vendredi 17 janvier 2025

L'année commence avec Kotsali et Hasegawa à Pôle Sud: Le corps pris et le corps fragmenté, douleur et tristesse

 Deuxième soirée du Festival l'année commence avec elles à Pôle Sud. Après Les Idoles et Mathilde Monnier (voir mon billet précédent), toujours une soirée en deux temps avec la grecque Chara Kotsali et la japonaise, installée à Strasbourg Akiko Hasegawa.


To be Possessed de Chara Kotsali


Elle est debout, nous tournant le dos face à un très grand panneau couvert d'affiches noir et blanc déchirées dont on n'arrive pas à discerner ce qu'elles représentent. En jean et chemise sombre, trois grands socles blancs l'entourent, avec dessus une bassine, une trompette et un genre d'électrophone et un micro. Elle va, dans une attitude un peu raide s'approcher de cet engin et en sortir des percussions pour lancer la musique. 


To be Possessed - Chara Kotsali - Photo: Pinelopi Gerasimou


Elle reviendra souvent à cette installation sonore qui lui offre à la fois du sens et du rythme, des boucles sonores, des effets aussi où, quand elle entoure le micro de ses mains, elle va "étouffer" le son des voix diffusées. Les voix, un partenaire de première importance, en fait le sujet même de ce spectacle To be possessed où justement la question de la possession - et les voix qui sortent d'un possédé - est centrale. C'est aussi ce que cachait ce mur d'affiches qu'elle va réactiver par petites touches comme on essaie de faire ressurgir de la mémoire des épisodes oubliés. En l'occurrence quand le corps n'est plus maître de lui-même. Tout au long du spectacle vont ainsi apparaître et se faire recouvrir des photos en noir et blanc dont elle reconstitue pièce à pièce la présence visible de phénomènes dont nous comprenons qu'ils sont insolites. 


To be Possessed - Chara Kotsali - Photo: Pinelopi Gerasimou


La bande son nous fait entendre des témoignage (en différentes langues avec traduction au dessus de ce mur) de personnes qui parlent de ce phénomène. Révélant quelquefois que ces moments de possession sont "sans images" mais que le son, les voix (qui parlent) sont là. Et Chara Kotsali nous fait une étrange et impressionnante démonstration de ces voix qui "prennent corps" en elle. Son corps à elle est aussi littéralement "possédé" autant dans ses gestes qui prennent la forme de mouvements incongrus, saccadés, limités et entravés, irréels, à la limite de la transe - qui va culminer dans un cercle magique final - que par ce qui sort de sa bouche, parfois surprenants. 


To be Possessed - Chara Kotsali - Photo: Pinelopi Gerasimou


Le spectacle nous fait vivre au plus près, autant par la performance physique époustouflante de Chara Kotsali que de ses performances musicales, le montage et le mixage sonore des documents que par la musique de Jeph Vanger et Furiosa de Dimitra Trypani qui nous emportent dans cette tempête de "dépossession" de nous-même qu'est ce spectacle déstabilisant. Un "inquiétante étrangeté". 


Kanashimi de Akiko Hasegawa


Akiko Hasegawa est une danseuse bien connue à Strasbourg et à Pôle Sud qui présente souvent son travail et soutient ses créations, dont sa précédente pièce Haré Dance où elle parlait de la joie, en s’appuyant sur les rituels festifs de la culture japonaise. Avec cette nouvelle création, Kanashimi, c’est la tristesse qui devient le sujet de réflexion. Réflexion qu’elle veut collective en sollicitant des personnes pour lui soumettre des titres de chansons qui leur rappellent ce sentiment. 


Kanashimi - Akiko Hasegawa - Photo: Anais Baseillac


Et c’est avec Aline Zeller, une violoniste avec laquelle elle avait déjà réalisée une performance qu’elle travaille une trentaine de titres qui font le fil du spectacle. Akiko Hasegawa justifiant le violon comme le son qui lui fait penser à la tristesse. Le violon d’Aline arrive rapidement, tout nu puis amplifié et avec de multiples effets et nous nous amusons à faire un blind test sur des morceaux quelquefois réduits à quelques accords. Le souvenir d’airs ou de chansons qui nous rappellent ces moments de nostalgie ou de tristesse nous éloigne involontairement de la chorégraphie dépouillée et sobre, ponctuée de sorties de plateau pour changements de costumes. 


Kanashimi - Akiko Hasegawa - Photo: Anais Baseillac


Il est vrai que l’on y retrouve un vocabulaire simple et naturel, balançant entre la danse moderne – avec une relecture personnelle de la pièce Lamentation de Martha Graham – où la danse est nature et sans fioritures, et les racines japonaises, plutôt sobres pour ne pas dire statiques, avec des poses d’implorantes au sol mais aussi quelques bonds de sorcières. 


Kanashimi - Akiko Hasegawa - Photo: Anais Baseillac


Le violon ne s’aventure pas dans les contrées tsiganes ou barbares et reste sage avec Brel, Ferré, Purcel (Cold Song), Piaf, et d'autres et c’est à la fois une surprise et un moment d’émotion quand, plein feux (alors que durant le spectacle quelques fenêtres aveugles essayaient de faire un peu de lumière), sur un air de samba qui amène la chorégraphe à se déhancher, le final se fait sur une chanson de Gilbert Bécaud. Et c’est la "Catharsis"» d’Aristote qui fait son effet – ou plus prosaïquement, la prolactine. 

Et, sachant que l’ami que l’on a perdu ne reviendra plus, on suit le conseil qu’il nous a donné :

"Vous ne pleurerez pas, vous lèverez vos verres

Et vous boirez pour moi à mon éternité

Même si "Qu'elle est lourde à porter, l'absence de l'ami ".

..


La Fleur du Dimanche


To be Possessed 


Pôle Sud le 17 et 18 janvier 2025

distribution

conception, chorégraphie, interprétation : Chara Kotsali | dramaturgie : Dimitra Mitropoulou | conseil artistique : Periklis Pravitas | création musicale et sonore : Jeph Vanger | composition musique originale « Furiosa » : Dimitra Trypani | création lumière : Eliza Alexandropoulou | assistante chorégraphe en tournée : Katerina Spyropoulou, Dimitra Mitropoulou | musicien en tournée : Aliki Leftherioti | responsable technique en tournée : Stavros Kariotoglou – Onassis Stegi | management de tournée : Christina Liata – Onassis Stegi -  photo : Pinelopi Gerasimou


Kanashimi


Conception et danse : Akiko Hasegawa
Violon : Aline Zeller
Montage son : Akiko Hasegawa, Aline Zeller, Marine Angé (2ème Partie)
Lumière : Ondine Trager
Régie son : Hugo Divetain
Discussion autour de Lamentation : Christophe Jeannot, Penny Diamantopoulou
Chargée de production : Perla Basséras-Fortin 

Production : Association KOKO
Coproduction : POLE-SUD CDCN – Strasbourg
Avec le soutien du Grand Studio – Bruxelles, Onassis Stegi – Athènes et l’Abri – Genève dans le cadre du Réseau Grand Luxe et du Théâtre du Marché aux Grains – Atelier de Fabrique Artistique – Bouxwiller.
L’Association KOKO est subventionnée par le Ministère de la culture – DRAC Grand Est au titre de l’Aide au projet chorégraphique.
Remerciements à Arnaud Zeller pour l’enregistrement de Mother, Rémi Zeller pour l’arrangement de Aka tombo et à tous celles et ceux qui ont contribué aux collectes des musiques de Kanashimi.

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