Bernard Marie-Koltes est un immense poète du théâtre contemporain, hélas parti trop tôt. De sa pièce Quai Ouest créée par Patrice Chéreau en 1985, Ludovic Lagarde en fait une belle chorégraphie des corps dans un décor - et un traitement - très cinématographique. Et il arrive à magnifier ces paroles diverses et disparates dans un magnifique cocktail qu'il construit avec un choix d'actrices et d'acteurs qui se complètent magnifiquement.
TNS - Quai Ouest - Ludovic Lagarde - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Tout d'abord, Laurent Poitrenaux, ce Koch égaré dans cette zone où il n'a rien à faire mais où il va à la rencontre de la mort, cherchant à se suicider et sujet, après son sauvetage à toutes les négociations de la part des habitants du lieu. Laurent Poitrenaux arrive à la fois à rendre sympathique ce riche entrepreneur, escroc égocentrique pusillanime et infantile. Il très bon dans les geignements et les gémissements et en fait presque trop.
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Christèle Tual assume avec audace et brio le rôle de Monique sa secrétaire avec sa froide souveraineté matinée d'une naïve autosatisfaction. Laurent Grévill en Rodolfe, le frère, fils, ami qui est un peu le point central de toutes ces relations est peut-être le personnage le plus complexe et riche, celui dont nous allons voir le plus de facettes et de richesse tout au long du déroulement de l'histoire. Sa soeur, jouée par Léa Luce Busato, une vraie découverte, sinon la révélation de la pièce, nous fait découvrir cette jeune fille de quatorze ans dont cet épisode va marquer un passage dans sa vie. Passage montré à la fois par le changement de son discours, de naïf et rhétorique à une passionnante déclaration d'amour iconoclaste. De plus, l'épisode de la chaussure perdue-volée place ce personnage à la fois dans le conte de fées et le symbolique.
TNS - Quai Ouest - Ludovic Lagarde - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Antoine de Foucauld qui interprète avec verve et brio Fak, le petit voyou doté d'une logique à la limite de la pataphysique et d'un vocabulaire très typé s'en sort très bien dans ces relations multiples avec les autres personnages (Roldolphe et sa soeur, mais aussi Koch et Monique, deux proies bien différentes). Dominique Reymond a un très beau rôle dont on découvre différentes facettes - et transmutations tout au long de la pièce, on en est presque à ne pas la reconnaitre et elle nous surprend dans sa facilité à parler des langues étrangères et même rares. Son mari, joué par Laurent Grévill, lui aussi se métamorphose au long de la pièce, de vieillard fini en devient presqu'un combattant révolté. Et pour garder le plus atypique, le moins bavard mais celui dont la présence explose sur le plateau, Kiswendsida Léon Zongo qui incarne au sens propre Abad, sa présence et sa force, sa stature et sa puissance sont impressionnantes.
TNS - Quai Ouest - Ludovic Lagarde - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Tout cet équipage sur ces quais déserts et découpés au cordeau par le magnifiques lumières de Sébastien Michaud nous jouent une comédie humaine désenchantée et acide, critique sombre et désespérée d'un monde qui s'écroule, avalé par le progrès et l'argent des spéculateurs, sans solutions pour les laissés-pour-compte, ni pour ceux que le système broie même s'ils ont de l'argent. Cette tragédie moderne est menée de main de maître par le metteur en scène Ludovic Lagarde qui fait totalement confiance à ses interprètes au service d'un texte sublime.
TNS - Quai Ouest - Ludovic Lagarde - Photo: Jean-Louis Fernandez |
La Musique de Pierre-Alexandre "Yuksek" Busson participe à l'installation d'une atmosphère anxiogène et la scénographie d'Antoine Vasseur, dévoilant très peu de cet univers en focalisant sur les murs et les passages, les recoins cachés (grâce aussi aux éclairages déjà cités), et les images de Jérôme Tuncer qui installent la même ambiance sombre - rideaux, mer sombre et massives, pluie,..) et les quelques bruitages de David Bichindaritz (pluie, vent, envol brusque de pigeons?,..) complètent le tableau.
TNS - Quai Ouest - Ludovic Lagarde - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Tout cela donne une magnifique pièce, avec un texte superbe, menée tambour battant avec un suspense soutenu et qui en même temps nous rend attentifs à une certaine dérive de la civilisation, pas très optimiste, mais dont le ton varie entre humour, quelquefois à la limite comique et une humanité même si elle est blessée et fragile. Et elle crie le besoin d'amour. Elle a été créée à Rennes au Théâtre National de Bretagne le 28 décembre 2021 (Ludovic Lagarde en avait monté une première version à Athènes, en Grec en 2014) et elle est jouée au TNS à Strasbourg jusqu'au 16 décembre puis en tournée en janvier à Douai et en février aux Amandiers à Nanterre.
La Fleur du Dimanche
Texte Bernard Marie Koltès
Mise en scène Ludovic Lagarde
Avec Léa-Luce Busato, Antoine de Foucauld, Laurent Grévill, Micha Lescot, Laurent Poitrenaux*, Dominique Reymond*, Christèle Tual, Kiswendsida Léon Zongo
Assistanat à la mise en scène, dramaturgie Pauline Labib-Lamour
Scénographie Antoine Vasseur
Lumière Sébastien Michaud
Costumes Marie La Rocca
assistée de Armelle Lucas
Maquillage et coiffure Cécile Kretschmar
Musique Pierre-Alexandre "Yuksek" Busson
Musique additionnelle Come Rain or Come Shine (Harold Arlen - Johnny Mercer) par Ray Charles
Son David Bichindaritz
Image Jérôme Tuncer
Stagiaire à la dramaturgie Juliette Porcher
Régie générale François Aubry ou Corto Trémorin
Régie plateau Éric Becdelièvre
Régie lumière Sylvain Brossard
Régie son Vincent Hursin
Régie vidéo Guillaume Mercier
Habillage Florence Messé
Maquillage Mityl Brimeur ou Charlène Torrès
*Laurent Poitrenaux et Dominique Reymond sont artistes associé·e·s au TNS.
Le texte est publié aux Éditions de Minuit.
Production TNB – Théâtre national de Bretagne, la Compagnie Seconde nature
Coproduction Théâtre national de Strasbourg, Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national, Scène nationale d’Albi, La Comédie de Clermont-Ferrand, Scène nationale, le TAP - Théâtre Auditorium de Poitiers, Le Tandem - Scène nationale Arras-Douai
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national et de La Villette, Paris
Production Jean-Michel Hossenlopp
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