mercredi 31 janvier 2024

Cadela Força - Trilogie - Chapitre 1 de Carolina Bianchi au Maillon: Le mariage et l'enfer, la mémoire et l'oubli

 Le mariage et la mort sont souvent liés dans l'imaginaire dans les étapes d'une vie, plus qu'on le croit. Cela apparait dans les contes, les récits et se diffuse dans nos structures mentales. La coercition et la violence que le mariage et ses conséquences, réelles ou fantasmées engendrent sont des sujets dont on ne parle pas ou peu. J'ai vu récemment dans une mairie, une carte des féminicides où, à l'image des température, la carte de France affiche, non pas les degrés, mais le nombre de femmes assassinées par leur mari en les situant géographiquement. La violence des hommes sur les femmes est un sujet dont on ne parle pas ou si peu. Mais comment en parler ?

Dans son spectacle La Mariée et Bonne nuit Cendrillon, le Chapitre 1 de la Trilogie Cadela Força (Force salope) de Carolina Bianchi et son collectif Cara de Cavalo présenté au Maillon, l'approche se fait via l'histoire de l'art et la littérature mais aussi grâce à une vraie expérience vécue et partagée par les spectateurs. Même si cette expérience est introduite avec précaution, l'expérience est violente et le sujet brûlant. Et la "performance" interroge, même la principale protagoniste elle-même. Et la question des limites et de ce que l'on peut montrer - ou faire - lors d'un spectacle est une question à laquelle on n'échappe pas. Ce spectacle fait toucher du doigt la limite que souvent l'homme se permet d'outrepasser - totalement dans l'illégalité. Alors que cette limite là est trop souvent acceptée.

Après un texte de Dante, dans L'Enfer, qui nous parle de "forêt profonde" et de "chemin perdu", la dramaturge brésilienne Carolina Bianchi, toute de blanc vêtue nous présente une série de quatre tableaux de Botticelli selon l'histoire de Nastagio degli Onesti, où un prince est obligé de toujours poursuivre avec ses chiens dans la forêt son aimé qui s'est refusée à lui et de la tuer tandis qu'elle ressuscite après s'être fait  éviscérer. Puis Carolina Bianchi s'installe à une table de conférence avec une très grosse pile de feuilles qu'elle commence à lire après avoir préparé son "cocktail du violeur" pour lequel on la voit discrètement écraser un comprimé qu'elle met dans le verre où les glaçons se mettent à clignoter en couleur.


Cadela Força - La Mariée et Bonne nuit Cendrillon - CAROLINA BIANCHI - Photo: Christophe Raynaud de Lage

Suit, avec photos à l'appui, une présentation parallèle, d'une part d'énumération de meurtres de femmes et d'autre part, le pendant, avec la présentations des artistes qui dans l'histoire de l'art et de la performance se sont mises en danger ou ont porté atteinte à leur corps (Gina Pane, Marina Abarmovic et bien d'autres). En notant bien que, pour les femmes artistes, cette mise en danger est beaucoup plus courageuse que pour les hommes - à priori elle ne peuvent le faire que dans un endroit prévu pour cela, à savoir une galerie ou un espace d'art. Et cela nous mène à Pippa Bacca, autre artiste performeuse qui s'est fait assassiner lors d'une performance où elle allait de Rome à Jérusalem habillée en mariée, avec Silvia Moro. Elles venaient de  se séparer sur la route en Turquie, quand un homme l'a violée et assassinée (juste après un mariage qui a eu lieu dans sa famille). Carolina Bianchi nous fait revivre d'une certaine manière ce récit, en l'entrecoupant par des réflexions sur le spectacle lui-même et ses enjeux (vais-je survivre? que vais-je oublier? quelles sont les limites du théâtre?). Nous nous trouvons à la fois en position d'observateur de ce qui lui arrive dans la réalité et face à cette mise en abime des situations de risques qui peuvent arriver à toutes les femmes. Essentiellement du fait de cette culture où l'homme pour affirmer son pouvoir, dispose du corps de la femme jusqu'à la mort. Surtout encore dans certains pays: un exemple révoltant est celui du gardien de but brésilien Bruno Fernandes de Souza qui a fait tuer son amante puis a donné son corps à ses chiens et qui après n'avoir purgé que le tiers de sa peine, a été accueilli à sa sortie de prison par des fans en délire. Et depuis il joue à nouveau dans une équipe de foot. 

Nous assistons en direct aux effets de la drogue et cette situation nous met dans un drôle d'état. Nous voyons Carolina Bianchi perdre la maîtrise de son corps et se coucher sur la table avant de sombrer dans le sommeil.


Cadela Força - La Mariée et Bonne nuit Cendrillon - CAROLINA BIANCHI - Photo: Christophe Raynaud de Lage


Puis nous passons dans la deuxième partie de la pièce où le rideau sur lequel étaient projetées les images est ôté, le large plateau est recouvert de revêtement noir et parsemé des quelques ilots de sable qui se révèleront contenir des traces de corps, d'os ou de chevelures (féminines) et au fond de la scène, une voiture noire dont la plaque d'immatriculation affiche "FUCK CATHARSIS". Après cette mise en place, les performeurs habillé(e)s de noir s'arrosent d'alcool tandis qu'un texte annonce "Quelque chose ma parait moins sûr qu'avant".  Il est question de l'indescriptible, de l'impensable et du silence de ce qui ne peut être dit. A nous d'imaginer la suite et les danseurs et les danseuses de la troupe nous mettent dans une ambiance de fête. La musique et les lumières en font un moment festif nocturne, tandis que Carolina Bianchi est prise en charge par deux femme puis mise en situation sur un matelas à ras du sol (comme une des performance réalisée par une autre artiste précédemment). Cette plongée de la nuit alterne des moments dansés, des scènes plus intimes. Des poèmes projetés sur un écran - un superbe poème de Carlos Drummond de Andrade - la suite des violences faites aux femmes, en particulier dans le livre 2666 de Roberto Bolano, la mort d'Ana Mendieta ou des discussion dans la voiture (avec des blagues une peu obscures) nous amènent à un passage dans les entrailles (le coffre comme un utérus) de la voiture. Puis cette voiture, poussée sur le devant de la scène sert de "plateau" à la fois de tournage et d'opération pour une simulation symbolique de viol (sans violence, mais nous pouvons nous projeter...). Et l'on assiste au difficile "réveil" qui nous laisse un goût amer dans la bouche (celui de la "drogue du violeur).  L'amertume semble aussi prendre possession de la principale protagoniste et de celui qui lui prodigue de la tendresse. Cette catharsis semble n'avoir servi à rien (à vous de prouver le contraire), la mémoire se brouille, l'amour n'existe pas il n'y a que la tendresse qui sauve, mais à la fin "la tempête de merde commence." Et nous y sommes pris, silencieux.


La Fleur du Dimanche


La Mariée et Bonne nuit Cendrillon


Au Maillon à Strasbourg du 31 janvier au 2 février 2024

mardi 30 janvier 2024

La Langue de mon père au TNS: Le poids de la langue, la force de Sultan

Sultan Ulutas Alopé n'est jamais là où on l'attend.  Pour sa pièce La Langue de mon père, une chaise trône en retrait au milieu de la scène dans le Studio Jean-Pierre Vincent à l'Espace Gruber. Lorsqu'elle entre sur la scène nue, on s'attend à ce qu'elle s'y assoie, mais non, elle la traverse en diagonale et s'installe debout tout au bout à jardin. Et elle commence à nous raconter son histoire, dont elle dit que ce n'est pas son autobiographie, mais plutôt des morceaux choisis d'une histoire exemplaire qui est arrivée à une certaine Sultan, qui n'est pas (plus) elle. 


La Langue de mon père - Sultan Ulutas Alopé - Photo: Jean-Louis Fernandez


Ces histoires aussi, elle s'en est "décalée" pour en faire le récit exemplaire d'une destinée, à la fois d'une éducation, d'une situation d'oppression et d'un exil. Ce récit de l'origine, elle va nous le "conter" debout et énergie, avec toute la dynamique de la dramaturgie et toute la force de la révolte contre l'oppression. Cette oppression, cette sujétion, qu'elle a expérimenté déjà depuis toute petite, à cinq ans dans une région hostile à sa culture. Elle dit qu'elle va nous raconter comment elle apprend la langue de son père - langue qu'elle ne nomme pas tout de suite - mais là aussi c'est à travers le Français, et surtout sa situation d'immigrée en attente de  papiers qu'elle démarre la récit. Bien sûr en alternance avec ces épisodes où elle rend attentive à la difficulté d'assumer cet apprentissage (le Français c'est plus facile) et la mise en parallèle de cet apprentissage ici et ce que cela aurait été dans son pays, la Turquie.

 

La Langue de mon père - Sultan Ulutas Alopé - Photo: Jean-Louis Fernandez


La situation est claire et "compréhensible": la langue étrangère, totalement extérieure comme la français, que ne parle aucun des deux parents, lui permettra de prendre suffisamment de distance pour se reconstruire un parcours avec sérénité. Et va lui permettre de nous raconter cette histoire qu'elle a construit par bribes. Elle remonte ainsi à son enfance, et même à la scène primitive de la rencontre de ses parents - et une autre scène tout aussi symbolique qui est celle de la violence du père. Dans ces deux scènes, elle se s'implique physiquement, l'une en libérant son corps dans une danse voluptueuse sous la boule à facettes et l'autre où elle bascule et bouscule la chaise sur laquelle elle avait accrochée sa veste. Notons son costume assez unisexe, T-shirt noir, jean bleu et cette veste - à l'égal de son nom Sultan, non emblématique qui est un nom plutôt masculin mais qui est féminin pour ce peuple dont elle se réclame de par son père, les Kurdes. Cette situation, très complexe, des Kurdes en Turquie est décrite avec délicatesse et discrétion - un froncement de sourcil ou un changement de mode d'expression en disent long...  


La Langue de mon père - Sultan Ulutas Alopé - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et donc, à travers ce destin individuel qu'elle nous fait bien sentir nous plongeons au plus près des problèmes politiques qui ne semblent pas facile à résoudre. Mais au moins cette heure que l'on passe avec Sultan Ulutas Alopé nous aura permis de prendre conscience des nombreuses situations auxquelles l'on peut être confronté, que ce soit l'absence du père ou la violence familiale ou l'oppression, sinon la répression, la fragilité de l'amour ou la force d'une femme, ou encore les pièges et les embuches sur le chemin d'un(e) éxilé(e). Et l'énergie que l'on peut trouver pour s'en sortir.


La Fleur du Dimanche 


La Langue de mon père

Du 23 janvier au 2 février 2024 au TNS à Strasbourg

De et avec
Sultan Ulutas Alopé
Collaboration à la mise en scène
Jeanne Garraud
Lumière
Vincent Chrétien
Le texte est publié aux éditions L’Espace d’un instant, 2023.
Le spectacle est labellisé Sens Interdit.
Avec le soutien des Clochards célestes et du Jeune Théâtre National (JTN)


samedi 27 janvier 2024

PLI de Viktor Cernicky à la Reithalle avec le Maillon: Une tour et c'est plié

Viktor Cernicky aime à jouer des tours au spectateur. C'est un peu un magicien, un illusionniste, presqu'un escamoteur, alors qu'on nous le présente comme danseur, comédien, artiste de cirque. Ce qu'il est aussi par ailleurs, comme il est également un peu poète et philosophe. Ne se réfère-t-il pas à la fois à Italo Calvino, à Gilles Deleuze ou même à Leibnitz. 


Pli - Viktor Cernicky - Photo: Vojtech Brtnicky


Mais il nous cache bien son jeu. Déjà, quand nous entrons dans cette salle de la Reithalle à Offenbourg pour ce spectacle Pli présenté par le Kulturbüro Stadt Offenburg avec le Maillon, le comédien est en cours de travail. Il commence à positionner l'une après l'autre, après les avoir cherchées sur une sorte "d'arbre à chaises" au fond de la scène, des chaises en diagonale sur la scène, dans une position de déséquilibre instable, l'une s'appuyant sur l'autre. Et c'est cette double instabilité qui crée un équilibre provisoire. Tout cela selon un protocole qu'il ne lâchera que vers la fin du spectacle pour nous projeter dans un nouvel état de tension : marquant le rythme de son corps et de ses pieds, il installe un tapis sonore, une ligne de force, marquant un rythme binaire, quelquefois basculant dans le ternaire, en se déplaçant dans une valse hésitation ponctuée de frappes ou de frottements tout au long de la pièce. D'abord en cherchant une a une les chaises qui vont former cette première dont l'achèvement sera bien sûr une chute surprise vécue comme une belle chorégraphie de chaises bascules. 


Pli - Viktor Cernicky - Photo: Vojtech Brtnicky


Par la suite il va nous induire sur de fausses pistes ou des hésitations dans des constructions aléatoires, dans des géométries poétiques et des espaces courbes, pliés et liés, intriqués. Tout son travail sera lié à ces différents interdépendances entre cet objet à priori sommaire et basique qu'est la chaise de bureau dont il explore les relations équilibrées possibles dans des connexions variées dans un espace changeant. Ce processus un peu hypnotique, soutenu par la construction d'un univers sonore répétitif nous amène non à la chute, mais à l'édification d'une sorte de tour de Babel. Et cela dans la montée en puissance d'une oppression et d'un suspens qui nous fait nous accrocher à notre chaise. Et qui nous fait tendre notre attention vers un summum qu'il se fait un plaisir de titiller.. Jusqu'à une dernière virevolte où il prouve que le pli peut être à la fois physique, architectural ou artistique et qu'en plus il peut quitter la scène après avoir prouvé que les relations et les transformations échappent à des structures linéaires (comme au début) et que comme le dit Deleuze: 

"Le pli n’est pas autre chose qu’un principe de complication, de complexification, de différentiation ; il n’y a pas d’un côté des plis et de l’autre des déplissements, mais tout est pli, et rien n’est simplement dépli."


La Fleur du Dimanche

vendredi 26 janvier 2024

Maldonne de Leila Ka: L'habit fait la nonne et le geste donne

Dernière soirée en beauté pour le Festival L'année commence avec elles à Pôle Sud, avec, en apothéose et pour passer au lendemain, un Club'in avec la Compagnie Watt qui nous entraîne dans une soirée house animée de surprises chorégraphiques dans le studio où pour une fois, le spectateur est au centre de la scène pendant que sur l'écran passent des images de danse, mais pas que et qu'entre le DJ et la batteuse cela pulse fort et que la compagnie watt s'éclate de temps en temps au centre du public.

Leïla Ka - Maldonne - Photo: Nora Houguenade


Le dernier spectacle du Festival, Maldonne de Leïla Ka est une très belle conclusion de cette programmation qui donne voix - et corps - aux femmes. Elles sont cinq, debout immobile au centre de la scène, le temps que les spectateurs en arrivent à oublier leurs discussions et se concentrent, avec les danseuses, éclairées à contrejour, la tête légèrement penchées dans une introspection sereine. Très lentement, elles se mettent à bouger, d'abord un bras qui se lève le long du corps et se rapproche du visage, dans un mouvement de  contrition ou de tristesse. 


Leïla Ka - Maldonne - Photo: Nora Houguenade


L'une après l'autre lentement d'abord puis, dans une montée en énergie, de plus en plus sec et rapide. La lumière passant du contrejour à la douche puis à l'avant; révélant les couleurs éclatantes des quatre robes fleuries et toutes différentes. Dans une synchronicité parfaite, chaque danseuse fait une série de gestes minimalistes telle une partition de Steve Reich. La chorégraphie minimale s'installe et se propage, varie en vagues, répétitions et décalages pour finir dans un épuisement qui les abat. Mais pour peur de temps. Les revoilà, habillées de robes version fourrures de félins, dans une chorégraphie plus expansive mais toujours très coordonnée et d'une gestuelle précise. Les tissus des robes volent, elles se retrouvent à genoux, à quatre pattes, s'autoflagellent, dans des accès de violence. Elles ondulent en vagues, dans des attitudes entre connotation sexuelles et combat ou tâches ménagères symboliques. 


Leïla Ka - Maldonne - Photo: Nora Houguenade


La place et le rôle des femmes est prise à bras le corps, leur solidarité aussi, dans des moments où elles se retrouvent dans des respirations communes, pleines de force et de puissance, unies. Dans un autre tableau, avec la chanson de Michel Sardou puissamment interprété par Lara Fabian, elles nous font face dans un magnifique play-back à quatre qu'elle nous projettent puissamment au visage. Un grand moment. Prolongé par des saluts simulés et distanciés finement décalés et plein d'humour. Des crochets inquiétants descendent des cintres et une autre garde-robe colorée s'affiche sur le corps des danseuses que l'on découvre musculeux. Et cette couleur, glissant sur leur tête et découvrant des habits noirs semble faire un clin d'oeil iconoclaste à d'autres habits plus contraignants. La lumière se met da la partie en basculant également au contrejour.


Leïla Ka - Maldonne - Photo: Nora Houguenade


 Une annonce d'un air de Leonard Cohen nous fait basculer dans une sorte de marathon de danse avec des variation plus légères puis, avec un accompagnement de musique classique un peu baroque la scène bascule totalement vers un côté plus caricatural, dans un style de pantomime ou de film muet, avec de scènes faussement comiques de chamailleries de gamines et de scènes d'accouchement presque grotesque où les couleurs des vêtements n'arrêtent pas de valser dans un tourbillon sans fin. Un nouveau choeur de souffle nous reporte aux scènes du début avant que, sur un air de choeur baroque puissant, les cinq interprètes se retrouvent face à nous et nous font un ultime effeuillage. 


Leïla Ka - Maldonne - Photo: Nora Houguenade


Dans une chorégraphie d'une coordination parfaite, elles se libèrent de ces oripeaux dans de superbes gestes de révolte. Un spectacle puissant et prenant mené de main de maîtresse par Leïla Ka avec cette bande des cinq qui ne nous ménage pas et porte haut la parole des femmes.


La Fleur du Dimanche

jeudi 25 janvier 2024

L'année commence avec elles.. en chansons avec Lüssi et Claire Days.... en suspension dans les airs

 Pôle Sud passe le pont du Rhin Tortu pour poser les amarres du Festival L'année Commence avec Elles du côté du partenaire du Neuhof, l'Espace Django avec une soirée 100% féminine. Avec Lüssi et Claire Days, c'est une ambiance folk, rock doux, qui nous attend en toute intimité pour faire écho à la danse présentée au Centre National de Développement Chorégraphique de la Meinau (voir mes précédents billets ici).



La soirée commence avec Lüssi, jeune artiste strasbourgeoise qui vient de remporter le prix "découverte" du dispositif Music&lles (mis en place par Sturm Production) accompagnée au violoncelle par Lucille. Elle-même démarre seule avec sa guitare électrique pour nous chanter des chansons mélancoliques de sa voix haut perchée et claire, chansons qui nous parlent avec douceur de chagrins d'amour, de moments qui s'étirent, de pleurs, de d'ennui et d'Insomnies. Ses airs enchanteurs où elle triture les mots, nous bercent et nous emportent ailleurs au son du violoncelle qui ponctue de son tapis grave les accompagnements à la guitare électrique ou acoustique en toute simplicité. Ses mélopées envoutantes nous enveloppent et sa chanson nostalgique Grand-Maman sur la maison de sa grand-mère exhale le bonheur de l'enfance revisitée. Elle lui rend hommage en ce jour spécial, marqué par son départ définitif, curieux hasard. La voici:



En deuxième partie, Claire Days, accompagnée aux claviers et à la basse par Udo del Rosso nous propose un folk un peu plus rugueux. 




De sa voix brute, un peu rocailleuse mais très bien posée, elle nous chante dans un anglais impeccable - elle écrit et chante dans cette langue depuis toute petite, vocation précoce - de magnifiques poèmes, des mélodies tristes et émouvantes, des histoires d'amour non réciproque, des constructions de châteaux, des récits de bascule et une chanson dédiée à sa soeur My sister qu'elle a écrite pour lui donner de la force dans l'épreuve, pour qu'elle arrive à dire non ("you have to say no, it's too much already"). Je vous en propose le très beau clip:



Elle nous offre aussi toute une palette de chansons en français, langue qu'elle s'est appropriée récemment et qui dans sa bouche est pleine de surprise sur des mélodies très originales, mais intéressantes et surprenantes. Le tour de chant nous emporte dans son univers un peu décalé doux-amer mais quand même agréable. Ses thèmes ne sont pas toujours joyeux et l'atmosphère que son complice Ugo del Rosso arrive à créer sur son synthétiseur est à la fois mystérieuse et décalée, un peu anachronique. Cependant elle a une belle présence rassurante et douce et même si elle nous nous chante "Tu pense à la mort", il y a une belle énergie dans ses composition. Et pour finir en bis, elle nous interprète une chanson de Miley Cyrus puis en guise d'au revoir une chanson qu'elle a composée comme un adieu lorsqu'elle a quitté Paris pour partir à Lyon. 

A noter que le concert était chantsigné, c'est-à-dire que deux interprètes du langage des signe étaient sur scène pour traduire en synchrone les paroles - en français et en anglais - pour permettre à des personnes malentendantes d'y participer. Une très belle et généreuse initiative qui a fait quelques heureux.


La Fleur du Dimanche

 

mercredi 24 janvier 2024

Wachter et Nach à Pôle Sud: L'une en quatre, sinon plus, quatre en une sinon moins

 Pour continuer sur la lancée du Festival L'année commence avec elles à Pôle Sud, ce sera cette fois-ci une soirée totalement féminine qui casse les codes et va d'un bout à l'autre de ce qu'il est possible de voir en termes de propositions chorégraphiques. Et effectivement la diversité est reine. Après les "paroles d'hommes" avec Olivia Grandville qui propose des hommes en "Débandades" ou le grand voyage autour de "La table à soi" d'Olga Mesa ou encore un duo mixant art, histoire, science et danse dans "Concha" de Marcella Santander, la soirée propose deux pièces dont l'approche est totalement différente en terme de présentation et de traitement.

Pour For You / not for you, de Solène Wachter nous sommes invités, dans le studio de Pôle Sud à prendre place sur des gradins d'un côté ou de l'autre de la salle pour "équilibrer les regards". En fait, les spectateurs d'un côté ou de l'autre ne verront pas le même spectacle et c'est très bien ainsi. 


Solène Wachter - For you / Not for you


Pour commencer, à part le point de vue, le début du spectacle est identique. La danseuse déblaye et range la plateau sur lequel étaient empilés deux poutrelles en alu sur un ampli-machine à fumée. Nous sommes plongés dans l'univers du spectacle et c'est exactement cela qui nous attend pendant trois bons quarts d'heure. Après avoir méticuleusement positionné les deux barres qui se révèlent être des rampes lumineuses, le spectacle peut commencer . Il se déroule sur les chapeaux de roues avec une précision et une vitesse époustouflante. Solène Wachter, habillée d'un pantalon de scène aux coutures bordées de petits diamants en strass, également dans la raie de ses cheveux, porte un  haut en tissus bleu transparent et une veste de survêtement qui lui permet de passer instantanément d'un profil de rôle (ou de fonction) à un autre. Ces fonctions nous allons les deviner au fur et à mesure qu'elle parcourt le plateau de long en large selon les gestes et mouvements symboliques qu'elle opère et qui vont de la fixation de bandes adhésives imaginaires, de l'enroulement de câbles ou du positionnement d'accessoires ou encore du réglage de lumières. 


Solène Wachter - For you / Not for you - Photo David le Borgne


La lumière qui est un personnage prépondérant du spectacle, le régisseur lumière étant tout aussi actif que la danseuse dans la bascule des sources qui éclairent alternativement le plateau et la danseuse, que ce soit au sol ou en l'air dans une partition millimétrée à laquelle participe d'ailleurs la danseuse. Parce qu'en plus de danser, de passer d'un rôle à l'autre, elle est successivement, dans un montage alterné rapide et "cut" presqu'instantané régisseuse, éclairagiste, danseuse ou chanteuse et musicienne. Elle participe par exemple aux changements d'éclairage, soit en allumant ou éteignent les deux rampes qu'elle a installées de chaque côté de la salle, soit en les orientant vers la scène ou le public, soit, moment magique, en déplaçant une barre pour devenir un grand oiseau aux ailes lumineuses dont on ne voit plus que le visage. 


Solène Wachter - For you / Not for you - Photo David le Borgne


Elle est donc la cheffe d'orchestre d'un concert de lumière dont elle a pensé et réglé toutes les notes de lumière qui parcourent la scène ou le public. Ses gestes sont à la fois justes et précis et quand elle bascule dans les gestes du show business sur scène, ils ne le sont pas moins et on se rêve à assister à ce concert imaginaire dont quelquefois on entend l'ambiance. La bande son est elle aussi précise et immersive et pour finir nous entendons les saluts et les coups de batteries ultimes. Une expérience pour chaque spectateur bien menée et déstabilisante.


Avec Elles disent de Nach nous sommes dans un univers presqu'opposé. Ici nous avons quatre danseuses qui se relayent sur un rythme bien plus tranquille même si c'est orienté krump. Elles prennent possession du plateau, se mettent en train et se passent le relais, se mettent en pause et observent, s'introspectent et s'interrogent, se font leur numéro en explorant leurs attitudes, leur corps. Elles passent par des moments de silence et des musiques calmes (la version piano du Casanova de Fellini de Nino Rota) et quand on croit que cela va déménager, cela se calme rapidement. Le rythme est plutôt au ralenti, surtout pour les interprètes qui ne sont pas au premier plan parcourant l'arrière dans un lent défilé.


Nach - Elles disent - Photo: Romain Tissot

Quelquefois un groupe se forme pour interagir dans des échanges un peu plus fourni, par exemple lorsque la parole essaye d'interroger le corps et les mots, avec un abécédaire qui n'arrive pas très loin, "tentative de lyrisme" et essai de "ne pas perdre le corps",  jeux de mots enfantins qui enfantent à la fin des gémissements de plaisir libérateurs, summum de leurs quête,... Les interprètes - joyeuse troupe, bande de filles complémentaires qui explorent le corps et la féminité - constitué de belles individualités qui font chacune leur tour de piste - gagneraient à plus de cohésion. 


Nach - Elles disent - Photo: Romain Tissot


Chacune ayant bien sûr une belle qualité de geste et d'expression, en particulier Adelaïde Desseauve dont le style navigue entre l'expressionisme de Valeska Gert et les danses nègres de années 30, peut-être un peu trop appuyé. Ou Sophie Palmer dont on devine une individualité trop peu exprimée. Mais le public est satisfait de la proposition et remercie chaleureusement cette proposition qui bien que lente n'est pas trop longue.


La Fleur du Dimanche     

samedi 20 janvier 2024

La Revue Scoute à Schilick: Extra, tes restes: l'Humour scout toujours prêt (à les trier)

 Cela fait 50 ans qu'une joyeuse bande d'"Indianer jaunes" ont créé le café-théâtre de l'Ange d'Or à la Krutenau, et Patrick Chevallier, l'un de ses fondateurs, avec Daniel Chambet-Ithier, était dans la salle pour en témoigner. Et c'est là que les premiers spectacle des "Scouts" fut créé. Et cette année, c'est la quarantième Revue de Scouts, qui s'est installée depuis trente-cinq ans à Schiltigheim. De quoi donner des angoisses (de vieux) à Dani qui, en préambule, avant de frapper les trois coups, nous parle de "Grand remplacement", la vague qui submerge tout, constituée d'une espèce dont on ne comprend pas grand-chose, qui n'a pas les mêmes habitudes, ni les mêmes attitudes que les membres de la troupe, mais à priori également du public dans la salle de la Briqueterie: les jeunes, cette curieuse engeance dont le fonctionnement demeure mystérieux. Et dont on ne sait à priori qu'une chose: ils ne viennent pas voir les Scouts. Ce en quoi ils ont tort. Parce que le spectacle, en tout cas le cru 2024 Extra, tes restes, est extra, formidable, une vraie cure de rire et d'humour, de dérision et d'autodérision. Une dose d'humour qui devait être prescrite pas la Sécurité Sociale et avec laquelle par exemple les "catarrheux vivront une embellie pulmonaire". Bref, un vent frais, vent du matin, qui emporte tout un chacun dans un bain - de jouvence - vivifiant.


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


Dès que le rideau se lève, se dévoile la grande scène au fond de laquelle un décor avec une forme olympique (les anneaux) derrière lequel se cache le grand orchestre (Pilou Wurtz, Anne List, Laura Strubel, Mathias Hecklen-Obermesser, Sylvain Troesch, Mathieu Zirn, Sébastien Kanmacher), sous la direction de Michel Ott dynamise le rythme, accompagne les magnifiques adaptations de chansons ou d'airs courts qui ponctuent les sketches. Les paroles de ces chansons, fort bien choisies, et en relations avec les séquences d'humour sont magnifiquement interprétées par la troupe par Nathalie Mercier et Sophie Néhama (Lettre à France de Polnareff), et parmi les hommes Alexandre Sigrist, qui, avec sa voix de chanteur d'opéra, pousse très souvent la chansonnette (très loin). 


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


Les nouvelles paroles pourraient très bien devenir un tube, tant les textes sont ciselés. Et l'on passe des "Loups ..." de Reggiani (qui deviennent des Bout'chou = les jeunes) à Renaud, ou Gilbert Montagné - On va s'aimer > trier) (Boney M ou un air traditionnel en électro-techno et une très belle version de Porché te vas ou encore d'une chanson de Joe Dassin. C'est carrément presque un tour de chant entrecoupé de sketches. Des fois même la chanson s'immisce dans le sketch "Et j'ai trié, Aline...."). De quoi prendre un grand plaisir. Et n'oublions pas les inventives chorégraphies de Bruno Uytter.


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


Plaisir également dans la finesse des plus de vingt tableaux variés qui parsèment la soirée, jamais tirés en longueur, avec le sens du rythme et de la concision: L'alerte à la bombe traités par une simili AI pour les services téléphoniques d'un banque, le portrait des politiques nationaux version téléréalité, le difficile accouchement des jumeaux Alsace, les dentistes vosgiens gore, la surprenante raison du désespoir des supporters du Racing. 


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


Toute une série de sujets aussi divers et tous traités avec une dramaturgie adaptée, dont certaines à nous couper le souffle (L'injonction gastronomique) ou carrément magique (Eric Dupont Moretti en forme olympique au cheval d'arçon. La politique se retrouve bien sûr avec des égratignures au niveau national mais le local avec la préparation des municipales de Strasbourg et - qui aime bien châtie bien, la Maire de Schiltigheim inaugurant le premier sentier du Club Vosgien citadin harnachée de son sac à dos. 


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


Les personnes réticentes à se souvenir du nom de la maire de Strasbourg seront reconnaissant aux Scouts avec leurs tableau faisant se rencontrer Gutenberg et les Mousquetaires - où il est aussi question de circulations et de pigeons. 


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


L'actu des J.O. est également traitée avec humour via la boxe et par la lorgnette du logement - et des bouquinistes. Et, plus acide comme traitement, les nouvelles épidémies qui nous pendent au nez devraient nous sérieusement (oui) inquiéter. Quelques tableaux tendres et touchants, quoique drôle toutefois se penchent sur les petites gens et leur dénuement.


La Revue Scoute - Extra, tes restes - Photo: Patrick Kupferschlaeger


Finalement toute cette géniale mixture nous apporte un bon entrain pour supporter la morosité ambiante sans laisser notre esprit s'endormir car la Revue Scoute est un bon booster des neurones et le rire, en ventilant nous aide à oxygéner le cerveau. Et nous donne du tonus pour, si elle ne nous permet pas d'aller sur Mars avec le biogaz,  au moins de traverser une semaine de travail. En tout cas nous remercions pour leur énergie et leur talent les comédiens Patricia Weller, Nathalie Mercier, Murielle Rivemale, Sophie Nehama, Fayssal Benbahmed, Raphael Scheer, Jean-Philippe Meyer, Jules Pan, Dominique Grilla, Alexandre Sigrist, Denis Germain, et, last but nos least puisqu'il a aussi fait la mise en scène, Daniel Chambet-Ithier. Et de plus ils ont écrit les textes, ce qui est aussi une superbe réussite. Encore Bravo!


La Fleur du Dimanche


A Schiltigheim du 12 janvier au 25 février 2024

En tournée (Sélestat, Strasbourg, Muntzenheim, Saverne, Bischwiller, Mutzig, Ostwald, Village Neuf) du 29 févier au 25 mai 2024 

jeudi 18 janvier 2024

Sérénades au Ballet du Rhin: La ballade de Balanchine en noir et en Paradoxe

 L'ombre de Balanchine plane sur la soirée Sérénades du Ballet de l'Opéra National du Rhin. Non seulement c'est à lui que l'on doit la célébrité de cette pièce chorégraphique qu'il a créée en 1934, Mais tous les chorégraphes de la soirée ont soit été imprégné de son enseignement et de ses chorégraphies, ou même ont dansés cette pièce. Pour Gil Harush, c'est d'ailleurs cette pièce qui lui a fait choisir le chemin de la danse en 2006 à Tel Aviv à la Thelma Yellin School. Et Bruno Bouché, du temps où il était danseur au Ballet de l'Opéra de Paris a interprété de nombreuses création de Balanchine.


Muse Paradox - Brett Fukuda - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney


C'est donc cette inspiration, quoique distanciée et revisitée qui sous-tend la soirée. D'abord avec la création de Brett Fukuda que l'on connait comme magnifique danseuse mais aussi pour les belles chorégraphies qu'elle nous avait déjà offertes en 2019 (dans une Sérénade de Mozart) et en 2023 (avec Schubert). Cette fois-ci, c'est l'Apollon musagète de Stravinski qu'elle nous propose. Cette partition, commandée à Stravinski  à Washington en 2028 est chorégraphié par Balanchine avec les Ballets Russes à Paris en le 12 juin 2028, seize ans avant Sérénade. Elle raconte l'histoire d'Appolon et de trois muses Calliope, muse de la poésie, Polymnie, muse de la rhétorique et Terpsichore, muse de la danse. Dans sa chorégraphie Muse Parado , Brett Fukuda pose un regard féministe et renverse les rôles. Le personnage d'Appolon, admiré dès l'ouverture du rideau dans son attitude pensive sera un femme et les trois muses assises au sol seront des danseurs. Et tout du long de cette belle épure de ballet, les figures balanceront entre masculin et féminin dans un beau partage de féminité et de douceur, soutenu par une musique inventive interprétée par l'Orchestre Symphonique de Mulhouse dirigé par Thomas Rösner dont c'est le premier contact avec l'Orchestre et le Ballet. Le décor est sobre et clair, les éclairages discrets, quelquefois nimbés de mystères et les costumes blancs ou gris, délicats et aériens mettent en valeur les corps des interprètes.


Sérénade - Gil Harush - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney

L'idée de Bruno Bouché pour cette soirée était de proposer une longue soirée (deux heures, entracte compris) autour d'un formation à cordes, lien de la soirée. Ce cordes font l'objet d'un défi de la part de Gil Harush, le chorégraphe de la deuxième pièce de la soirée, la Sérénade proprement dite, celle de Tchaïkovski. Elles quadrillent littéralement, tombant des cintres et entravant les dix-sept danseuses et danseurs, comme s'il pleuvait des cordes. Il faut rappeler que dans un théâtre théâtre, par superstition, le mot "corde" n'est pas autorisé - on dit "guinde" ou "fil". Et c'est vrai que la chorégraphie et les costumes  - noirs - et les lumières - qui plongent le plateau dans un clair-obscur funèbre. Les aspects romantiques de la musique de Tchaïkosvki sont mis en avant, dans cette pièce où l'amour, la passion, la douleur sont multipliés par six car ce sont littéralement six couples de danseurs qui occupent entièrement la grande scène de l'opéra, chantant la douleur et la mort, comme le poème de Verlaine qui a introduit la pièce : 

Comme la voix d'un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maitresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline:
Pour toi, j'ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.

Sérénades - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney


C'est aussi le noir et un histoire de mandoline qui ouvre et clôt la dernière pièce, de Bruno Bouché, Pour le reste, et cette même interrogation sur l'amour et la solitude. En quatre mouvements, elle débute par un version classique d'une chanson de Connie Converse qui raconte la distance entre un couple, qui marche, dans le noir, continue avec un air pour s'endormir le soir et puis sur une pièce de Tchaïkovski Souvenir de Florence, dédié à un amour impossible. Cela donne un très bel hommage à la robe balanchinienne, immense et protectrice. Mêmes s'ils ne sont pas aussi nombreux que chez Gil Harush, les danseuses et les danseurs incarnent ici également ce côté romantique et désespéré, où chacun se côtoie, plongé dans son univers, sa trajectoire, l'un plus déséquilibré, l'autre plus incertain, d'autres plus volontaires. Chacun avec son caractère et ses gestes, se frôlant souvent, se rencontrant par accident. 


Pour le reste - Bruno Bouché - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney

Pour l'acmé de la soirée, ce sera la très belle chanson de Nina Simone Wild is the Wind qui verra les deux danseurs, volant et se touchant, se cherchant et s'accrochant, cependant aussi souffrant de cet amour qui va emporter le public dans une émotion intense et clore la soirée. Avec en conclusion, ces mots de Rilke:

"Et pour le reste, laissez faire la vie. Croyez-moi, la vie a toujours raison."


La Fleur du Dimanche


Sérénades

A Strasbourg, du 13 au 18 janvier 2024 - Opéra National du Rhin

A Mulhouse, 26 et 28 janvier 2024 - La Filature

mercredi 17 janvier 2024

Débandade de Grandville à Pôle Sud: Un bande de mecs, en slip, la tête haute

 Arrivant de la salle, habillés de leurs seuls slips, les danseurs se regroupent sur la plateau, indécis, en attente, explorant l'espace du regard. On les imagine à une visite médicale ou pour la conscription. Mais non, nous sommes dans une salle de spectacle, et après avoir toisé les spectateurs et les spectatrices, les huit danseurs se retrouvent en bord de scène, à gauche, autour d'une table en pleine discussion jusqu'à ce qu'éclate le rock des années 50 Money Honey sur lequel, toujours en slip va s'éclater cette joyeuse troupe de gars bien agiles. 


Olivia Granville - Debandade - Photo: Marc Domage


Dans son spectacle Débandade qui s'inscrit dans le Festival L'Année commence avec Elles à Pôle Sud, Olivia Grandville nous attire avec son titre féministe et nous offre plutôt une image de désordre et de panique dans le groupe ou le spectacle d'une joyeuse troupe plutôt festive. Non qu'elle n'interroge pas le genre et les codes, les règles, l'éducation, et la position de ces hommes par rapport à la femme, la féminité et la danse - vaste question. Mais elle, et sa petite troupe bien turbulente et agitée, ont une folle envie de danser. Et c'est ce qui nous est proposé pendant une bonne heure et demie. La danse se transmet, prolifère, essaime, envahit le plateau.  Que ce soit, comme pour ce rock vintage ou pour pas mal d'autres morceaux de musique allant d'airs d'Ennio Morricone à de la musique classique comme le Sacre du Printemps en passant par un morceau punk ou avec Gainsbourg, I'm the boy - "Le garçon qui a le don d'invisibilité" en passant par de techno ou des chansons douces, certaines où Jordan Deschamps montre aussi son talent de chanteur. 


Olivia Granville - Debandade - Photo: Marc Domage


Le spectacle joue sur l'alternance, la dualité, homme-femme, bien sûr mais aussi entre la danse et d'autres représentations comme des gestes sportifs transformés. 2galement d'autres moments où un danseur s'embarque dans un solo, quelquefois doublé, rejoint par un autre dans un duo complémentaire qui renforce le propos. Celui-ci peut aussi se propager au reste de la troupe avec quatre, cinq ou six autres qui s'y joignent avec leur diversité. Car de la diversité il y en a, autant dans les nationalités que dans les corps. Dans les histoires et les expériences. Parce que ce spectacle est aussi l'occasion, le prétexte, d'interroger à la fois les parcours individuels de ces danseurs, la genèse de leur rapport à la danse et leurs expériences ainsi que leurs réflexions sur le féminisme, la place des femmes et l'évolution de la société. Tout cela dans un dispositif très original, où la parole se prend bien sûr au plateau, avec ou sans micro, mais aussi dans des moments de pause du corps, quand lorsqu'un danseur passe derrière un rideau de fond de scène, une image vidéo en est projetée sur le fond de scène à gauche. Dans une sorte de cabine, la caméra de César Vayssié s'approche plus particulièrement de l'un en scrutant son corps ou son visage, pendant que nous entendons quelque chose entre le micro-trottoir, la confession ou la pensée en mouvement. 


Olivia Granville - Debandade - Photo: Marc Domage


Devant le rideau de fond de scène, une estrade leur sert de temps en temps de podium ou même de siège, mais surtout sera le lieu d'un magnifique défilé de mode inventif et décadent où leurs vêtements (ils se sont bien sûr revêtus, essentiellement avec des shorts et des maillots) deviennent des créations très originales dont ils arrivent à transformer la forme première dans une multitude de pièces dignes de grands couturiers version voguing. 


Olivia Granville - Debandade - Photo: Marc Domage


Il ne faut pas oublier les quelques magnifiques solos mis en scène en one man show où l'on reconnait les trajectoires artistiques de chacun - dont quelques unes passant par une danse classique de très haut niveau, mais aussi des influences africaines, nord-africaines et brésilienne. Outre la danse des pectoraux, peu partagée, il y a eu de très belles variations autour du "tableau vivant" et magnifiques danses d'interprétation animales - chevaux, oiseaux, canard pataud, singes et autres gorilles ou animaux à quatre pattes qui ont permis à chaque danseur de démontrer et son talent et ses capacités. Une performance tout du long qui s'est terminée dans la joie dans un grand et joyeux désordre festif.


La Fleur du Dimanche

jeudi 11 janvier 2024

Une Table à Soi d'Olga Mesa à Pôle Sud: La femme diffractée

Pour la deuxième partie de la première soirée du Festival L'année commence avec elles à Pôle Sud, nous avons droit au retour d'Olga Mesa avec sa dernière création Une Table à Soi (danse des mains)




Elle est étendue à terre au milieu de son installation sophistiquée, faite de parois multiples, de vidéoprojecteurs et d'écrans dans tous les sens, de toutes sortes de pieds de différentes formes et matières accrochées aux parois, de lampes sur pied plus ou moins hauts et de projecteurs variés, soit de lumière blanche soit couvertes de gélatines rouges. A terre à côté d'elle, une boite ronde comme un emballage de bobine de film de cinéma, une boule à facette et sur une table un ordinateur sur l'écran duquel on voit une pièce (sa chambre à soi) dans une dominante orangée. Cette image se retrouve en grand après qu'elle se soit levée et ait mis en marche un autre vidéoprojecteur qui se projette sur un très grand écran sur l'arrière de la scène.



Elle démarre alors une ronde folle où elle explore tous les recoins de la scène et du décor, de bas en haut, même la charpente, s'approchant des papiers, gélatines et autres objets, la boule à facette qu'elle fait rouler sur la scène,  une autre, découverte dans ce qui est un genre de réserve sur le côté droit de la scène. Elle met en route des ventilateurs qui donnent vie aux objets, feuilles et couvertures de survie argentées disséminées sur la scène, faisant scintiller une autre boule à facette sur un projecteur, jouant avec la lumière. Cette lumière qui n'arrête pas de changer, passant du plein feu au noir, éclairant des parties du décor, des pans isolés, son corps prenant des poses hiératiques. Elle se filme et filme des accessoires dans un élan vertigineux, entraînée par sa petite caméra attachée à sa main, passant du détail à une vue large de la scène, ou à ses mains, ses bras, son corps. Elle prend le dessus à un moment précis où elle se lance dans une ronde de derviche puis en posant la caméra à terre pour rouler au sol, mais on se rendre compte dans la fin de partie que la caméra, elle, ne l'a pas lâchée... Puis elle l'abandonne définitivement pour se mesurer à son propre corps qui se met en pause ou en pose distancié, qui se dévoile et s'affirme et s'emporte aussi, se retrouvant diffractée, multipliée, soit en ombre chinoise, soit en image projetée reprise en direct ou à partir d'images vidéo préalablement enregistrées sur les multiples surfaces aux quatre coins de la scène.




Les objets aussi prennent vie, d'une certaine manière comme dans le film Der Lauf der Dinge, mais sans les interactions. Elle pose une minuscule reproduction de la table, cette "table à soi", se réappropriant son nom (Mesa = table en portugais) et essayant de se retrouver dans le contexte du confinement où beaucoup ont expérimenté ce face à face avec soi-même. Elle, elle a aussi expérimenté la relation à distance à sa mère et des bouts de spectacle intimes (la danse des mains) dont elle nous gratifie également. Mais le corps s'est libéré et prend l'espace. Cet espace qu'elle remplit et surcharge, qui déborde de sa présence généreuse. Et qu'elle nous offre en plus dans une présence- absence lorsqu'elle prend congé et nous passe le film qu'elle a tourné au début de la pièce. Mais adepte des répétitions, comme pour l'intro tronquée d'une chanson des Doors (?) "When the music's over ?"), elle nous offre un puis deux puis trois, puis quatre épilogues où elle dialogue avec Siri comme une femme sur la lune, elle nous annonce la fin: "C'est la fin?" et elle nous dit "Pas encore" avant de faire voler ses objets inanimés qui rejoignent le public avant le "stop" final.


La Fleur du Dimanche