La création de Saburo Teshigawara Voice of Desert est à n'en pas douter la pièce forte, la révélation de Festival Montpellier Danse cette année, en tous cas pour cette première série de spectacles qui lancent bien la dynamique du festival. Attendue et espérée suite à quelques épisodes pluvieux qui ont laissé planer un doute sur la tenue du spectacle en plein air dans le Théâtre de l'Agora - Mais il fallait bien que ce spectacle ait lieu ici, dans ce décor et avec la nature, le vent, le ciel au-dessus de nos têtes et ce décor dont Saburo Teshigawara s'empare et qu'il transforme et magnifie tout à la fois. Et le "Weather Report" est une idée dont il se réclame, tout comme le "Zoo incertain" ("Incertain Zoo"), concepts qui illustrent sa démarche de création.
Saburo Teshigawara - Voice of Desert - Photo: Mariko Miura |
Car son travail est singulier. Il affirme lui-même qu'il crée des pièces chorégraphiques - il en a créées plus de cent - parce qu'au départ, plutôt porté sur les art plastiques, mais ne voulant pas avoir se servir - et apprendre à maîtriser la technique - de la peinture ou de la sculpture il n'a pas continué et a pris le corps comme matériau. Bien sûr le corps est son outil de prédilection, mais il maîtrise - et signe dans ce spectacle autant la chorégraphie que la mise en scène (fondamentale), la musique, la lumière et les costumes. Et le spectacle est un spectacle total qui met en oeuvre à la fois l'espace construit et éclairé, les mouvements, les déplacements et la musique - ou les silences - les lumières qui sculptent ou découpent les corps et les décors et les transforment selon les ombres et lumières et les couleurs. Et qui créent un univers particulier qui ressemble autant à des tableaux vivants que des séquences issues de films. Il avoue que pour créer c'est qu'il y a comme dix personnes dans sa tête qui lui soufflent dix idées en même temps. Alors attendez-vous a être un peu surpris, voire décontenancés en assistant au spectacle.
Saburo Teshigawara - Voice of Desert - Photo: Mariko Miura |
Et alors, effectivement tous les sens sont sollicités par des stimuli, auditifs, visuels, une certaine lenteur s'installe sur le plateau. Quelquefois c'est même la lumière changeante qui donne l'illusion de déplacements des trois protagonistes, tous en noir qui occupent le plateau au départ. Saburo Teshigawara dans un costume destructuré plutôt à Jardin, avec sa gestuelle typique, suite de petits gestes précis et saccadés, vifs et incertains, petits pas et traversés en largeur. Un miracle de précision et un concentré d'intériorité. suivi de moments d'attente et d'observation. Sur la partie Cour, en peu en recul Rihoko Sato nous offre une gestuelle tout aussi intériorisée mais plus maple et généreuse, laissant ses bras tournoyer et s'envoler tandis que ses pantalons noirs larges flottent au vent comme si elle volait dans l'espace. De par la magie da la lumière, en particulier cet effet de balayage très finement réglé de bandes noires ou éclairées qui avancent inexorablement et presque imperceptiblement et rendent l'espace du plateau mouvant semblent ainsi faire glisser les deux danseurs sur le plateau. Une autre protagoniste, Kei Myata avec qui il avait fondé sa compagnie Karas (Corbeau) en 1985 et qui est revenue le rejoindre pour cette pièce incarne une silhouette fantomatique sinon fantastique en fond de scène sur le mur de fond, ce mur de pierre de l'Agora, espace historique qui prend ici quelquefois des airs de cinéma d'Hitchcock ou de film surréaliste belge.
Saburo Teshigawara - Voice of Desert - Photo: Mariko Miura |
Elle se tient presque immobile pour n'avancer que très peu tout au long de la pièce et se retrouver avec sa présence forte et mystérieuse à terre vers le centre de la scène. Les éclairages arrivent à faire changer et magnifier ce décor, avec de judicieuses découpes ou des couleurs primaires sombres, ou des contrejours qui transforment l'espace et lea place des protagonistes. Les danseurs deviennent ainsi ombres ou silhouettes dans cette atmosphère onirique, un peu hors du temps, soutenue par des créations sonores mixant bruitages, grondements et pièces de musique classique au violon ou au violoncelle ou encore au piano. Dans cet univers fait de de lents déplacements, de brusques réveils avec des gestes millimétrés surgissent par deux fois deux jeunes interprètes coiffées de généreuses chevelures qui apportent énergie et désordre en contrepoint, avec même une danse des pieds à réveiller les morts qui dorment sous la scène et qu'on entendait gémir, puis s'envolent presque.
Saburo Teshigawara - Voice of Desert - Photo: Mariko Miura |
La solitude des personnages plongés dans leur mémoire semble brisée, et semblant de prise de conscience de chacun des protagonistes semble se dessiner tandis que résonnent des bruits de grondements, de chute et et d'éboulement qui pourraient autant être de l'orage que des bombardements se font fortement entendre avant qu'une émouvante sonate au piano est l'occasion d'un dernier geste d'adieu. Et nous revenons doucement sur la terre, quittant à regret cet univers à la fois mystérieux et singulier, portés, emportés par des interprètes hors pairs, uniques pour une expérience exceptionnelle, impressionnante. Du très grand Art.
La Fleur du Dimanche
N.B. Les photos sont des photos de répétition, la distribution a changé entre temps.
Compagnie Karas
Mise en scène, chorégraphie, conception lumière, costumes : Saburo Teshigawara
Collaboration artistique : Rihoko Sato
Avec Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Kei Miyata, Rika Kato, Izumi Komoda
Coordination technique, assistant lumière : Sergio Pessanha
Production : KARAS
Durée : 55min
Coproduction : Festival Montpellier Danse 2024
Production, tournées : EPIDEMIC (Richard Castelli, Mélanie Roger, Florence Berthaud)
Avec le soutien de l’Agence des affaires culturelles du Japon (Bunkacho).
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