dimanche 11 février 2024

Polifeno de Porpora à l'Opéra National du Rhin: Peplum, Amour et Fantaisie

Nicola Porpora, né à Naples en 1686, compositeur et pédagogue - il a eu comme élève le célébrissime castrat Farinelli - a écrit de nombreux opéras (plus de 40). Après Rome, Vienne et Venise, il est allé à Londres sur les terres de Haendel, où il oeuvre dans une compagnie concurrente, l'Opera of the Nobility avec le chanteur Senesino. C'est avec cette compagnie qu'il crée en 1735, avec également Farinelli, l'opéra Polifeno qui obtint un très grand succès. La pièce est malheureusement tombée aux oubliettes, de même que nombre de ses composition. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Le renouveau de l'intérêt pour la musique baroque l'ont remis sur le devant de la scène et grâce à l'initiative d'Alain Perroux, directeur de l'Opéra National du Rhin et la collaboration d'Emmanuelle Haïm et de son ensemble Le Concert d'Astrée, qui reconstitue cette pièce, Polifeno est présenté à Strasbourg, Colmar et Mulhouse dans une distribution éblouissante avec, entre autres la "star" des contre-ténors Franco Fagioli dans le rôle d'Aci et Paul-Antoine Bénos Djian dans celui d'Ulisse. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


L'opéra de Nicola Porpora intègre dans sa narration deux récits indépendants concernant le cyclope Poliphène, d'une part la mésaventure d'Ulysse fait prisonnier avec ses compagnons dans la grotte du monstre, et d'autre part l'histoire d'amour d'Acis et de Galatée que convoite aussi le cyclope. Comme ce n'est pas assez compliqué, le metteur en scène Bruno Ravella a eu la très ingénieuse idée d'y superposer le tournage d'un film du temps du Peplum italien et de mélanger la vie du tournage avec les séquences du scénario en train de se faire filmer. Mais ne vous inquiétez pas, entre réalité et fiction, mythe et musique, tout cela s'ordonne bien et les airs chantés étant répétés moult fois ajoutés aux sous-titres en français et en allemand permettent de s'accrocher à la trame de l'histoire qui se déroule devant nos yeux et ne manque pas de rebondissements. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Le traitement  à travers cette mise en abîme qui risque de surprendre un peu les puristes apporte une note humoristique bienvenue et légère. Elle n'enlève rien aux prestations vocales des différents interprètes, toutes et tous d'un très bon niveau. En tout premier lieu, Franco Fagioli, dont la voix balayant les octaves a une capacité à chanter les plus hautes notes sans aucun problème, qu'il arrive en plus à tenir. Il se plait également à chanter des ornements, des trémulations et même quelques chevrotements. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Non content de chanter comme un dieu, il se permet aussi d'être très à l'aise dans son corps, esquissant avec ravissement d'agréables et grâcieux pas de danse. Pour lui et son rôle c'est une vraie performance que cette pièce de presque trois heures. Du côté féminin, la soprano Madison Nonoa que nous avions déjà vu à l'OnR dans le rôle de Maria dans West Side Story est une impeccable Galatée à la voix magnifique et toute en clarté, tandis que la contralto Delphine Galou incarne une Calypso maîtresse femme. Elle est rompue au répertoire baroque et elle habite divinement la scène. Alysia Hanshaw, membre de l'Opéra Studio et interprète une Nérée tout en finesse. Pour le personnage d'Ulysse, le contreténor Paul-Antoine Bénos Djian, apporte toute la puissance de sa voix, même si elle n'a pas à monter pas autant que celle d'Acis. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Son costume, plutôt Hercule des péplums qu'Ulysse a un petit côté comique, tout comme celui du monstre Polifeno. Pour le cyclope, les deux versions en "plan américain" et en "plan rapproché", en l'occurrence quand, il est perché en majesté sur un volcan avec Ulysse et ses compagnons réduits à la taille des petits soldats et l'autre où il est symboliquement réduit à sa tête - énorme avec un oeil unique et sa main, toute aussi énorme cherchant son vin ou essayant d'attraper les compagnons, sont une belle invention qui dénotent d'un regard cinématographique. Cette option de mise en scène apporte de la couleur et de la fraîcheur dans le déroulé de l'action. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


La vie d'un plateau de tournage et les petites intrigues que l'on discerne, l'assistante- scripte genre Mary Poppins avec une touche comique et les mouvements incessants sur le plateau entre les "prises" éclairent agréablement le déroulement de la pièce. Les toiles décor - l'impressionnant volcan qui se dresse dans le ciel et la plage lumineuse avec l'île d'Ogygie au fond - apportent le rêve et l'évasion, même l'exotisme. En particulier avec une adorable séquence de danse baroque en costume de vahiné. Le "rêve" d'Ulysse et ses effets spéciaux est également un beau clin d'oeil. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Les séquences de "tournage" à proprement parler ne sont pas trop "lourdes" - même si un gros projecteur se transforme symboliquement en un énorme rocher meurtrier.  Et les différentes variations autour de l'Amour permettent aux interprètes de le chanter dans toutes les couleurs. Une mention spéciale pour Le Concert d'Astrée qui joue sur des instruments anciens, dirigé toute en retenue Emmanuelle Haïm.


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


La sonorité particulière convient tout à fait à ces airs renouvelés et répétés qui nous parlent d'amours lancinantes, d'absence, d'attente et de douleur pour finir dans un double duo d'amour libérateur d'autant plus agréable. Et le mot Fin peut s'afficher sur l'écran.


La Fleur de Dimanche


A Strasbourg, du 5 au 11 février à l'Opéra National du Rhin

A Mulhouse au Théâtre de la Sinne le 25 et 27 février 2024

A Colmar au Théâtre Municipal le 10 mars 2024


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