samedi 14 septembre 2024

Tempus Muliebre au Festival Voix et Route Romane: la voix des femmes chante la révolte

 Le Festival Voix et Route Romane après un parcours dans la plaine d'Alsace (et une étape "sans voix" mais pleine de "souffle" à Surbourg - voir mon billet du 8 septembre) fait une dernière étape à Strasbourg à la chapelle Saint Etienne avant de s'achever ce dimanche à Rosheim avec un programme consacré aux premiers chants liturgiques - et même les Odes antiques d'Homère - par l'ensemble Per-Sonat dirigé par Sabine Lutzenberger. Pour ce concert, Tempus Muliebre, littéralement le "temps de la femme" qui s'inscrit totalement dans la thématique de cette année "Les Ménest'Elles", ce n'est pas seulement une voix de femme venue du Moyen-Âge, l'une des plus célèbre d'ailleurs, Hildegarde de Bingen, qui est à l'honneur, mais ce sont aussi les voix de femmes bridées ou emprisonnées d'aujourd'hui, en particuliers dans les pays du Moyen-Orient comme l'Iran ou l'Afghanistan. 


Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker


Et pour accompagner les voix d'aujourd'hui - et également celles venues des temps anciens - c'est une très judicieuse initiative du festival que d'avoir sollicité un duo qui a travaillé d'un côté le texte, la dramaturgie et d'un autre créé arrangé la musique pour un programme très cohérent. Elisabeth Kaess, en sélectionnant et ordonnant des textes, chants, lettres et poèmes d'Hildegarde de Bingen et, en contrepoint contemporain, des paroles et poèmes de femmes d'aujourd'hui, crée un cheminement qui s'ancre au profond dans le coeur et les sentiments de la femme et de ses désirs et ses rêves, de la nature mais aussi pour exprimer son désespoir et ses révoltes. C'est Gualtiero Dazzi, compositeur contemporain, vivant à Strasbourg, qui a composé pour un ensemble d'instruments à cordes s'approchant de la sonorité des instruments anciens quelques-uns de ces textes. Le TioPolycordes avec Florentino Calvo à la mandoline, Sandrine Chatron à la harpe et Jean-Marc Zvellenreuther à la guitare interprètent ainsi ces création contemporaines ainsi que des arrangements de airs de Hidegarde de Bingen avec brio. 


Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker


L'ensemble Discantus dirigé par Brigitte Lesne interprète ce spectacle musical qui nous mène des berges du Rhin aux montagnes d'Iran et d'Afghanistan. Alternent les polyphonies en déchant (discantus) anciennes, rythmées par des cloches à main de différentes hauteurs et des airs anciens arrangés également par Gualtiero Dazzi avec les compositions contemporaines dans une très belle unité de ton. Et l'on passe du latin aux langues orientales ou au français sans hiatus - avec une traduction sur l'écran des songes de Véronique Thiéry-Grenier dont j'ai parlé la semaine dernière. 


Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker


Quelquefois Brigitte Lesne nous récite un lettre de Hidegarde de Bingen ou les paroles des femmes afghanes ou le poème du gamin des rues de Delphine Minoui. Les textes s'entrecroisent, les airs reviennent, comme ce Me voici femme de Sedâ Soltâni et Zahrâ Moussavi, introduit par le tambourin énergique de Brigitte Lesne. L'on passe avec délice de la licorne aux fleurs nées sans semence à un canari sur l'épaule, mais l'on ne perd pas de vue les souffrances et les privations. 


Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker


Et ni Hildegarde de Bingen tançant les rois et les évêques, ni les femmes afghanes et iranienne - Forough Farrokhzad qui dénonce les "démons du mensonge" dans une texte poétique en allitérations entre feu, fleuve et forêt et Bahâr Sa'id qui constate l'hypocrisie - "Pourquoi porterais-je sur ma tête le poids de tes faiblesses" - ne mâchent leur mots pour s'opposer au pouvoir qui les soumet, car "comme le soleil, je brille derrière le rideau", et Mâhrokh Niyaz vitupère "maudites soient tes pensées courtes comme ta barbe longue"


Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker


Les interprètes de l'ensemble Discantus nous enchantent réellement pendant plus d'une heure et demie avec les belles voix de Cécile Banquey qui chante et co-dirige l'ensemble, Christel Boiron, Catherine Sergent et tout particulièrement Maud Haering avec sa superbe de soprano qui va chercher les étoiles au-dessus de nos têtes. 


Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker


Les trois membres du TrioPolycordes font un beau et doux écrin à ces chants qui nous transportent vers le divin en accompagnant et ponctuant les airs chantés. se permettant quelques intermèdes ou une petite envolée avec des cordes plus nerveuses, rapides et enlevées sur le poème O rumor Sanguinis:

O rubor sanguinis

O pourpre sang,
qui s'écoule des sommets
touchés par la divinité,
tu es une fleur,
que le souffle hivernal
du serpent
ne peut flétrir. 

Voix et Route Romane - Discandus - TrioPolycordes - Photo: Robert Becker



Ces voix de femmes, celles d'aujourd'hui qui réveillent celle d'hier et renouent avec un mouvement d'émancipation et de libération, dans un geste artistique créatif et original est totalement inscrit dans notre temps. Ce concert, par sa qualité et son partage ne peut que contribuer à la prise de conscience et la connaissance. Les voix brisent le silence tout en nous enchantant. Très belle initiative.


La Fleur du Dimanche 

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