Pourtant, Sylvain Creuzevault réussit à en faire un Banquet, Capital, même...
La politique trinque
C'est vrai, cela se passe à Paris et cela parle de Karl Marx qui est aussi passé à Paris en 1848... Mais à part Marx, qui se souvient, s'il ne vit pas à Paris ou y prend le métro, de Louis Blanc, de François-Vincent Raspail, d'Armand Barbès et de sa soeur Augusta (bon, celle-là on l'a oubliée sur la carte), d'Alexandre Ledru-Rollin ou encore d'Auguste Blanqui. Et puis, un banquet, pour fêter quoi? Une insurrection, une manifestation, une révolution?
TNS - Banquet Capital - Sylvain Creuzevault |
En fait une banquet c'est:
"Une série d'environ 70 réunions organisées dans toute la France entre 1847 et 1848 par les réformateurs pour demander un élargissement du corps électoral et s'opposer aux décisions prises par le gouvernement conservateur de François Guizot.
Contournant l'interdiction de réunions politiques en prenant la forme de banquets, cette campagne s'étend à tout le pays et défend des idées variables selon les lieux et les dates. ... ils permettent peu à peu l'expression des idées républicaines...
Devant l'ampleur prise par le mouvement, le gouvernement ... fait interdire une de ces réunions, qui devait se tenir à Paris le 22 février 1848. ... lançant la révolution de février 1848 qui entraîne la chute de la monarchie de Juillet et le départ du roi Louis-Philippe."
Il faut saper et désaper l'Histoire
Bon, dit comme cela ça a l'air très sérieux... Mais la pièce "Banquet Capital" parle effectivement de ces choses très sérieuse mais dans une forme totalement prenante, les joutes politiques entre ces personnages qui défendent leur point de vue sont vivantes, leur discours sur la liberté, l'engagement, le travail, la valeur de ce travail deviennent des sujets où l'on s'accroche pour en connaître le bout. Par exemple la présentation de la conception de la valeur du travail d'un ouvrier, de par le fait même que c'est ardu en devient drôle et stimulant. Le texte virevolte, les comédiennes et les comédiens jaillissent, sautent, jubilent, s'invectivent, tiennent un rythme du diable. Et disent leur texte avec une clarté et une passion exemplaire.
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Que ce soit sur le sujet du droit de vote des femmes (et là surgit Jeanne Deroin et Friederike Koschuetzki), de la représentation du peuple (avec Alexandre-Martin, "l'ouvrier Albert"), du droit de pétition, du partage du travail et du chômage (les Ateliers Nationaux de Louis Blanc), et incidemment l'exploitation de l'ouvrier, la géographie politique de Paris (cernée par les enceinte - mur des Fermiers Généraux) mais également coupée en deux par une ligne Nord-Sud passant par la rue Saint-Denis) ou la stratégie politique et d'organisation de manifestations, tout cela se passe dans une grande ébullition et des rebondissements qui nous tiennent en haleine.
De plus les personnages sont totalement incarnés par les comédiennes et comédiens qui ont su les caractériser (Blanqui et sa boite de haricots, Raspail et son couteau, Firmin et sa cravate rouge,...).
Le théâtre du procès ou le procès du théâtre
Au cours de la pièce, le sérieux dérape et nous assistons à une scène de procès hilarante où surgissent même Jacques Lacan et Marx dans des visions burlesques.
Car le Théâtre de Sylvain Creuzewault, c'est la joie:
" L’art de l’acteur, on dit que c'est jouer au présent. Au théâtre, on tue le jeu si on le saisit autrement qu’en le dévorant des yeux. Il faut comprendre ce paradoxe : c’est en ne cherchant pas à le pétrifier qu’on le complète. Il faut le parfaire sans l’achever. Comment contient-on l'éternité dans un instant ? Attendez, essayons autrement. Disons que le théâtre, c’est ce que les sociétés ont inventé pour répondre à une question qui n’aura jamais de réponse : pourquoi on ne sait pas pourquoi on sait qu’on va mourir? C’est pour rire de cette question qu'on a inventé le théâtre ; s’en défaire en la faisant jouer, s'en passer à condition de s'en servir, jouer avec ce qui nous dévore... "
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Et ses comédiens ne font pas que jouer, ils ont ingéré leur personnage et leur Histoire et l'ont régurgité sous une forme spectaculaire après l'avoir à la fois digéré et fait monter ou mousser, cuisiner... Car c'est un vrai Banquet auquel toute cette folle équipe nous fait assister. Et nous y prenons un énorme plaisir, qui nous fait aimer le théâtre tout en réfléchissant à l'Histoire et à la Société.
La Fleur du Dimanche
Banquet Capital
Strasbourg du 4 au 12 octobre au TNS - Salle Koltès
D’après Le Capital de Karl Marx
Mise en scène
Sylvain Creuzevault
Avec
Vincent Arot - Louis Blanc
Benoit Carré - Firmin dit Rétif / président du tribunal
Antoine Cegarra - Charles Baudelaire
Pierre Devérines - Alexandre Martin, dit l'ouvrier Albert
Lionel Dray - Vincent-François Raspail
Vladislav Galard ou Léo Antonin Lutinier - Daniel Borme
Arthur Igual - Louis-Auguste Blanchi
Clémence Jeanguillaume - Friederike
Frédéric Noaille - Eugène / Alexandre Ledru-Rollin
Amandine Pudlo - Jeanne / Alphonse de Lamartine
Sylvain Sounier - Friedrich Engels / Frédéric Barochet, procureur
Julien Villa - Armand Barbès
Noémie Zurletti - Armande Barbès
Production Le Singe (Élodie Régibier)
Le spectacle Le Capital et son Singe a été créé en mars 2014 et joué une centaine de fois jusqu’en décembre 2015.
Dans une nouvelle forme, Banquet Capital a été présenté au Clos Sauvage à Aubervilliers en janvier 2018 puis en août suivant au Théâtre rate, dans les anciens abattoirs d’Eymoutiers en Haute-Vienne.
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