Sylvain Riéjou est un danseur qui ne s'intéresse pas qu'à son corps... et à la danse. Il cherche aussi à s'interroger sur toute démarche de création, ce qui lui a fait faire un chemin à rebrousse-poil avec son précédent spectacle "Mieux vaut partir d'un cliché que d'y arriver". Et pour celui qu'il présente à Pôle Sud : "JE RENTRE DANS LE DROIT CHEMIN (QUI COMME TU LE SAIS N’EXISTE PAS ET QUI PAR AILLEURS N’EST PAS DROIT)", une sorte de dyptique du précédent. Il surfe autant sur la réflexion philosophique (en citant Jean Jacques Rousseau dans Les Confessions: "Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme ce sera moi.") que sur une enquête policière avec ce titre tiré du livre de Fred Vargas Un lieu incertain.
Je rentre dans le droit chemin... - Sylain Riéjou - Pôle Sud - Photo: Caroline Ablain |
Il se livre donc face à nous, sur scène à un auto-interrogatoire, où, avec les "Pourquoi?" et les "Comment?" il pose les mobiles du crime spectacle et les raisons de "pourquoi il n'est pas nu sur scène" et "pourquoi lui (et les autres) sont nus sur scène" et comment il va y arriver: sa démarche, c'est-à-dire les différentes étapes par lesquelles il va passer pour réussir cet exploit, inhabituel et gênant - pour lui et le public - d'être nu sur scène. Et également de danser nu, ce qui est en fait l'objectif ultime - et le summum du plaisir qu'il partage avec le public. Parce que c'est cela également l'objectif: le plaisir que l'on donne au public grâce à une création, un spectacle. Ce n'est pas que cela bien sûr, danser cela peut être aussi souffrir et offrir un spectacle c'est aussi sortir le spectateur de sa quiétude. C'est d'ailleurs cela qu'il va faire, avec une bonne dose d'humour et de tact, notre danseur-conférencier, après avoir expliqué - et mis en application son "introduction" à la nudité en nous bousculant gentiment dans nos fauteuils rouges dans une ingénieuse et surprenante gradation.
Je rentre dans le droit chemin... - Sylain Riéjou - Pôle Sud - Photo: Caroline Ablain |
Et en se servant de l'outil vidéo qui est un écran supplémentaire entre le nu et la salle. Mais qui, avec Sylvain Riéjou est aussi un moyen d'expression et un formidable outil de création qu'il maîtrise parfaitement. La preuve déjà dans le très pointu dialogue entre lui et son double (sans compter ses quintuples clones pour la recréation d'une pièce de Boris Charmatz) à l'écran. Dialogue tellement intime qu'il en arrive à ne faire plus qu'un avec son image (un grand bravo à Emile Denis à la vidéo). De la même manière, les effets de lumière et d'éclairage le transformant lui, danseur sur la scène en une illusion de personnage de clip de vidéo-danse sont également très réussis. Tout comme la partie "Danse picturale" de sa conférence à proprement parler qui rend bien compte, illustre littéralement, les références artistiques de l'histoire du nu dans l'histoire de l'Art. Cette conférence, qui s'appuie sur une série d'émissions de radio de Marie Richeux sur France Culture intitulées "Pas la peine de crier" traitant le thème de "La nudité" (en 2013), permet un balancement équilibré entre la danse et la réflexion, entre l'humour et la culture, entre l'auto-interrogation et la mise à distance. S'intéressant à la politique, à l'histoire de la danse ou au renoncement - un sujet autour de Saint François d'Assise, un peu trop dépouillé de sa matière à mon avis, mais une question bien symbolique, justement, pour un artiste, ce qui aurait pu apparaître comme un spectacle de strip-tease ou une provocation choquante est en définitive une réflexion salutaire et plaisante sur, justement ce qui peut être choquant ou pas, vulgaire ou pornographique. Et répond bien à la question du "mobile", de la cause qui a initié ce parcours, à savoir pourquoi une vidéo de création de l'artiste a été censurée alors qu'en face, les images aguichantes ou choquantes sont librement accessibles et servent très souvent comme "appât" dans les publicités. Dansant la problématique et pensant la danse, Sylvain Riéjou se joue de ce problème épineux dans un spectacle "enlevé" où il se découvre en se regardant "nature".
La Fleur du Dimanche
Super
RépondreSupprimerMerci
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