Le marathon c'est de l'énergie, une course, une trajectoire et de la durée. C'est aussi un certain état de corps, de la dépense, de l'épuisement, de la fatigue, une épreuve. Historiquement, un marathon c'est une très, très longue course pour annoncer une victoire (en Grèce il y a plus de 2.500 ans) et aux Etats-Unis, les marathons de danse se développent à la fin des années 20, au moment de la Grande Dépression, et on y assiste à des compétition de danse de couples qui peuvent durer des jours, ceux qui tiennent le coup empochant des primes.
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Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖 |
Le spectacle de Kaori Ito au TJP, Dance Marathon Express, s'appuie bien sûr sur cette idée de compétition, comme dans la Break Dance ou les compétitions de chansons ou de danse. Il y a même un combat de catch chorégraphié avec humour. Mais le moteur essentiel du spectacle, qui lance le rythme, c'est la danse, toutes sortes de danses, au Japon, à travers le siècle qui vient de passer. Le récit se fait par un retour en arrière avec le contexte qu'on nous présente en commentaire et qui nous permet de découvrir les différentes vagues et modes de musique et de danse qui ont traversé la culture du pays, avec, en éclairage, le contexte culturel, économique et politique lié à ces changements. Et cela d'un manière simple et claire, dans une dramaturgie sans point mort, à couper le souffle, comme dans un marathon.
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Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖 |
Dès le premier tableau, les huit danseuses et danseurs, cinq japonais et coréen et trois européens, dans de magnifiques costumes créés par Aya Kakino, nous éblouissent par des démonstrations de danses, du classique au contemporain en passant par des acrobaties, du cirque, de la gestuelle break dance ou de robot ou plus romantique. Chaque interprète se construit son caractère tout en collaborant à une dynamique pour le groupe. C'est d'ailleurs par une chorégraphie de groupe que l'on commence à remonter le temps pour l'année 2010 où tout s'accélère encore et où l'on est emporté par le tourbillon. On plonge dans la fin des année 1990 avec une superbe interprétation à couper le souffle de Léonore Zurfluh du tube planétaire I Will Alvays Love You de Whitney Houston. Cette pause "émotion" offre au reste de l'équipe une judicieuse parenthèse "changement de costumes".
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Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖 |
Il faut avouer que les suivants - et ils sont nombreux - passent totalement inaperçus et à chaque fois nous sommes émerveillés par leur beauté et leur justesse, que ces soient des tenues discos, des vêtements colorés et fleuris de la période "Peace and Love", des vestes à paillettes tout à fait rock n'roll, ou plus sérieux à l'époque des danses de couples. Pour en arriver, au début du siècle dernier, à l'époque où s'enracine le récit qui émerge au fur et à mesure de ce parcours rétrospectif: ce récit de sacrifice de l'auteur Kenji Miyazawa, à ces costumes sobres et noirs des paysans qui dansent en rond, pieds nus, une danse de fertilité. Le récit de sacrifice et de rédemption est une ligne à suivre dans le contexte de pauvreté et de misère - même pas de chocolat - qui a engendré les kamikazes et les kaitens (hommes-torpilles). Et le pays s'est raccroché, suites aux désastres de la guerre contre les Américains, et la Corée, aux chansons et aux danses, qu'elles soient autochtones, comme avec Shizuko Kasagi, devenue la "reine du boogie woogie" d'après guerre, de France avec Edith Piaf entre autres ou plus tard les musiques venues d'Amérique. Un enchainement de superbes chansons donc, qui font la formidable bande son du début de ce spectacle.
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Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖 |
Ce voyage qui remonte le temps pour plonger dans la culture et l'âme nipponne se construit aussi avec un "lieu" insolite et inattendu, les toilettes. Le lieu où les danseurs font étape, pour différentes raisons, pour se reposer, s'isoler, se retrouver seul(e) avec soi-même, dans sa bulle, tranquille et invisible. C'est là aussi que l'on peut lire et s'évader ailleurs sans se faire déranger, et là où l'on va trouver, dans les toilettes, le livre de Miyazawa Les pieds nus de lumière. C'est là qu'on lira les premières phrases de ce livre grâce auxquelles vont se matérialiser les personnages. Ceux-ci prendront le relais de la fête pour nous emmener dans un voyage dans la montagne, les brumes et la neige. Un voyage initiatique où l'on va comprendre le monde d'alors où les règles, même si elles semblent cruelles, seront acceptées parce qu'elles annoncent avec bonheur et espérance un monde meilleur.
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Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - Photo: Anais Baseilhac |
Kaori Ito, avec l'assistance d'Adeline Fontaine, arrive, à l'instar du livre de Kenji Miyazawa, à nous embarquer dans un récit lucide et une analyse simple mais efficace d'une culture et d'un pays en insufflant une dynamique à ce spectacle dont le rythme dans faille nous accroche. Et son choix des danseuses et des danseurs - certain(e)s avec qui elle a l'habitude de travailler - et avec lesquel(le)s elle a travaillé un certain temps, entre autre au Kanagawa Art Theater de Yokonawa - est judicieux. L'idée de mélanger des artistes venus de pays différents, ne sachant pas parler la langue de l'autre a aussi permis d'approfondir le dialogue corporel. Et il faut surtout noter la grande qualité de ces interprètes, chacun dans son style de danse (dont la danse du singe), mais aussi capable d'être acteur et de dire son texte et de chanter - une mention à Yu Okamoto et sa voix qui monte haut pour interpréter un magnifique tube japonais.
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Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - Photo: Anais Baseilhac |
Par la grâce de ces multiples qualités, la petite troupe nous embarque sur un rythme tonitruant à un très beau panorama de la culture musicale d'un pays pour nous introduire dans le mystère des récits ancestraux, basculant d'un univers vers un autre, dont l'un et l'autre s'éclairent d'une lumière réciproque, la philosophie cachée du marathon de danse et les traditions séculaires d'un pays qui se construit sur la pauvreté, aboutit à une certaine idolâtrie des stars de la chanson. Au final un spectacle décoiffant et enthousiasmant à découvrir et à creuser.
La Fleur du Dimanche
Du 3 au 11 octobre
Tournée 2025
→ 15 et 16 octobre : CDN de Normandie-Rouen, les Anges au plafond, Rouen
→ 17 octobre : Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil
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