Il faut remercier Hubert Colas d'avoir fait découvrir le texte de Stéphanie Chaillou "Le Père" à Julien Gosselin. C'est un magnifique poème épique d'aujourdhui, une incantation douloureuse, un "dit" moyenâgeux, une épopée lyrique d'un destin moderne. Et Julien Gosselin en a sorti toute la (dé)mesure de cette fable des temps moderne, magnifiquement servie par l'immense - et humble comédien Laurent Sauvage qui en fait effectivement une superbe "chanson de geste" sans s'agiter, posant ses paroles, sa présence, même s'il n'est pas visible.
Le Père - Stéphanie Chaillou - Julien Gosselin - Laurent Sauvage - Photo: Simon Gosselin |
Parce que ce magnifique texte, un long poème d'aujourd'hui, qui raconte la chute et la reconstruction d'un paysan d'aujourd'hui face à une société qui se complexifie et le dépasse, avec une prose simple mais sensible nous met en totale empathie, avec la destinée d'un homme qui a mal, très mal. Et il n'a pas seulement mal, mais il a une femme et des enfants, et ce mal, il faut qu'il le surmonte et qu'il puisse, de manière cathartique, le dépasser.
La pièce, présentée au TNS, sera ce long cheminement vers une certaine lumière, une sorte de vérité visible, une vie assumée et partagée.
Tout commence dans un noir et le silence. Le plateau est invisible et l'on entend: "Je ne me souviens plus de mes rêves" - c'est le contexte propice pour nous interroger et se mettre en perspective avec ce qui va se jouer devant nous. L'obscurité nous enjoint à écouter cet homme qui nous parle doucement: "Je crois que j'ai construit ma vie à partir de mes rêves"... Qui n'a pas rêvé sa vie... Il continue: "Je crois que je voulais devenir riche. Devenir riche. Mais je n'avais pas de plan précis. C'était une idée vague. Une idée un peu floue dans ma tête. Devenir riche." Et, nous, dans le noir essayons de deviner qui est cet homme, quel est son rêve, et quel destin l'attend. Nous ne pouvons qu'être d'accord avec lui, mais craignons le pire quand il continue: "Je voulais que ma vie soit heureuse. J'avais cette idée-là en tête. Que ma vie soit heureuse. Je croyais que c'était assez, suffisant. Qu'avec une idée comme ça dans la tête, c'était assez. Personne ne m'avait dit le contraire." Eh oui, personne ne dit le contraire, non? Mais les règles, elles, vont se révéler plus complexe, et personne pour mettre en garde, personne ne s'occupe des rêves de bonheur des autres. Justement, ces rêves de bonheur peuvent être mis à terre, on peut les perdre et perdre beaucoup, trop. Et nous allons assister à cette chute inexorable.
Le Père - Stéphanie Chaillou - Julien Gosselin - Laurent Sauvage - Photo: Simon Gosselin |
Nous allons découvrir la concrétisation de ce rêve, tout en voyant émerger un fantôme de l'obscurité, comme un feu follet qui prend corps, devient paysan dans sa lointaine campagne, isolé, seul, personne pour le mettre en garde. Cet être fantomatique qui se concrétise physiquement, qui, très lentement s'approche de nous, qui, dans son récit, en tension nous raconte le malheur, à trente ans, de n'avoir pas vu arriver les changements dans ce monde ancestral qui, dans les années 70 bascule. Le monde paysan n'est plus, plus comme avant et si l'on n' l'a pas compris, on est broyé. Et broyé, souffrant, ce "père" l'est, sans issue, pris au piège et souffrant, se débattant mais inutilement, plus il se débat et plus il souffre.
Cette souffrance devient visible, le plateau s'éclaire, la tension monte (en soutien à la discrète montée en tension de texte dit par Laurent Sauvage qui prend de l'ampleur et de la puissance, avant une pause salutaire, la musique de Guillaume Bachelé accompagne et souligne cette force qui submerge, et nous étreints tous). On dit qu'il faut une "justice", mais qui est l'ennemi? Il est absent, invisible, mais il faut continuer à se battre pour ne pas mourir.
Le Père - Stéphanie Chaillou - Julien Gosselin - Laurent Sauvage - Photo: Simon Gosselin |
Les enfants, leurs souvenirs qui se projettent, la jeunesse, la nature, le vent, la peur, la solitude vont permettre à la fois de toucher le fond et de rebondir, de retourner dans les lieux du drame. Ces lieux qui se révèlent sous une lumière grise et qui vont peu à peu reprendre une forme, un aspect "naturel", l'herbe, le brouillard, la rosée, la vie. Et permettre au père de "porter" un nom, au moins cela.
Julien Gosselin arrive avec son équipe - à la lumière Nicolas Joubert, à la musique Guillaume Bachelé, à la vidéo Pierre Marin et au son Julien Feryn - à nous raconter cette histoire ancestrale qui s'est passée au siècle dernier avec toute l'efficacité des moyens de théâtre d'aujourd'hui que nous lui connaissons avec une belle efficacité et sans trop d'emphase. Et Laurent Sauvage incarne avec simplicité et empathie ce personnage dans son immense désespoir, anti-héros des temps modernes.
La Fleur du Dimanche
du 7 au 15 octobre au TNS
le 13 novembre à La Filature à Mulhouse
le 26 novembre à L'empreinte - scène nationale Brive-Tulle
le 12 et 13 février 2021 à Liège - Festival de Liège
Le Père
D’après L’Homme incertain de Stéphanie Chaillou
Adaptation, mise en scène Julien Gosselin
Avec Laurent Sauvage
Scénographie Julien Gosselin, Nicolas Joubert
Lumière Nicolas Joubert
Vidéo Pierre Martin
Musique Guillaume Bachelé
Son Julien Feryn
Arrangements Joan Cambon
Assistanat à la mise en scène Olivier Martinaud
Julien Gosselin et Laurent Sauvage sont artistes associés au TNS
Le roman, L’Homme incertain, est publié chez Alma Éditeur
Spectacle créé au Théâtre de la Cité de Toulouse le 17 novembre 2015
Production Si vous pouviez lécher mon coeur
Coproduction TNT - Théâtre National de Toulouse La Comédie de Béthune, Le théâtre d’Arles
Avec le soutien de Montevideo créations contemporaines
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