Il y a une sacrée agitation dans la salle Bernard-Marie Koltès et surtout sur la scène du TNS le soir de la première de la pièce Barber Shop Chronicles produite par le Théâtre de Liège avec, entre autres le TNS de Strasbourg. Le plateau est en quelque sorte désacralisé et réseausociabilisé. Concrètement, une partie du public, essentiellement jeune, se presse pour des selfies avec la "troupe", en situation chez le coiffeur, que l'on imagine alimenter les réseaux. Et l'on se donne à coeur joie dans cette cérémonie pré-spectacle. Jusqu'à ce qu'un comédien nous annonce que nous devons "étreindre n(v)os téléphones portables ou les mettre en mode "avion" ou "sous-marin" sous peine d'une coupe-à-zéro immédiate". Mais cela ne plombe pas l'ambiance et la joie reste présente dans ce salon, lieu d'échange et de convivialité.
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| Barber Shop Chronicles - TNS Strasbourg - Photo:Robert Becker |
Effectivement, il est quelquefois affirmé qu'un passage chez le coiffeur équivaut à une séance chez le psychologue ou le psychanalyste. Ici, et pendant plus de deux heures, mais qui deux heures qui passent à toute vitesse grâce à un récit qui jongle entre les destins croisés de toute cette fourmilière, à la manière des contes des mille et une nuits dans une mise en scène dynamitée de Junior Mthombeni et Michael De Cock. Nous suivons les histoires individuelles de quelques personnages, entremêlés à la destinée de leur pays d'origine en Afrique (République démocratique du Congo, Burkina Faso, Cameroun, Sénégal, Côte d'Ivoire) via des plongées dans les salons de coiffure de leurs capitales (Kinshasa, Ouagadougou, Douala, Dakar, Abidjan), et également Bruxelles, point de chute des émigrés de ces pays qui se retrouvent dans un salon de coiffure d'Ixelles. Le tout est ponctué par un match de finale de la Ligue des Champions PSG - Barcelonne où apparemment le PSG a gagné et parmi le public, un seul (pays?) était pour l'Espagne...
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| Barber Shop Chronicles - TNS Strasbourg - Photo: Stef Stessel |
Autre ponctuations, des interludes pour annoncer l'heure et le lieu du déroulement de l'action (qui se déroule sur une seule journée à partir de six heures du matin, avec un réveil précoce du coiffeur) qui se fait dans le coin des musiciens Priscilla Adade (voix - et qui joue aussi Fiston, la fille de Keeba) et BATGAME (Basse et claviers) qui animent bien la soirée par quelques chansons et des chorégraphies enlevées, magnifiquement boostées par le Bourkinabé de Belgique Serge Aimé Coulibali. L'histoire principale autour de laquelle se tressent les échappées au pays suit des chemins tortueux d'amitié, de fraternité, d'honnêteté et de fidélité s'appuie sur des éléments recueillis sur place par Inua Ellams qui l'a scénarisée en intégrant du réel dans cette structure qui virevolte entre Bruxelles et l'Afrique. Elle a créé quelques beaux personnages dont on découvre la richesse et la complexité au fur et à mesure, avec autour du patron du salon en Europe, Keeba (discret mais efficace Hippolyte Bohouo), le fils de son ami et ancien associé Assane (Salif Cissé magnifique de présence - nous l'avions déjà apprécié dans Je suis venu te chercher de Claire Lasne Darcueil).
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| Barber Shop Chronicles - TNS Strasbourg - Photo: Stef Stessel |
Tous les comédiens sont formidables et bougent incroyablement bien, avec une expressivité très gestuelle, assurant d'ailleurs plusieurs rôles, en particuliers Yoli Fuller (espiègle et facétieux), Junior Akwety, Souleymane Sylla (très convaincant dans son personnage "détruit" par l'alcool en RDC), José Mavà, Martin Chishimba, Aristote Luyindula et Clyde Yeguete. Et on comprend, au travers des discussions, les destinées individuelles de ces personnages. Mais aussi les habitudes, les mentalités et les traditions, comment elles s'adaptent et se transforment, comment les idées changent et s'échangent, comment on relit le passé, le sien celui de sa famille mais aussi en relation avec le pays d'où l'on vient.
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| Barber Shop Chronicles - TNS Strasbourg - Photo: Stef Stessel |
Et comment on "s'arrange" également avec la situation politique de ces pays colonisés et qui n'ont pas fini de l'être, qui s'en sortent plus ou moins bien. Et, en filigrane nous avons droit à un petit rappel d'histoire différencié qui nous concerne aussi, autant pour l'histoire passée (coloniale) que pour le présent qui en découle (exploitation et fausse décolonisation, luttes de pouvoirs et de territoires, dictatures et forces d'opposition politiques ou religieuses...).
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| Barber Shop Chronicles - TNS Strasbourg - Photo: Stef Stessel |
Mais c'est aussi une leçon de vie, de l'être ensemble, de l'émancipation (racisme, colonisation ou féminisme) non pas militant et revendicatif, mais pensé et pesé dans des prises de conscience individuelles, amicales et de proximité. Mieux qu'une psychanalyse, un bon bain de bien-être et de soins (care) qui nous chatouille notre conscience et masse notre esprit tout en massant notre corps par les rires qu'ils provoquent en nous. Une petite cure à se prescrire pour une soirée agréable et réussie.
La Fleur du Dimanche
[Texte] Inua Ellams
[Mise en scène] Junior Mthombeni et Michael De Cock
[Avec] Priscilla Adade, Junior Akwety, BATGAME, Hippolyte Bohouo, Martin Chishimba, Salif Cissé, Yoli Fuller, Aristote Luyindula, José Mavà, Jovial Mbenga, Souleymane Sylla, Clyde Yeguete
[Adaptation] Junior Akwety, Caroline Gonce, Omar Ba
[Traduction collective] Étudiants de Master 1 en Traduction (ULiège) sous la direction de Valérie Bada (Centre Interdisciplinaire de Recherches en Traduction et en Interprétation)
[Scénographie et lumière] Stef Stessel
[Costumes] Marie Lovenberg
[Collaboration artistique] Caroline Gonce
[Assistant à la mise en scène] Mehdy Khachachi
[Dramaturgie] Gerardo Salinas
[Chorégraphie] Serge Aimé Coulibaly
[Visuels] Kelvin Konadu
[Régie générale] Baptiste Wattier
[Régie lumière] Antoine Fiori
[Régie son] Jaspar Kevin
[Construction décors, réalisation des costumes] Ateliers du Théâtre de Liège
Coproduction KVS Koninklijke Vlaamse Schouwburg, MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis Bobigny, Théâtre de Namur, Théâtre Jean Vilar Louvain-la-Neuve, Théâtre national de Strasbourg, Le Volcan Scène nationale du Havre, Bonlieu Scène nationale Annecy, TNDM - Teatro Nacional Dona Maria II Lisbon, TNC - Teatre Nacional de Catalunya Barcelona, Lliure Barcelona, Piccolo Teatro di Milano teatro d’Europa, Les Théâtres de la Ville du Luxembourg.
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National (France)
Soutien Club des Entreprises Partenaires du Théâtre de Liège
Cette production a fait l’objet d’un accord de licence avec The Agency (London) Ltd, 24 Pottery Lane, London W11 4LZ. The Barbershop Chronicles a été produit pour la première fois par Fuel Theatre et The National Theatre (30 mai 2017).
La pièce originale Chroniques du Barbier de Inua Ellams est paru à L’Arche en septembre 2025, dans une traduction collective dirigée par Valérie Bada.
Créé au Théâtre de Liège le 21 septembre 2025.





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