Lancé en 2018 par Bruno Bouché, le directeur du Ballet de l'Opéra National du Rhin, le programme Spectres d'Europe continue de présenter des création confiées à de jeunes chorégraphes destinées à interroger et transformer la pratique de la danse académique du Ballet pour la confronter au présent. Et à permettre à la danse de questionner l'histoire proche, de jeter un regard sur le monde et de s'interroger sur nos valeurs. Le programme présenté prend forme d'un triptyque très varié, passionnant et inventif.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Sous les jupes - Photo Agathe Poupeney |
La première pièce, Sous les jupes du danseur-chorégraphe du Ballet de l'ONR Pierre-Emile Lemieux-Verne, qui nous avait déjà offert une chorégraphie dans le cadre du programme Danser Schubert au XXIème Siècle, se présente comme un bonbon rétro acidulé. Enveloppée dans des teintes fraiches et gaies, que ce soient les costumes frais et légers ou les étoffes accrochées en fond de scène, dans un arc-en-ciel pastel et discret. Des tableaux sémillants et guilleret se suivent, allègrement emportés par des tubes nostalgiques, playlist à la fois éclectique et large, qui vont autant chercher du côté de Céline Dion ou de Françoise Hardy que de Muse ou des Pet shop boys. Il y a aussi le très romantique Andréa Bocelli et l'antédiluvien Mike Brant. Arrive aussi, et on peut le comprendre, une chanson podorythmique canadienne (Pierre-Emile Lemieux-Verne l'est, canadien) et plus curieusement la chanson de Juliane Werdind Am Tag, als Conny Kramer starb version allemande (adaptée) du tube des années 70 de Joan Baez The Night They Drove Old Dixie Down, crée originellement par The Band.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Sous les jupes - Photo Agathe Poupeney |
L'ambiance est festive, légère, enjouée, la chorégraphie joyeuse et sémillante, un peu extravagante et bien emportée. On y célèbre la fraternité, la fête, le partage, la découverte de l'autre, les émois et les rencontres quelquefois en dehors des règles classiques. Les costumes (crées également par Pierre-Emile Lemieux-Verne), sont à l'identique, décalés et transgressifs. Une parenthèse de feel-good et de peps qui nous fait aimer la vie.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Rex - Photo Agathe Poupeney |
La chorégraphie de Lucas Valente, avec Rex se projette dans le mythe d'Oedipe, mais plus sous un aspect de sensations, de performance même, la pièce interrogeant à la fois la question de la vérité, de la réalité, de la vision même. La scène plongée dans le noir appelle la lumière sur les corps mais celle-ci les isole, les découpe, les circonscrit dans l'espace. Le summum étant atteint lorsque les six danseurs sont sur scène et dansent en s'éclairant eux-mêmes, ce qui est un sacré challenge.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Rex - Photo Agathe Poupeney |
Chalenge réussi à la fois pour le chorégraphe metteur en scène que pour les danseurs qui doivent à la fois maitriser leur corps et la lumière très ciblée pour faire voir leurs mouvements. Et il faut les féliciter car le résultat est bluffant. La musique est particulièrement adaptée, partant de choeurs orthodoxes pour se fondre dans des musiques expérimentales ou électroniques. Les costumes plutôt amples sobres et sombres, pantalons ou jupes longues et gilets, variations de rouge bordeaux avec des pièces planches (créations de Cauê Frias) participent de l'ambiance et souvent les danseurs dansent de dos ou de profil, gardant une distance avec le public, devenant quelquefois juste des ombres chinoises. Une chorégraphie surprenante que l'on n'aurait pas attendue à priori d'un jeune chorégraphe brésilien né en 1990. Mais justement, nous sommes ouvert à la surprise et Rex nous l'offre.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Poussière de terre - Photo Agathe Poupeney |
Troisième chorégraphie, la pièce d'Alba Castillo Poussière de Terre, une pièce pour quinze danseurs qui a été créée au temps du Covid et qui est ici reprise pour notre plus grand bonheur. On y assiste à l'inexorable passage du temps, un sablier géant étant accroché à droite sur la scène, le sable s'en échappant commençant à faire un petit cône qui grandit tout au long de la pièce jusqu'à l'écoulement complet de ce sable. Cela modifie aussi l'espace et la présence des danseurs sur le plateau. Ceux-ci participant d'ailleurs participant à la dispersion du sable sur le tapis de danse, mais pas seulement, certains vont en profiter pour prendre un baptême de sable ou au moins en rechercher le contact. Ce qui est assez surprenant - on ne s'attend pas à priori à ce genre d'attitude, et non plus de la part d'un danseur.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Poussière de terre - Photo Agathe Poupeney |
Mais il semble qu'elle soit bénéfique puisque nous assistons au début de la pièce à un individu presque nu (en justaucorps chair) par une communauté en habits de ville plutôt sport, ils vont vers la fin quitter leurs vêtements pour une sorte de retour à la nature. D'une danse d'hésitation et de chutes, ils vont au fur et à mesure construire des groupes humains des ensembles, faire société.
Spectres d'Europe - Ballet de l'ONR - Poussière de terre - Photo Agathe Poupeney |
Les mouvements sont originaux, les attitudes surprenantes, la chorégraphie est originale, sorte de mélange entre le reptilien et les crustacés, crabes et autres anthropoïde se regroupant en ensembles mouvants. Ils se forment et se défont, glissent et se déplacent sur une bande son très hypnotique, avec une musique plutôt "ambient" et nordique, rarement interrompue par une danse énergique. Et pour ne pas nous perdre en chemin, une fois que le temps est passé, la chorégraphe nous ramène au début de notre voyage. A nous de le refaire nous-même.
Le programme nous a ainsi permis de découvrir trois univers, trois approches différentes, de trois chorégraphes qui ont osé expérimenter des pistes originales, offrant des spectacles aboutis et convaincants. Chacun et chacune a osé creuser son idée avec des angles d'approche personnels, tenir un propos soit grave ou engageant, ou ne craignant pas non plus d'aller du côté de la légèreté pour parler de sujets délicats.
La Fleur du Dimanche
SOUS LES JUPES
Pièce pour 10 danseurs.
Chorégraphie et costumes
Pierre-Émile Lemieux-Venne
Musique
Les Charbonniers de l’enfer, Muse, Pet Shop Boys, Andrea Bocelli, Mike Brant, Céline Dion, Lesley Gore, Françoise Hardy, Juliane Werding
Lumières
Tom Klefstad
[ Création ]
Pièce pour 6 danseurs.
Chorégraphe
Lucas Valente
Musique
Emptyset, Rival Consoles, Luke Atencio, Chœur Byzantin de Grèce, Hildur Guðnadóttir
Costumes
Cauê Frias
Lumières
Tom Klefstad, Lucas Valente
[ Reprise ]
Pièce pour 15 danseurs.
Chorégraphie, costumes et scénographie
Alba Castillo
Musique
Goldmund, Lawrence English, Karin Borg, Bryce Dessner, Brian Eno, Nils Frahm, Jóhann Jóhannsson, Bruno Sanfilippo
Lumières et scénographie
Lukas Wiedmer