Avec son spectacle Fajar présenté au TNS, Adama Diop nous convie à une étrange traversée. Ce très bon comédien qui a déjà joué, entre autres avec Julien Gosselin, Tiago Rodrigues et Jean-François Sivadier, est retourné à ses origines, son pays, mais aussi la poésie et le texte. Et, période de Covid aidant, il a commencé à se plonger dans son histoire par l'écriture qui a peu a peu pris forme. Cette forme était d'ailleurs plutôt cinématographique, s'appuyant sur un court-métrage, mais allant plus loin au fur et à mesure de ce travail.
Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin |
Et ce qu'on voit ici, sur scène, ce sont plusieurs traversées. Traversée des modes de narration et des médias, traversée de différentes étapes d'une vie et traversée de pays, de continents et également traversée de la mer pour arriver d'Afrique en Europe. Nous allons suivre l'histoire de Malal, un jeune sénégalais dont la mère vient de mourir, à travers ses errements, ses relations difficiles avec le monde, ses amis, sa compagne Jupiter et ses angoisses qui se traduisent par des rêves surprenants et inquiétants. L'histoire commence, après un poème qui s'inscrit sur la toile tendue sur toute la largeur de la scène, par une voix off qui nous explique la tradition des contes et leur rituel en Afrique où, quand le conteur dit "Il était une fois", l'audience répond "Il était cette fois".
Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin |
Puis, de manière surprenante, nous plongés dans un film extralarge en noir et blanc, comme un documentaire qui va suivre la vie de notre "héros" Malal. Nous le suivons dans sa vie, indécise, inquiète, avec sa sa femme, ses amis, ses interrogations, ses pensées et les séquences oniriques, rêves, cauchemars ou visions qui apparaissent en couleurs, en particulier sa mère ou une inconnue blonde qui semble le connaître et qui dit s'appeler Marianne. Ce sont de magnifiques images, une très belle réalisation en collaboration avec Rémi Mazet et Pierre Martin Oriol, superbement filmée et bien sûr Adama Diop dans le rôle principal.
Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin |
A un moment, pour la partie intitulée Interlude, (nous avons déjà eu entre autre La Mère et La plongée, relatives à la mort de la mère et à son épisode dépressif) l'écran se lève, et l'on voit les trois musiciens que l'on entendait depuis le début, sur scène. la violoniste Anne-Lise Binard, la violoncelliste Léonore Védie et le joueur de ngoni - une sorte de guitare traditionnelle - Dramane Dembélé. Plus tard il va aussi jouer de la flûte mandingue, curieux instrument où il chante aussi en jouant. Leurs airs et improvisation, complétés par la musique électronique composé par Chloé Thévenin, accompagnent à merveille le déroulé de cette histoire.
Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin |
Le dialogue entre scène et écran se renforce. Sur l'écran, les épisodes se succèdent, une envolée céleste (L'Ascension) et une transformation (L'Exuviation) plus périlleuse, avec la rencontre aussi d'un sage sur le bord de la mer (hiératique Frédéric Leidgens). Suit une fantomatique traversée des eaux dans la brume, belle image théâtrale pleine d'onirisme. Et l'on se réveille dans le camp des réfugiés, où nous attend le cataclysme et l'incendie. A se demander si le personnage n'est pas poursuivi par le sort qui s'abat sur lui et surtout sur les êtres qu'il côtoie.
Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin |
Et nous arrivons à la dernière étape de la traversée, où, pour ce qui est de la narration, nous passons d'abord à des images d'actualité où, à la faveur d'une bavure policière dont Malal est la victime, nous voyons des images de manifestations anti-raciale et contre les violences policières qui semblent faire le tour du monde pour basculer dans un univers postapocalyptique dans lequel un conteur - un vrai avec masque et costume traditionnel - va, en litanie, lister les morts et blessé des victimes du racisme et de la xénophobie.
Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin |
Puis le conteur reprend les apparences du poète pour faire le bilan de cette traversée de presque trois heures, traversée d'une vie, traversée risquée et dangereuse, dont on ne sait jamais où elle vous mène et où la morale pourrait être : "Si tu vas jusqu'à ne plus savoir où tu vas, retourne d'où tu viens." Et l'on pourrait ajouter que ce qui est important n'est pas le but mais le chemin pour y arrive. Et nous sommes très heureux d'avoir pu cheminer ainsi, accompagné de ce verbe beau et riche, cette belle prose poétique qui nous a merveilleusement décrit cette odyssée aventureuse et émouvante. Un destin parmi tant d'autres que nous avons côtoyé au plus près.
La Fleur du Dimanche
Au TNS Strasbourg - du 20 au 24 février 2024
Adama Diop
Avec
Adama Diop
et les musicien·nes
Anne-Lise Binard (alto, chant, guitare électrique)
Dramane Dembélé (ngoni, flûtes mandingues)
Léonore Védie (violoncelle)
Scénographie
Lisetta Buccellato
Son
Martin Hennart
Lumière
Marie-Christine Soma
Vidéo
Pierre Martin Oriol
Costumes
Mame Fagueye Ba
Conception des masques
Étienne Champion
Musique électronique
Chloé Thévenin
Collaboration artistique
Sara Llorca
Écriture et réalisation du film
Adama Diop
À l’image
Emily Adams
Adama Diop
Cheikh Doumbia
Marie-Sophie Ferdane
Frédéric Leidgens
Sara Llorca
Boubacar Sakho
Fatou Jupiter Touré
Issaka Sawadogo
Joséphine Zambo
Chef opérateur
Rémi Mazet
Montage
Adama Diop
Pierre Martin Oriol
Mixage son
Françis Berrier
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