Le Marteau et la Faucille - Don DeLillo - Julien Gosselin |
Le comédien entre, en costume-cravate, et va s’asseoir après avoir ôté sa veste et roulé ses manches de chemise, on se demande pourquoi. Pour un pugilat ?
La lumière change, le rouge envahit la scène et l'écran, on se dit que la Marteau et la Faucille, c’est cela, la rouge, mais l’image télévisée qui s’inscrit en tout largeur au-dessus de lui, à l’arrière de la scène donne aussi un autre sens: Le rouge est mis! On enregistre... On enregistre quoi? Une confession, un témoignage?
Cela commence doucement, en chuchotements presque, effectivement comme une confession, mais, avec en sourdine un battement sourd, la musique qui rythme le coeur, ou les roulements de tambour d’une exécution...
Parce que le début du texte plante un décor – un camp, une sorte de prison? - isolé dans la campagne, près d’une autoroute dont un pont permet de passer au-dessus et de regarder la circulation Nord-Sud – pour ne pas perdre le sens?
Les personnages arrivent également en nous surprenant (je vous laisse la surprise de l’artifice). Parce que Jerold Bradway (interprété avec brio par Joseph Drouet) n’est pas seul.
Ses "codétenus", un marchand d’art ("Mes murs me manquent" ose-t-il dire dans cette prison), un trader, des gérants de hedge funds qui se remémorent les crises, la dette grecque, les délits - touchant à la finance - plus ou moins graves qui les ont amenés ici - partagent cette introspection, ou ce rêve. Ce dernier est interrompu par un autre cauchemar, réel ou fantasmé, une vengeance par délégation de l’épouse via les filles de 11 et 13 ans de Jerold , qui présentent à la télévision des cours d’économie, en retournant aux origines de l’économie et du théâtre: La crise et le chaos de l’antiquité grecque.
Au fur et à mesure que nous découvrons ces protagoniste et leur histoire, leurs sentiments et leur désenchantement, la tension monte, la musique s’amplifie, devient oppressante, la nervosité gagne le corps du comédien. Les tics nerveux de son visage gagnent ses mains, les bras sont frictionnés violemment, on sent le corps qui souffre et le malaise se transmet au public. Et tout explose.
Il est question de mort, on se demande qui va survive à ce chaos. Jerold essaie de reprendre ses repères au-dessus de l’autoroute en s’interrogeant sur l’ordre du monde, les règles qui le régissent. Il se demande pourquoi tout cela marche encore, comment cela se fait que nous ne sommes pas encore entièrement tombés dans la catastrophe, tous ensemble. Que nous continuons à vivre en respirant des gaz d’échappement.
La lumière change, la musique s'est calmée, elle s'éteint, la lumière repasse au blanc...
Le Marteau et la Faucille - Don DeLillo - Julien Gosselin - Photo: lfdd |
Et chacun repart dans la nuit d’hiver en se disant que l’on vit dangereusement, mais que l’on vit encore…
Et surtout nous remercions Julien Gosselin de nous avoir offert ce magnifique texte dans une sorte de voyage expérientiel, porté par la force et la puissance de Joseph Drouet, soutenu par la vidéo empathique de Pierre Martin et la musique cathartique de Julien Bachelé et Maxence Vandevelde, sans oublier l’"ambiance lumière" de Nicolas Joubert. Et un salut tout particulier à la création sonore d’une précision de bijoutier de Julien Feryn. Mais le plus méritant, c'est bien Joseph Drouet qui pendant une heure a su nous emmener dans ce voyage en enfer, dans l'enfer du jeu et de la finance en ne nous laissant aucun répit, en nous interprétant merveilleusement tout les états de son être et de ses semblables et descendants. Un numéro époustouflant à nous couper le souffle.
Allez, pour vous en donner envie d'y aller, je vous envoie le début:
La Fleur du Dimanche
Programmation dans le Grand Est:
https://www.szenik.eu/fr/event/le-marteau-et-la-faucille
du 28 au 30 novembre 2019
Centre Culturel André Malraux - Vandoeuvre
du 27 au 29 mai 2020
Comédie de Colmar - Colmar
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