain Rausa
Dramaturgie : Katinka Deecke
Développement des publics : Mathis Neuhaus
Pédagogue de théâtre : Manuela Runge
Assistance production : Camille Roduit, Maja Renn
Assistance scénographie : Ann-Kathrin Bernstetter, Natascha Leonie Simons
Assistance costume : Ulf Brauner, Miriam Schliehe
Régie générale : Michael Durrer
Équipe technique itinérante : Pablo Weber, Petra Kenneth, Sara Mathiasson, Stephan Wöhrmann
Gestion des tournées et relations internationales : Björn Pätz, ART HAPPENS
Production : Schauspielhaus Zürich
Accueilli à Strasbourg avec le soutien de Pro Helvetia, Fondation suisse pour la Culture
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