D'emblée, c'est Goethe ressuscité qui nous parle du roi des Aulnes:
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind?
Es ist der Vater mit seinem Kind.
Er hat den Knaben wohl in dem Arm,
Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm.
....
Mein Vater, mein Vater, und siehst du nicht dort
Erlkönigs Töchter am düsteren Ort? –
Mein Sohn, mein Sohn, ich seh’ es genau,
Es scheinen die alten Weiden so grau. –
„Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt,
Und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt!
Mein Vater, mein Vater, jetzt fasst er mich an,
Erlkönig hat mir ein Leids getan. –
Dem Vater grauset's, er reitet geschwind,
Er hält in Armen das ächzende Kind,
Erreicht den Hof mit Mühe und Not,
In seinen Armen das Kind war tot.
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Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent?
C'est le père avec son enfant;
Il serre le petit garçon dans son bras,
Il le serre bien, il lui tient chaud.
....
— Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là-bas
Les filles du Roi des Aulnes dans ce lieu sombre?
— Mon fils, mon fils, je vois bien:
Ce sont les vieux saules qui paraissent si gris.
— Je t'aime, ton joli visage me charme,
Et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force.
— Mon père, mon père, maintenant il m'empoigne!
Le Roi des Aulnes m'a fait mal!
Le père frissonne d'horreur, il galope à vive allure,
Il tient dans ses bras l'enfant gémissant,
Il arrive à grand-peine à son port;
Dans ses bras l'enfant était mort.
Après cette entrée en matière, une ombre derrière une toile blanche, soutenue par des sons électroniques, l'inquiétude s'installe, déstabilise. Des éclats sonores de flashes de néon et de stroboscopes perturbent l'audition, quatre ombres couchées sur des grosses caisses qu'elles frappent ou frottent avec des balais, du polystyrène ou les doigts, en sortent des sons étranges, transformés, angoissants ou déstabilisants. Une ambiance s'installe, sourde et inquiétante renforcée par les ombres, vêtues de sweats à capuches cachant leurs têtes et leurs visages.
En écho, sur l'écran, les musiciens jouent sur des tables qui apparaissent, disparaissent, tournent et perdent leur réalité, tandis que le son qui en résulte paraît bien étrange, dématérialisé.
Tout comme le fantôme derrière l'écran, dont l'ombre du corps se fait transparente sous son linceul...
Puis l'ambiance change, pendant que sur l'écran panoramique un décor de bureau moderne aseptisé et vide défile, la scène est déménagée et réaménagée avec un quatuor de batterie au grand complet.
Les musiciens portant des masques d'Anonymous s'installent et dans un dialogue et des jeux d'ensemble de ces batteries et des cymbales, doublées de leur alter ego électronique, construisent des boucles de percussions enveloppantes. Des alternances d'exubérance et de respiration, pendant que de temps en temps des silhouettes occupent les espaces de bureaux ou les lofts blancs matérialisés sur l'écran en fond de scène.
Ghostland - Pierre Jodlowski - Les Percussions de Strasbourg - Photo: Claudia Hanssen |
Des moments de silence sont interrompus par des musiques tournantes, des moments de percussion, de coups de cymbales qui s'achèvent dans des échos électronique, des crissements des sons d'arcs électriques, des nappes de bruissements mystérieux. On sent bien que ce qui se joue devant nous est fabriqué en direct, mais en même temps le son est de nature étrange, étrangère, réincorporé dans une autre matière. Les percussions sont dématérialisées et s'incarnent dans leur présence altérée. Nous avons même droit à un concert d'attaché-cases. La dernière partie est plus envoûtante et sur l'image de l'envol et de la procession, une mélopée s'appuyant sur les claves, soutient l'errance des quatre musiciens autour de la scène qui deviennnent silhouette derrière l'écran. La tension hypnotique enfle, monte, éclate et dans une dernier sursaut, s'épuise et s'éteint, tandis que sur scène ce sont les musiciens qui sont déménagés.
Le travail de mise en espace de cette pièce "Ghostland" qui vient de sortir en disque, CD et vinyle est admirable. La scénographie insuffle à la musique une âme nouvelle. Le travail de la lumière de Pierre Jodlowski est dans une symbiose extraordinaire avec la partition au point que l'on s'imagine quelquefois que c'est la lumière qui fait le son.
Saluons dans l'équipe des Percussions de Strasbourg, Minh-Tâm Nguyen, François Papirer, Galdric Subirama et Flora Duverger qui sont bien plus que des musiciens, de vrai acteurs. Julia Maracine arrive à personnifier les "Esprits" et Kamil Keska au son reprend le travail artistique et technique de François Donato.
Tout cela prouve que la musique d'aujourd'hui est bien vivante. Et Ghostland est un voyage qui déménage au pays des ombres portées par la musique....
La Fleur du Dimanche
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