Dans la vie, il nous arrive rarement de vivre des expériences exceptionnelles, fortes, bouleversantes. Le théâtre et sa "catharsis" est un lieu propice à ce genre de situation et permet d' "être" quelqu'un d'autre. Julie Delille avec sa pièce "Je suis la bête" nous fait littéralement vivre une "expérience première", un moment exceptionnel dans cette mise en scène du magnifique texte d'Anne Sibran qu'elle a adapté pour le Théâtre du Peuple à Bussang. Cette pièce, elle l'avait créée en 2018 en travaillant le texte du roman éponyme (paru en 2007) avec l'autrice. Et là, dans ce théâtre en pleine nature, dans la montagne, à Bussang, avec cette scène qui peut s'ouvrir sur la forêt, le lieu est idéal pour faire surgir, et les énergies qui sourdent dans cette pièce, et nous faire entendre le silence et voir l'invisible.
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Théâtre du Peuple Bussang - Julie Delille - Je suis la bête - Photo: Vincent Zobler |
C'est vraiment une immersion totale qui nous attend dans la grande salle du théâtre de bois. Immersion dans l'histoire et plongée totale dans ce que nous raconte cette jeune fille:
"Un jour, ils m'ont poussée dans un placard, puis ils ont refermé la porte. Et je ne les ai jamais revus."
Nous aussi, nous sommes comme enfermés dans ce placard noir. Nous suivons les aventures et la découverte d'un monde, obscur, nocturne, hostile, inconnu. La voix de Julie Delille nous parle dans un espace immense semble-t-il. Peu à peu elle prend corps, elle apparaît, disparait, magicienne des déplacements. Ses gestes, ses mouvements sont a la fois extrêmement précis et justes. Elle est.... la bête, une créature entre l'espèce humaine et l'animal, le fauve, brutal, sanguinaire, inquiétant. Les éclairages fantomatiques d'Elsa Révol font de la silhouette de l'actrice un miroir brisé, des éclats phosphorescents, une silhouette singulière, mi-femme, mi-animal qui, au fur et à mesure de la pièce prend corps, évolue, s'émancipe.
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Théâtre du Peuple Bussang - Julie Delille - Je suis la bête - Photo: Vincent Zobler |
La création sonore d'Antoine Richard tout aussi discrète et précise que le jeu de la comédienne nous fait imaginer l'environnement dans lequel elle évolue: pièce sombre, espace fermé, extérieur hostile, présences inquiétantes, éléments de la nature qui surviennent. Tout cela par de discrets craquements ou un tonnerre qui gronde. Nous sommes immergé dans un univers qui nous dépasse. Et nous nous accrochons à ce fil de voix qui nous emmène dans des contrées jamais explorées, totalement improbables.
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Théâtre du Peuple - Julie Delille - Je suis la bête - Photo: Vincent Zobler |
Une expérience première dans laquelle nous sommes ballotés et bousculés. A la fois pleinement conscients de ce qui nous arrive mais totalement sidéré de ce que nous vivons par procuration, par le récit qui parvient à nous oreilles et qui nous fait vivre une expérience extrême que nous faisons nôtre. Malgré la distance que la mise en scène et la scénographie nous impose, nous sommes projetés et dans les pensées et dans les actions de cette jeune fille dont nous imaginons le parcours. Les gestes, les attitudes, les positions, la voix de Julie Delille, incroyablement maîtrisés, nous fait totalement adhérer au parcours, à l'évolution de son personnage. Ses transformations infimes mais très justes nous incluent dans sa métamorphose et nous propulsent dans cet univers étrange et singulier.
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Théâtre du Peuple Bussang - Julie Delille - Je suis la bête - Photo: Robert Becker |
L'expérience vécue est unique et les spectateurs ébranlés font une ovation largement méritée à l'actrice qui nous a fait découvrir l'invisible. Un étrange périple, une singulière expédition.
La Fleur du Dimanche
Je suis la bête sera présenté à La Manufacture - CDN de Nancy du 7 au 9 avril 2026
Générique
mise en scène et interprétation Julie Delille
création lumière Elsa Revol
création sonore Antoine Richard
accompagnement artistique Clémence Delille, Baptiste Relat, Pablo Roy
régie générale / plateau Sébastien Hérouart
régie plateau Yvan Bernardet
régie son Frédéric Guillaume
régie lumière Lou Morel
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