Sortir... tel pourrait être le slogan (ou la clé) du nouveau spectacle que nous offre le TNS, Mithridate de Racine mis en scène par Eric Vigner.
TNS - Mithridate - Jean Racine - Eric Vigner - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Oui, sortir à nouveau pour aller au spectacle, aller dans une salle qui était, encore jusqu'à hier occupée pour défendre le statut des intermittents, des précaires, des jeunes déboussolés, enfermés dans leurs chambres et leur solitude, leur désespoir quelquefois auquel la situation les accule.
Ne pas sortir, aussi pour garder un toit pour les précaires, comme le clamaient, le criait le porte-parole des "jeunes" en lutte, en cette fin de trêve hivernale, en prélude au lever de rideau, pour "ne pas faire silence", exprimer cette pensée qui veut vivre!
Sortir pour se revoir, se confronter avec les autres, et avec la culture qui nous offre ses moments de réflexions pour ne pas se laisser empoisonner par la banalité du quotidien ou la peur de la maladie.
Sortir pour renouer avec la communion de la culture, ferment de réflexion, graines (empoisonnées?), à tout le moins poil-à-gratter de l'esprit) semées pour réveiller notre vitalité qui commençait à s'endormir.
TNS - Mithridate - Jean Racine - Eric Vigner - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Sortir pour assister à un drame historique de l'antiquité revisité dans la sublime langue de Racine sculptée en alexandrins limpides et riches de sens.
Comme le dit Eric Vigner dans l'entretien accordé à Fanny Mentré dans le programme de la pièce:
"L'alexandrin classique est très riche, complexe et simple à la fois, un seul vers contient plusieurs informations de nature différentes, des paradoxes que l'on doit considérer. Il obéit à une construction rythmique avec laquelle on doit travailler. C'est un exercice exigeant pour les acteurs qui demande une grande mobilité de l'esprit, du corps et du sentiment pour ne pas tomber dans le piège de la prosodie."
Chez Racine, chaque mot compte et l'on n'est pas là pour bavarder. On peut à ce sujet regretter le traitement un peu trop rap et haché de la diction de Thomas Joly pour Xypharès, en espérant que c'est l'effet "première" et qu'il rythmera moins pour la suite les phrases polies comme des bijoux de Racine pour en transmettre aux spectateurs également le sens et pas que la poésie. Car ne dit-il pas lui-même que lorsqu'il a découvert ce texte il a été "frappé de la richesse du scénario, de la sophistication de la fable, de l'entremêlement des enjeux intimes et politiques... Et bien sûr ébahi par la langue, l'incroyable capacité de dire tant de choses profondes en si peu de mots simples."
TNS - Mithridate - Jean Racine - Eric Vigner - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Le sens, cette balise auquel il faut se raccrocher fort, tellemment cela tourne à l'image de l'écran-rideau, voile et girouette qui occupe le centre de la scène, l'essentiel du décor presque. Ce rideau de perle à la fois meuble qui ponctue et oriente l'espace, "coupe" à un moment d'un trait noir le corps de Pharnace (Jules Sagot), se déploie telle une voile de navire à l'image de la flotte de combat de Mythridate, moulin qui brasse les personnages et les événements, paroi de confessionnal ou mur de séparation entre les personnages, incluant ou excluant les protagonistes pour finir comme tombe qui ensevelit le mort.
Ce mort, Mithridate, déjà (faussement mort au début de la pièce) qui fait sa résurrection, qui toute sa vie a combattu la mort en ingurgitant des poisons (pour se mithridatiser), mais qui n'a pas su sauver ni son amour (filial ou pour sa "reine"), ni les relations de confiance avec ses proches (envenimées par ses folies et ses ambitions politiques et guerrières). Mais c'est cela aussi le moteur de la pièce et notre plaisir de la surprise et la source des multiples revirements:
Des plus mortels venins prévenir la furie.
Ah ! qu'il eût mieux valu, plus sage, et plus heureux,
Et repoussant les traits d'un amour dangereux,
Ne pas laisser remplir d'ardeurs empoisonnées
Un coeur déjà glacé par le froid des années ?
De ce trouble fatal par où dois-je sortir ? "
Et l'on ne peut que le féliciter pour cet éclectisme, entre un jeune comédien dans toute sa fraîcheur Yanis Skouta (Arcas - Romain Gneouchev en alternance) sorti récemment (en 2019) de l'école du TNS, Jules Sagot (Pharnace) de l'école du Théâtre National de Bordeaux en 2013, Thomas Jolly, comédien et metteur en scène, directeur de la Picolla Famiglia, et Philippe Morier-Genoux (Arbate, Phaedime), fondateur du Théâtre Partisan à Grenoble en 1967 et qui a travaillé de nombreuses années avec Georges Lavaudan et Roger Planchon et qui est aussi connu par la télévision et le cinéma et qui a une merveilleuses présence sur le plateau. Sans oublier la princesse Monime, Jutta Johanna Weiss qui entre Vienne, New York, Avignon (Andreï Serban), Paris et Moscou (Anatoli Vassiliev) qui éclabousse la scène, magnifique personnage qui joue de sa force et de sa droiture face à ce roi désorienté et ose exprimer sa vérité et sa passion brûlante - et sa distance aussi dans un jeu très incarné. Profitons-en pour citer la créatrice des costumes Anne-Cécile Hardouin, qui lui a réalisé une magnifique robe, entre qu'elle fait varier de la monacale enflammée ou suppliante (avec ses ailes d'ange) à la Carmen envoûtante dévoilant ses mollets. Le jeu du noir et du blanc pour les deux fils et du rouge pour Mithridate et Monime (avec des variations) jouent sur une riche sobriété. Le décor, avec le rideau de perles déjà cité et une "tour sans fin" brancusienne tiennent aussi du symbolique à la fois discret et puissant, tout comme le feu qui brûle l'obscurité du début, que les effets de lumières simples mais puissants de Kelig le Bars sculptent en ambiances hiératiques. A l'image de cette scénographie, la composition musicale et sonore de John Kaced renforcent la puissance émotionnelle de la pièce.
La Fleur du Dimanche
Stanislas Nordey, directeur du TNS a dédié, à la fin des saluts, cette représentation à Joëlle Abler, attachée à la production au TNS, qui venait de décéder. Toutes nos pensées à la famille, aux proches et à l'équipe du TNS.
Au TNS le 31 mai, 1 et 2 juin 2021 18h00
le 4, 5, 6, 7 et 8 juin 2021 à 18h00
CRÉATION AU TNS
COPRODUCTION
Texte Jean Racine
Mise en scène et scénographie Éric Vigner
Avec Thomas Jolly Philippe Morier-Genoud, Stanislas Nordey, Jules Sagot, Yanis Skouta, Jutta Johanna Weiss
Lumière Kelig Le Bars
Son John Kaced
Costumes Anne-Céline Hardouin
Maquillage Anne Binois
Assistanat à la mise en scène Tünde Deak
Assistanat à la scénographie Robin Husband
Régie générale Bruno Bléger
Thomas Jolly est metteur en scène associé au TNS