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vendredi 2 mai 2025

LottEmma, deux femmes, un destin: l'exode et son ombre au théâtre

 Il y a 80 ans, les dernières offensives contre l'Allemagne nazie se déroulaient sur le front de l'Ouest, en particulier en Alsace, mais aussi à l'Est où le front russe avançait vers Berlin. A Drusenheim, ville particulière touchée par le sursaut et le retour de l'armée allemande lors de l'opération surprise Norwind (Vent du Nord) fin 44, on a célébré sa libération après d'âpres combats le 17 mars 1945. Diverses manifestations et une exposition ont ainsi remis en mémoire ces événements, de même que l'exil à Saint Léonard de Noblat en août 1939. Cet exil, l'évacuation, peu de personnes qui l'ont vécu en parlent et le nombre des témoins se réduit de jour en jour. Et plus rare encore les témoignages de la population allemande qui, sur le front Est a souffert de la même manière d'un exode qu'elle n'a pas souhaité lors de l'offensive russe vers Berlin.


LottEmma - Compagnie du Rhin Supérieur


Il se trouve que la comédienne et metteuse en scène Henrietta Teipel a eu connaissance du journal de l'une de ces réfugiées qui n'était autre que sa grand-mère Lotte, Charlotte Teipel. C'est sa tante Hanne, Hannelore, qui ltayant retranscrit de l'écriture manuscrite (du Sütterlin) en une version d'Allemand d'aujourd'hui qui le lui a révélé. Lotte, dans ce journal rédigé un an après la guerre, y raconte son exil de Königsberg vers Berlin avec sa soeur Hilde et ses deux enfants, donc Hanne et le père d'Henrietta, Franck, qui avaient respectivement un an et demi et trois ans et demi. Fort de ce témoignage, Henrietta Teipel décide d'en faire un spectacle, en ces temps où l'on commémore les 80 ans de l'armistice et où cette episode tend à perdre ses témoins, mais c'est de nouveau d'une brûlante actualité. Ainsi, elle adapte ce document historique en une pièce LottEmma pour "rappeler que - malgré nos différences nationales - nos traumatismes, nos peurs, et nos besoins humains sont universels". Celle-ci et présentée en première au Pôle Culturel de Drusenheim par la Compagnie du Rhin Supérieur, une jeune troupe de théâtre franco-allemande.


LottEmma - Compagnie du Rhin Supérieur


La pièce commence à la lumière de la "servante", cette lumière qui éclaire la scène de théâtre quand elle n'est pas utilisée. Peut-être une double référence au fait que le théâtre peut être le témoin, l'endroit où l'on rejoue ce qui s'est passé, que l'on n'oublie pas, la mémoire qui reste. Et d'autre part à cette célébration lors de l'épidémie de COVID, quand la servante veillait aussi symboliquement, en attendant que la vie reprenne. Une période où l'on a eu le temps de se pencher sur soi, son histoire, son passé. Henrietta Teipel entre en scène et nous présente en Allemand le contexte et l'objectif de la pièce, appelle sa tante au téléphone pour témoigner de la réalité de la représentation et de la véridicité du récit et distribue les rôles et fonctions aux musiciens et à la comédienne, Beatriz Beaucaire. Les rôles de cette dernière sont nombreux, à commencer par celui de la soeur de Lotte, Hilde, puis l'image miroir de Lotte, Emma, la version française, plutôt lorraine de l'exilée, Henriette se chargeant d'incarner Lotte. La langue sera alternativement selon le contexte l'allemand, le français ou l'alsacien, un sous-titrage étant projeté sur des écrans de chaque côté de la scène.


LottEmma - Compagnie du Rhin Supérieur


L'épisode un peu brechtien de distanciation, et d'interrogation sur comment raconter cette histoire, témoignage primordial et nécessaire laisse rapidement la place à la magie et l'artifice du spectacle qui ne nuit aucunement à la force du témoignage. Les comédiennes incarnent avec vérité et persuasion les deux soeurs en danger à Königsberg in der Neumark (dans le Brandebourg - maintenant Chojna en Pologne), craignant l'avancée des Russes et témoins - et victimes - de leur exactions, puis leur longue marche à travers la campagne jusqu'à Berlin. Les costumes d'Anna Lamfuss rendent bien compte de l'ambiance et de la sobriété de l'époque et un bonnet ou un foulard font changer de personnage. Une valise, une simple charrette qui se transforme symbolise bien cette errance. On plonge dans la foule sur un quai de gare où se perd le petit frère, des espaces naissent derrière des draps blancs, la route sans fin se projette en découpes sur la charrette et un drap tendu nous offre un numéro de Guignol avec les Russes qui occupent l'appartement et y font une fête orgiaque. On plonge même dans un univers féérique avec un mystérieux chevalier dans la forêt et, au passage, une réminiscence métaphorique du Petit Chaperon Rouge. L'utilisation d'une marionette pour le personnage de Hanne est une réussite, Beatriz Beaucaire y montre ici son art de jouer le double rôle de la tante et de l'enfant. Celui-ci non seulement devient très attachant mais en plus avec l'exercice de comptage matinal avec les objets qui disparaissent, il révèle aussi la lente dégradation des conditions de ce voyage. 

Ce type de souvenirs se retrouve en écho dans le témoignage d'Emma de retour de son exode et montre aussi les conséquences sur le versant domestique et intime d'un conflit historique dont on ne parle jamais. Tout comme il est difficile de parler du destin individuel des personnes dans ce type de conflit et qui reste en point d'interrogation dans la pièce sous les appellations Français, Lorrains, Russes, Allemands, Nazis, maman, Mutti. Mais on constate bien que la question de l'accueil (une soupe, un café) est importante.


LottEmma - Compagnie du Rhin Supérieur


Tout comme est importante dans cette pièce la présence de la musique et des deux comparses Mathieu Gaillard et Fabrice Kieffer, le premier avec ses clarinettes, le deuxième à l'accordéon et à la vielle à roue qui nous créent la diversité des ambiances, que ce soit une atmosphère intime avec le son tenu de la vielle et de la clarinette basse, ou les moment léger et enjoués qu'animent l'accordéon et les mélodies gaies à la clarinette, ou encore les airs d'époque, témoignage d'une tradition populaire et d'une culture qui disparait. La musique rythme vraiment le déroulé de ce voyage (et même le train!). Au final, LottEmma nous offre une riche traversée de l'Histoire avec un grand H vue sous la lorgnette d'un destin individuel, une histoire anonyme enrichie par les multiples artifices du théâtre et ses nombreuses déclinaisons ici convoquées - décor, jeu, marionnettes, théâtre d'ombre, jeux de lumière et musique - et superbement porté par deux comédiennes qui jonglent avec aisance entre les personnages. Un spectacle plaisant, utile et nécessaire. Une récit méconnu et emblématique à faire découvrir.


La Fleur du Dimanche


Au Pôle Culturel de Drusenheim le 2 mai 2025

DISTRIBUTION
adaptation du journal intime, écriture du texte théâtral & mise en scène
HENRIETTA TEIPEL
co-écriture du texte théâtral, recherche & dramaturgie
 JENNIFER ROTTSTEGGE

avec
BÉATRICE BEAUCAIRE & HENRIETTA TEIPEL

création sonore & musique originale & musique live
MATTHIEU GAILLARD & FABRICE KIEFFER

création d’ombres et d’objets
ANDY KURRUS & MARIE WACKER

création & Régie lumière
SOPHIE BAER

scénographie & costumes
ANNA LAMSFUSS

jeudi 6 mars 2025

Marie Cheyenne - Enfermés dehors: Guitare voix, et quelle voix ! Textes et humour, à revendre!

 Marie Cheyenne, si elle s'appelle comme cela, c'est qu'elle est une guerrière, une guerrière avec une crinière, mais une guerrière qui chante. Vous l'avez peut-être déjà entendue, elle écume les scènes en Alsace (Strasbourg, Schirmeck, Oberhausbergen, Sélestat, Illkirch, Vendenheim, Illkirch, Wintzenheim,...) , même si ces derniers temps elle tourne plutôt dans le reste de la France. Alors, l'attraper à Drusenheim au Pôle Culturel, il faut le faire, il faut être un peu cow-boy et garder l'esprit joueur. Et l'esprit joueur elle l'a aussi. Mais pas seulement, parce qu'en plus de l'humour, elle a un sacré esprit critique. Mais surtout, elle est superbement servie par sa voix. 


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


Non seulement elle arrive à chanter en montant très haut dans les octaves, on pense des fois à Barbara, mais elle arrive aussi à faire des vocalises, à susurrer ou à chanter très vite, si vite qu'on n'a plus le temps de comprendre les paroles. Mais rassurez-vous, pour elle, les paroles sont importantes et, sauf pour ce numéro virtuose, elles sont toujours compréhensibles. Oui, les paroles sont importantes, parce que souvent les chansons sont bourrées d'humour, au premier ou au deuxième degré, quelquefois elles sont aussi engagées, mais pas chiantes pour autant, et elle sait même chanter des chansons à double sens, comme celle du tiramusi, (Plaisir coupable) une description suggestive de plaisirs solitaires. Et c'est un challenge réussi de sa part de la chanter juste après une chanson qu'elle a écrite avec une classe de CE1 de l'école Jacques Gachot de Drusenheim avec le formidable engagement de l'enseignante, Géraldine Wackenheim. Elles ont fait fort parce que pendant ces deux mois de travail avec les élèves, Marie Cheyenne a même réussi à en créer deux avec la classe. Deux chansons qu'ils ont donc aussi interprétées sur scène.


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


Même que les élèves sont revenus la chanson des Cowboys et des Indiens, une chanson pas facile mais qu'il ont chantée sans difficulté (certain(e)s l'ont même chantée intérieurement - ils ne devaient chanter que le refrain. La première chanson qu'ils ont écrite est très touchante, elle parle de leur désir d'avoir un jardin secret, la deuxième est plus rigolote et parle de leurs peurs d'enfant et leur permet de les mettre à distance. Les enfants sont vraiment formidables, et l'on imagine que certains ou certaines se sont trouvé une vocation à les voir sur scène chanter et bouger.

Marie Cheyenne, c'est sûr, elle, a cette vocation chevillée au corps et elle se bat pour la cultiver, se moquant des obstacles, comme lorsqu'elle a sorti son premier disque en pleine pandémie en 2020. Et l'on imagine que le deuxième disque Enfermés dehors sorti il y a un an et qui a donne son titre au spectacle est une sorte de révolte par rapport au confinement, une sorte d'appel à sortir en brisant les barrières que chacun(e)s pourrait trouver sur son chemin.


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


Pour ce qui est du reste du tour de chant, celui-ci est vraiment très varié en style, puisque cela commence par de la musique dansante qui parle du Bal perdu, et suivent d'autre rythmes de danse, que ce soit la valse ou le tango et une, mélange de swing et de rock-an-roll. Les chansons sont souvent bien rythmées et la mélodie, accrocheuse sert aussi le message, engagé, mais pas triste, quelquefois avec de l'autodérision, comme Une Chanson formidable (agréable, irréprochable, interminable,...) ou cette chanson (Quand on vous aime comme ça) sur le prince charmant et la vie qui va avec, qui raconte sous couvert de conte de fée, une histoire malheureusement beaucoup plus déceptive, si ce n'est franchement tragique. L'histoire est racontée, avec verve, humour pince-sans-rire et entrain. Une chanson tout à fait de circonstance la veille du 8 mars, mais qui est d'actualité tous les jours de l'année. Elle fait aussi un hommage aux Beatles avec Demain où elle prouve qu'elle peut autant chanter en anglais que la nostalgie et la joie. Après avoir fait revenir sur scène les enfants pour C'est quand qu'on mange, elle tente d'embaucher les adultes avec une chanson d'Aristide Bruant Les Canuts, une chanson de combat. Elle est tout autant à l'aise avec sa flûte en interprétant un air de Brassens, un de ses inspirateur, que pour construire des boucles avec percus des doigts, guitare, voix pour mieux impliquer le public et faire les présentations de son équipe grâce à laquelle elle réussit à nous enchanter - et réfléchir - avec son spectacle. 


Marie Cheyenne - Pôle Culturel Drusenheim - Photo: Robert Becker


La soirée s'achève par un bis où, seule avec un tambourin, elle interprète a cappella et avec coeur une très belle et poignante version du Déserteur de Boris Vian pour couronner cette soirée pleine d'émotions de toute sortes.


La Fleur du Dimanche


Pour connaître ses tournées, c'est ici:

https://marie-cheyenne.com/#dates

Un peu partout en France, le 17 mai à Ernoslheim-sur-Bruche et le 25 mai aux Ateliers Ouverts, quelque part dans le Port du Rhin à Strasbourg

P.S. Marie Cheyenne propose aussi des concerts "Bal Perdu", le prochain se passe dans le Nord de l'Alsace à Beinheim le 22 mars puis à Reims le 18 mai dans le cadre du Festival Jazzus