Pour parler d'Amours (2) nous pourrions parler des conditions de sa création, à savoir un atelier théâtre dans la prison centrale d'Arles avec son Quartier de Haute Sécurité qui a favorisé l'émergence de ce projet. Nous pourrions aussi parler des ateliers d'improvisation qu'avait lancé un des comédiens à l'époque où il était incarcéré là-bas. Ou encore de la rencontre de ce projet avec Joël Pommerat (et Caroline Guiela Nguyen). Ou aussi du travail que Joël Pommerat fait en général avec les comédiens (professionnels ou non) et également de sa manière de créer une pièce en s'inspirant à la fois des histoires et surtout du vécu et du ressenti de ses interprètes en cours de création. Tout ça fait effectivement le suc, la sève, la richesse et la force de cette pièce rare.
Amours (2) - Joël Pommerat - Photo: Blandine Armand |
Rare parce que ce ne seront qu'une quarantaine de spectateurs qui pourront assister à l'une des deux représentations (19h00 ou 20h30) pendant les cinq jours (du 12 au 16 mars) dans le studio Jean Pierre Vincent à l'Espace Grüber du TNS, rue Jacques Kablé. Une jauge réduite, un espace intime, à l'image de l'Atelier de couture, la salle qui a été transformée en atelier théâtre à Arles, mais qui aussi permet cette proximité avec les comédiens et les spectateurs. Pour vivre intensément ce qui se joue devant nos yeux, au point de le ressentir au plus profond de nous, d'être nous-même acteur - volontaire ou involontaire, quelquefois dépassé par la situation - et témoin aux premières loges de ce qui se trame entre les êtres humains. Parce que c'est de cela qu'il s'agit essentiellement. Tout ce qui s'échange de passionnant, de passionné, d'amour et de haine, de liens et de d'attraction ou aussi d'abandon, entre les hommes et les femmes qui vont s'exposer au plus intime devant nous pendant une heure dix minutes. Et souvent en face à face, des relations très fortes entre deux personnes, ou, quelquefois une relation triangulaire, qui vont s'intensifier, cristalliser, culminer à l'extrême, au summum de la tension ou de la violence. Cela peut être une histoire d'amitié, d'amour, des relations banales ou des rencontres, mais qui toujours vont amener un dénouement inattendu, imprévisible, surprenant; et même suspendu, non élucidé, comme un coupure brusque dans une trajectoire, un arrêt sur image qui interroge.
Amours (2) - Joël Pommerat - Photo: Blandine Armand |
C'est toute la magie du théâtre de Joël Pommerat, d'arriver à concentrer dans des dialogues apparemment banals, des phrases du quotidien, de construire des petites scènes d'une tragédie personnelle mais néanmoins universelle. De rendre incarnées, habitées des attitudes, des situations, des transmissions entre des êtres qui doutent, qui sont perdus ou mal à l'aise, qui sont décalés ou en déséquilibre. De les faire prendre chair, de nous les rendre naturels, réels, vivants devant nos yeux ébahis, surpris. Il faut saluer la qualité de jeu, d'interprétation, d'incarnations même des comédiennes et comédiens avec lesquels nous sommes dans une extrême proximité: Marie Piémontese, qui n'était pas destinée au théâtre mais qui, même sans changer de costume se glisse dans la peau de ses multiples personnages (une femme amoureuse, une malade d'Alzeimer,..). Roxane Isnar qui passe de l'innocence à la furie ou du sérieux au désespoir, Elise Doyère, tantôt fleur bleue, tantôt peste, tantôt proscrite. De même du côté homme, Redwane Jahel, qui passe du fils brimé à l'amant rêvé ou au timide romantique et Jean Ruimi qui endosse de sa carrure autant le père violent que celui inexistant ou des maris variés et variants ou encore le bonimenteur vantant le bonheur. Toute une série de situations plus vraies que nature qui interrogent les destinées humaines et creusent les raisons d'un malheur non mérité ou d'une vie qui nous réserve de mauvaises surprises.
Amours (2) - Joël Pommerat - Photo: Blandine Armand |
Tout cela sans fioritures, avec des effets lumière réduits au minimum, une bande son de même, quelques chansons en hors scène, un chanson sur un téléphone, et pour accessoires, des chaises qui, par leur déplacements marquent le changement de séquence. Bref, une concentré de réalité vu à la loupe comme une étude sociologique en train de se dérouler dans un espace que nous partageons avec les cobayes pour un effet décuplé. Et qui nous laisse pantois.
La Fleur du Dimanche
Au TNS du 12 au 16 mars 2024
À partir des textes
Cet enfant, Cercles/Fictions, La Réunification des deux Corées
Joël Pommerat
Élise Douyère
Roxane Isnard
Marie Piemontese
Redwane Rajel
Jean Ruimi
Roxane Isnard
Lucia Trotta
Élise Douyère
Jean Ruimi
Saadia Bentaïeb
Lucia Trotta
Emmanuel Abate
Alice Caputo
Les répétitions de Amours (2) ont eu lieu à la Friche de la Belle de Mai et à l’École régionale d'acteurs de Cannes et Marseille [ERACM].
La Compagnie Louis Brouillard reçoit le soutien du ministère de la Culture/Direction régionale des affaires culturelles [DRAC] Île-de-France et de la Région Île-de-France.
La Compagnie Louis Brouillard et Joël Pommerat sont associés à Nanterre-Amandiers, à la Coursive/Scène Nationale de La Rochelle et au TNP/Théâtre National Populaire de Villeurbanne.
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