S'arrêter, faire une pause, laisser passer le temps pour mieux le sentir, sentir le présent, sentir la présence, être présent, là dans l'instant totalement. Le sentir, l'instant, intensément, au moment où il passe.
Je vous avais préparé des réflexions d'actualité mais finalement, je laisse filer, cela arrivera à temps, d'autant plus que la thématique du temps lancée le 3 janvier ici même n'est pas (dé)passée....
Je vais en TVA vous parler du spectacle vivant, sujet d'actualité, Art qui nous manque douloureusement et qu'un comédien, qui vient de sortir un livre, nous fait sentir au plus près.
Mais place à la photo - je ne dis pas fleur parce que cette fleur est devenue fruit et même symbole, un peu sapin de Noël, et elle va bien avec le titre, ce temps suspendu, cette attente....
Quand va-t-elle tomber, vont-elles tomber? Isaac?
Pommes ... du temps de Noël .. suspendues - Photo: lfdd |
Donc, je disais, Nicolas Bouchaud, grand comédien que nous avons pu voir de nombreuses fois au TNS, puisqu'il y est "artiste associé", à l'occasion de la parution de son livre "Sauver le moment" parle de son métier dans une interview dans le Monde du 23 janvier 2021 intitulée "Jouer, c’est inventer du temps". Pour commencer, il explique l'origine du titre de son livre: c'est une expression de Serge Daney qui qualifie le cinéma de John Ford dans son livre "La Loi du Marcheur" où il dit:
"Ford filme si vite qu’il fait deux films à la fois: un film pour conjurer le temps (en étirant les récits par peur d’en finir) et un autre pour sauver le moment (celui du paysage, deux secondes avant l’action)."
Ce qui, chez John Ford, dans le film "sauve le moment", c'est pour Serge Daney ceci:
"On sort d’une cabane ou d’un plan et il y a là des nuages rouges au-dessus d’un cimetière, un cheval abandonné dans le coin droit de l’image, le grouillement bleu de la cavalerie, le visage bouleversé de deux femmes: ce sont des choses qu’il faut voir tout au début du plan, car il n’y aura pas de deuxième fois."
Parce que pour regarder un film de John Ford il faut avoir "l'oeil vif":
"Impossible de regarder un film de Ford d’un oeil torve. L’oeil doit être vif parce que, dans n’importe quelle image d’un film de Ford, il risque d’y avoir quelques dixièmes de seconde de contemplation pure juste avant que l’action n’arrive."
Et donc, ce qui chez Nicolas Bouchaud "sauve le moment", ce peut être:
"Ces moments suspendus que l’on peut vivre au théâtre, quelques secondes avant l’action, c’est une des plus belles choses qui soient, je trouve. Je l’ai vécu, en compagnie de Norah Krief, quand nous jouions Le Roi Lear dans la cour d’honneur du palais des Papes, à Avignon, en 2007. Juste avant la scène de la tempête, nous ménagions un petit moment de silence. Cette pause, ce suspens donnent une extraordinaire sensation du temps à l’acteur comme au spectateur. C’est très concret, absolument pas théorique.
Cette faille dans le temps, ce temps que l’on éprouve sur scène et dans la salle, c’est ce que j’appelle un « reste », quelque chose qui nous appartient en propre: c’est le temps de l’expérience. Un temps d’ouverture, un temps de rien, sans action, où l’on sent, au sens propre, la vie qui passe."
Et à propos du "jeu", Nicolas Bouchaud précise:
"Si ce que l’on cherche à atteindre sur un plateau ce sont des moments d’intensité de vie, on ne peut pas se mettre dans une position de sagesse, de sachant. Etre à l’endroit de la vie, c’est être à celui de la métamorphose, et donc se laisser traverser par des états et des émotions contradictoires. Cela rejoint Brecht, d’ailleurs, qui disait qu’un acteur peut jouer deux choses complètement opposées dans une même phrase."
Et il précise ce qu'est la "présence du comédien" pour lui, comment il y est arrivé:
"La première chose qui se manifeste chez un être humain qui monte sur un plateau, c’est la fragilité. La présence, c’est peut être d’accepter cette fragilité et d’en faire un élément de son travail. Il y a autant de façons de jouer que d’acteurs, et la présence, c’est sans doute accepter d’apparaître, soi."
Je vous laisse lire le reste de l'article en ligne et vous offre la conclusion avec la question de Fabienne Darge:
"Est-ce là la grandeur et la misère du métier, pour vous?
- C’est sa grandeur, sans la misère. Justement parce que ce temps éphémère que l’on crée et que l’on vit en tant qu’acteur est d’autant plus intense qu’il s’enfuit au moment où on l’éprouve."
Pommes ... du temps de Noël .. suspendues - Photo: lfdd |
Mais dites-moi, le temps, suspendu, ça ne vous rappelle pas quelque chose, quelqu'un ?
Si, là: Le Lac, Lamartine,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges
Jeter l'ancre un seul jour ?
Ô lac ! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,
Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre
Où tu la vis s'asseoir !
Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.
Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé frappèrent les échos ;
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots :
" Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
" Assez de malheureux ici-bas vous implorent,
Coulez, coulez pour eux ;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;
Oubliez les heureux.
" Mais je demande en vain quelques moments encore,
Le temps m'échappe et fuit ;
Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore
Va dissiper la nuit.
" Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;
Il coule, et nous passons ! "
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux.
Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés.
Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,
Tout dise : Ils ont aimé !