vendredi 10 octobre 2025

Prendre Soin d'Alexander Zeldin au TNS: La nuit nuit mais le ballet des âmes rapproche les corps

 Quand on va voir Prendre Soin d'Alexander Zeldin au TNS, on s'attend à voir un hôpital ou un EHPAD ou une institution équivalente. Mais ce qui s'offre à notre vue, ce sont les murs bien sales et défraichis de ce qui ressemble à un hall d'usine, les carreaux aux murs n'étant plus vraiment blancs. Et on s'interroge un peu sur le sens du titre. On constate la disproportion de l'espace par rapport aux humains qui vont s'y retrouver avec la table et les chaises qui y sont presque collées au mur du fond. 


Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et le ballet des humains qui rentrent, et éventuellement ressortent dans ce hall esquissent, sans aucune parole, les personnages que l'on va suivre: l'un, un peu enveloppé entre par les deux grands battants du fond, il prend un livre mais ne reste pas, il sort par une petite porte à gauche. Une femme entre par le rideau de rubans à droite et, semblant découvrir le lieu, le traverse et commence à l'occuper, une autre ose à peine rentrer. Ce ballet parfaitement millimétré construit les personnages sans qu'aucun mot ne soit au départ prononcé. 


Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et quand la parole advient avec l'arrivée de Nassim, le chef d'équipe, on se rend tout de suite compte que ces personnes sont des numéros de dossiers, des invisibles, des intérimaires de la nuit, échangeables et jetables, des "technicien.ne.s de surface". Mais tout l'art d'Alexander Zeldin sera de peindre, ou de construire de manière, à l'image des sculptures de Duane Hanson, ces "figures hyperréaliste du travail" avec, grâce au mouvement et au langage (réduit à l'essentiel), des êtres de chair et de sang, avec des histoires et des trajectoires personnelles, habitées par des sentiments et une fierté d'âme. Quelque soit le personnage.


Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


On y voit à l'oeuvre, observés avec lucidité les mécanismes d'assujettissement et de contrainte dans cette micro communauté, dans le métier d'intérimaires de nuit du nettoyage. C'est acerbe, quelquefois tendre, quelquefois humoristique, ou drolatique (le test de la balayeuse mécanique démesurée, elle aussi), carrément surréaliste (l'entretien d'évaluation), mais plein d'attention et d'humanité, avec tous ces travers. Les comédiens sont impeccable, Nabil Berrehil en Nassim, le chef d'équipe faussement empathique et autosuffisant, Patrick d'Assumçao (dont on avait apprécié le personnage duel et intrigant dans le film l'Inconnu du Lac) qui navigue entre sympathie, fragilité et concupiscence, Charline Paul en Suzanne, discrète et effacée dont on se demande si elle cache son jeu, mais qui est capable de fulgurances (étonnantes), Lamya Regragui en Louisa qui se carapace et se protège mais craque quand même et Juliette Speck en Esther, le maillon faible du groupe mais qui ne manque pas de courage.

 

Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et, fantôme de ces fantômes, Bilal Slimani, incarnant celui qui à priori n'existe pas et qui tient pourtant désespérément à exister. Les situations sont très justement décrites, Alexander Zeldin ayant déjà fait tout un travail d'enquête pour la pièce qu'il avait créée dans la cadre de sa trilogie Les inégalités, Beyond Caring. Et il a, pour l'adapter au contexte français, complété le travail auprès des entreprises en France, plongeant les comédiens et comédiennes dans la réalité du métier du nettoyage. Le ballet des hommes (et des femmes) et des machines ou leur chorégraphie des sentiments humains avec essais de rencontres, tergiversations, esquives ou évitements est magnifiquement observé - et transposé - par l'assistante d'Alexander Zeldin, Kenza Berrada, qui a travaillé avec Elsa Wolliaston.


Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Ce petit monde prend corps - et fait corps - au fur et à mesure, alors que la tension croît, que les stratagèmes se montent et les faiblesses affleurent, mais également les solidarités, avec de beaux moments d'entraide. C'est observé au scalpel, comme l'autopsie d'un désastre, cet univers qui broie l'homme et la femme, symboliquement dans cette boucherie industrielle qui finit par exposer ses boyaux et son sang qui recouvre tout, dévorant, tel un ogre insensible, ceux qui y travaillent. 


Prendre Soin - Alexander Zeldin - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


La pièce fait penser, en plus clinique, au livre de Joseph Pontus A la Ligne - Feuillets d’usine. Et la représentation, dans un réalisme cru (à l'image de la lumière crue de Marc William qui baigne d'une même froideur de néon la scène et la salle pour nous y inclure)  nous fait aussi penser au cinéma social anglais de Ken Loach, la proximité des corps en plus.


La Fleur du Dimanche    


Au TNS du 7 au 17 octobre 2025

Les représentations du 16 et du 17 octobres sont surtitrées en Anglais et en Géorgien.

Tournée
23–26 octobre 2025 : Teatro Metastasio, Prato [Italie]
30–31 octobre 2025 : Teatro Due, Parme [Italie]
12–13 novembre 2025 : Le Volcan — Scène Nationale du Havre
23–24 novembre 2025 : Crossroads Festival, Prague [Tchéquie]
5–6 décembre 2025 : De Singel, Anvers [Belgique]
11–12 décembre 2025 : Théâtre Populaire Romand, La Chaux de Fonds [Suisse]
26–28 février 2026 : Culturgest, Lisbonne [Portugal]
18–22 mars 2026 : Les Célestins, Lyon
4–12 juin 2026 : : Théâtre de la Ville – Les Abbesses, Paris, dans le cadre de Chantiers
d’Europe


[Texte et mise en scène] Alexander Zeldin
[Avec] Patrick d’Assumçao - Philippe, Nabil Berrehil - Nassim, Charline Paul - Susanne, Lamya Regragui - Louisa, Bilal Slimani - Mahir, Juliette Speck - Esther
[Collaboration à la mise en scène] Kenza Berrada
[Scénographie et costumes] Natasha Jenkins
[Assistanat aux costumes] Gaïssiry Sall
[Lumière] Marc Williams
[Son] Josh Grigg
[Assistanat au son] Antoine Reibre
[Mouvements] Marcin Rudy
[Coach vocal] Hippolyte Broud
[Coordination d’intimité] Claire Chauchat
[Régie générale] Léo Garnier
[Régie lumière] Léo Garnier et Erwan Emeury
[Régie son] Victor Koeppel
[Régie plateau] Vincent Rousselle
[Régie costumes] Noémie Reymond
[Direction de production] Marko Rankov
[Administration de production] Émilie Oudet (Cyclorama)
Et l’équipe technique du TnS 
[Régie générale] Antoine Guilloux, Marie-Lou Poulain 
[Régie plateau] Alain Meilhac, Abdelkarim Rochdi, Denis Schlotter 
[Machinistes] Jean De Luca, Margaux Fabre 
[Régie lumière] Christophe Leflo de Kerlau, Lou Paquis, Sophie Prietz  
[Électricien] Justin Timmel 
[Régie vidéo] Ludovic Rivalan, Xing Wei 
[Régie son] Maxime Daumas, Sébastien Lefèvre 
[Accessoires] Anne Joyaux, Clothilde Valette 
[Habilleuses] Camille Fuchs, Selma Kalt 
[Régie des titres] Jean-Christophe Bardeaux
Le décor est réalisé par les ateliers du TnS.
Production Compagnie A Zeldin
Coproduction Théâtre national de Strasbourg ; Fondazione Teatro Metastasio, Prato ; Théâtre des Célestins ; Le Volcan - Scène Nationale du Havre
L’administration de la Compagnie A Zeldin et la production exécutive de ses spectacles sont assurées par Cyclorama.
Alexander Zeldin est artiste associé aux Théâtres de la Ville de Luxembourg.
La compagnie A Zeldin est conventionnée par le Ministère de la Culture / Direction régionale des affaires culturelles Ile de France.
Avec le soutien de la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale pour les représentations surtitrées dans ta langue.


dimanche 5 octobre 2025

Dance Marathon Express de Kaori Ito au TJP: De l'énergie, de la vitalité, du sacrifice

 Le marathon c'est de l'énergie, une course, une trajectoire et de la durée. C'est aussi un certain état de corps, de la dépense, de l'épuisement, de la fatigue, une épreuve. Historiquement, un marathon c'est une très, très longue course pour annoncer une victoire (en Grèce il y a plus de 2.500 ans) et aux Etats-Unis, les marathons de danse se développent à la fin des années 20, au moment de la Grande Dépression, et on y assiste à des compétition de danse de couples qui peuvent durer des jours, ceux qui tiennent le coup empochant des primes.


Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖


Le spectacle de Kaori Ito au TJP, Dance Marathon Express, s'appuie bien sûr sur cette idée de compétition, comme dans la Break Dance ou les compétitions de chansons ou de danse. Il y a même un combat de catch chorégraphié avec humour. Mais le moteur essentiel du spectacle, qui lance le rythme, c'est la danse, toutes sortes de danses, au Japon, à travers le siècle qui vient de passer. Le récit se fait par un retour en arrière avec le contexte qu'on nous présente en commentaire et qui nous permet de découvrir les différentes vagues et modes de musique et de danse qui ont traversé la culture du pays, avec, en éclairage, le contexte culturel, économique et politique lié à ces changements. Et cela d'un manière simple et claire, dans une dramaturgie sans point mort, à couper le souffle, comme dans un marathon. 


Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖


Dès le premier tableau, les huit danseuses et danseurs, cinq japonais et coréen et trois européens, dans de magnifiques costumes créés par Aya Kakino, nous éblouissent par des démonstrations de danses, du classique au contemporain en passant par des acrobaties, du cirque, de la gestuelle break dance ou de robot ou plus romantique. Chaque interprète se construit son caractère tout en collaborant à une dynamique pour le groupe. C'est d'ailleurs par une chorégraphie de groupe que l'on commence à remonter le temps pour l'année 2010 où tout s'accélère encore et où l'on est emporté par le tourbillon. On plonge dans la fin des année 1990 avec une superbe interprétation à couper le souffle de Léonore Zurfluh du tube planétaire I Will Alvays Love You de Whitney Houston. Cette pause "émotion" offre au reste de l'équipe une judicieuse parenthèse "changement de costumes". 


Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖


Il faut avouer que les suivants - et ils sont nombreux - passent totalement inaperçus et à chaque fois nous sommes émerveillés par leur beauté et leur justesse, que ces soient des tenues discos, des vêtements colorés et fleuris de la période "Peace and Love", des vestes à paillettes tout à fait rock n'roll, ou plus sérieux à l'époque des danses de couples. Pour en arriver, au début du siècle dernier, à l'époque où s'enracine le récit qui émerge au fur et à mesure de ce parcours rétrospectif: ce récit de sacrifice de l'auteur Kenji Miyazawa, à ces costumes sobres et noirs des paysans qui dansent en rond, pieds nus, une danse de fertilité. Le récit de sacrifice et de rédemption est une ligne à suivre dans le contexte de pauvreté et de misère - même pas de chocolat - qui a engendré les kamikazes et les kaitens (hommes-torpilles). Et le pays s'est raccroché, suites aux désastres de la guerre contre les Américains, et la Corée, aux chansons et aux danses, qu'elles soient autochtones, comme avec Shizuko Kasagi, devenue la "reine du boogie woogie" d'après guerre, de France avec Edith Piaf entre autres ou plus tard les musiques venues d'Amérique. Un enchainement de superbes chansons donc, qui font la formidable bande son du début de ce spectacle.


Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - ©大洞博靖


Ce voyage qui remonte le temps pour plonger dans la culture et l'âme nipponne se construit aussi avec un "lieu" insolite et inattendu, les toilettes. Le lieu où les danseurs font étape, pour différentes raisons, pour se reposer, s'isoler, se retrouver seul(e) avec soi-même, dans sa bulle, tranquille et invisible. C'est là aussi que l'on peut lire et s'évader ailleurs sans se faire déranger, et là où l'on va trouver, dans les toilettes, le livre de Miyazawa Les pieds nus de lumière. C'est là qu'on lira les premières phrases de ce livre grâce auxquelles vont se matérialiser les personnages. Ceux-ci prendront le relais de la fête pour nous emmener dans un voyage dans la montagne, les brumes et la neige. Un voyage initiatique où l'on va comprendre le monde d'alors où les règles, même si elles semblent cruelles, seront  acceptées parce qu'elles annoncent avec bonheur et espérance un monde meilleur. 


Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - Photo: Anais Baseilhac


Kaori Ito, avec l'assistance d'Adeline Fontaine, arrive, à l'instar du livre de Kenji Miyazawa, à nous embarquer dans un récit lucide et une analyse simple mais efficace d'une culture et d'un pays en insufflant une dynamique à ce spectacle dont le rythme dans faille nous accroche. Et son choix des danseuses et des danseurs - certain(e)s avec qui elle a l'habitude de travailler - et avec lesquel(le)s elle a travaillé un certain temps, entre autre au Kanagawa Art Theater de Yokonawa - est judicieux. L'idée de mélanger des artistes venus de pays différents, ne sachant pas parler la langue de l'autre a aussi permis d'approfondir le dialogue corporel. Et il faut surtout noter la grande qualité de ces interprètes, chacun dans son style de danse (dont la danse du singe), mais aussi capable d'être acteur et de dire son texte et de chanter - une mention à Yu Okamoto et sa voix qui monte haut pour interpréter un magnifique tube japonais. 


Dance-Marathon-Express - Kaori Ito - Photo: Anais Baseilhac


Par la grâce de ces multiples qualités, la petite troupe nous embarque sur un rythme tonitruant à un très beau panorama de la culture musicale d'un pays pour nous introduire dans le mystère des récits ancestraux, basculant d'un univers vers un autre, dont l'un et l'autre s'éclairent d'une lumière réciproque, la philosophie cachée du marathon de danse et les traditions séculaires d'un pays qui se construit sur la pauvreté, aboutit à une certaine idolâtrie des stars de la chanson. Au final un spectacle décoiffant et enthousiasmant à découvrir et à creuser.


La Fleur du Dimanche


DANCE MARATHON EXPRESS
Du 3 au 11 octobre
Tournée 2025
→ 15 et 16 octobre : CDN de Normandie-Rouen, les Anges au plafond, Rouen
→ 17 octobre : Théâtre de l’Arsenal, Val-de-Reuil


Distribution

Interprètes Aokid, Noémie Ettlin, Yu Okamoto, Issue Park, Rinnosuke, Sato Yamada, Ema Yuasa, Léonore Zurflüh
Direction artistique et chorégraphique Kaori Ito
Dramaturgie Keishi Nagatsuka & Améla Alihodzic
Collaboration artistique : Adeline Fontaine
Assistance à la chorégraphie Marvin Clech
Lumières Maki Ueyama, Thibaut Schmitt & ArnO Veyrat
Son Yuko Nishida & Eric Fabacher
Costumes Aya Kakino
Scénographie Kaori Ito & Anthony Latuner
Traduction et création sous-titre Ritsuko Kato
Construction Anthony Latuner
Coaching Drag Queen Bibiy Gerodelle
Régisseur général Mehdi Ameur
Production Mélodie Derotus, Hugo Prévot, Pauline Rade, Naomi Ushiyama, Chihiro Ogura
Développement Pauline Rade
Photos Anaïs Baseilhac & 大洞博靖 

samedi 4 octobre 2025

Festival Musica: Vous prendrez bien un dernier verre avec Charlemagne Palestine et KKKAAARRREEENNNIIINNNAAA

 Chaim Moshe Palestine, fils d'émigré ukrainien né à New-York en 1947, Charles Martin par la suite, puis Charlemagne Palestine, n'a rien à voir avec Charles Martel, grand-père de Charlemagne (bref, le fils de Pépin - le bref). C'est en sonnant les cloches de Saint Thomas à Manhattan, après être entré dans une chorale juive pour soigner son bégaiement, qu'il développe une relation particulière à la musique, via le chant, le carillon, l'orgue puis le piano, en créant le concept de "Son d'or" lui permettant d'élargir sa conscience et donnant d'une certaine manière accès à l'au-delà - à l'image aussi des musiques Hindustanis. Et c'est au contact des musiciens minimalistes La Monte Young (à l'origine de la musique "drone" avec son Trio for Strings en 1958), Terry Riley ou encore Philip Glass qu'il développe sa recherche musicale avec les synthétiseurs qui apparaissent à cette époque-là. Ses rencontres, autant avec la danseuse Simone Forti, ou Alan Kaprow, l'inventeur du "happening" l'amène à être autant musicien, performeur que plasticien. Il En 1987 God Bear, il réalise à la Documenta 8 à Kassel, un ours en peluche de six 6 mètres à deux corps et trois têtes. Et par la suite toute une série d'installations monumentales de peluches avec des univers "doudous". On a pu le voir en 2017 au Musée d'Art Juif à Paris et plus récemment au Frac Alsace en 2022.


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


Pour le concert de clôture de Musica, Charlemagne Palestine nous attend aussi avec ses nounours exposés dans sa valise devant sa table où il est confortablement installé. Bon, ce n'est pas le concert de clôture puisque la soirée continue dans la nuit à la HEAR et à Karmen Camina pour vraiment se terminer à Mulhouse avec une programmation sur la journée de dimanche. En n'oubliant pas le rendez-vous "Festival Mini Musica" en mars, un vrai festival avec six dates déjà programmées en 2016. Mais c'est  un peu la cerise sur le gâteau, avec cette figure incontournable, une icône presque de la musique minimaliste et qui va nous régaler de sons de drones, pas ceux qui volent actuellement au dessus des aéroports, mais ce sont, par extension ces sons longs et tenus émis par le bourdon (drone en anglais) - bourdon d'orgue ou la cloche bourdon - qui tiennent leur vibration très longtemps. 


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


Et c'est parti pour trois quarts d'heure  de musique ininterrompue pendant laquelle Charlemagne Palestine, assis devant son ordinateur est accompagné à sa droite par Oren Ambarchi à la guitare et à électronique et à sa gauche par Daniel O’Sullivan à la voix, au violon alto et à l'électronique et va nous proposer avec KKAARREENNIINNAA une recréation de Karenina, une de ses oeuvres totem crée en 1997 pour harmonium et voix de fausset. 


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker

Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


Ce sera une vraie cérémonie, lui-même trônant derrière sa table, prêt à officier, réglant les derniers détails avec ses cocélébrants puis démarrant cette longue variations de sons avec ces infimes variations et décalages, arrivant par nappes. De même, les chants d'enfant, de fausset arrivent, se répètent, se superposent. Une mélopée qui semble être une voix de femme surgit aussi et ritournelle, et le violon, qui s'y raccroche. 


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker

Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker

Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


Daniel O’Sullivan s'empare du micro et transforme sa voix, la met en écho, lui fait monter des octaves. Oren Ambarchi nous offre ses longs sons de sa guitare et de son-ses synthétiseur(s). 


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


De temps en temps, Charlemagne Palestine s'offre une gorgée et nous renvoie des sons en litanie lancinantes de voix transformées et tourneboulées. Daniel O’Sullivan remixe des sons sortis d'un petit appareil et, par la grâce de l'électronique nous offre une version angélique de son chant. 


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker

Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker

Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


Levant les yeux au ciel, nous nous croyons au Paradis des anges et en plein bonheur jusqu'à ce que que d'un geste de la main vers ses copilotes, Charlemagne Palestine annonce la fin du voyage et, son carburant épuisé, il nous laisse atterrir en douceur, entre le carillonnage céleste des anges et le romanesque de la figure d'un personnage dont nous essayons d'entrevoir dans les bourdons le destin.  


Musica 2025 - Charlemagne Palestine - KKAARREENNIINNAA - Photo: Robert Becker


Entre rêverie et transe, extase et béatitude, contemplation et élévation, ivresse et ravissement.


La Fleur du Dimanche


mercredi 1 octobre 2025

Ultimo Helecho de François Chaignaud et Nina Laisné au Maillon: La musique sud-américaine prend une belle hauteur

 Est-ce un condor qui passa dans le noir, en battement d'ailes, au début du spectacle Ultimo Helecho de François Chaignaud, Nina Laisné et Nadia Larcher? En tout cas les bruissements d'ailes nous firent lever les yeux avec raison, puisque le trio de musiciens (Rémi Lécorché, Nicolas Vazquez et Joan Marin), habillés de noir et jouant de la saqueboute (et non du trombones, car c'est la version ancienne de cet instrument) nous apparut bien en hauteur, sur une sorte de terrasse pour lancer la soirée. 


Ultimo Helecho - François Chaignaud - Nina Laisné - Photo: Nina Laisné


C'est avec loran las ramas del viento, du musicien argentin bien connu Atahualpa Yupanqui, un air qui fait pleurer le vent, que le souffle de la musique sudaméricaine s'est répandu sur la plateau du Maillon pour ce concert présenté par Musica avec les deux structures strasbourgeoises que sont le Maillon, accueillant et Pôle Sud.


Ultimo Helecho - François Chaignaud - Nina Laisné - Photo: Nina Laisné


La tonalité était plutôt, pour commencer, dans la tristesse, la mélancolie et le chagrin, les chansons populaires et baroques d'Espagne et d'Amérique du Sud choisies par Nina Laisné pour constituer le programme de la soirée parlent de la mort et d'enterrements. Mais la belle voix de ténor de François Chaignaud, et surtout la voix puissante de la chanteuse populaire Nina Larcher apportent une belle énergie dans ce répertoire. L'arrivée de Jean-Baptiste Henry et son bandonéon et du tambour, puis des percussions de Vanessa Garcia, complètent le souffle plus vivifiant qui traverse la succession des tableaux, magnifiques, qui marquent l'enchaînement des airs.


Ultimo Helecho - François Chaignaud - Nina Laisné - Nadia Larcher - Photo: Nina Laisné


Ainsi, alors que François Chaignaud démarre tout doucement en mille circonvolutions dans une danse du bâton toute en intériorité et en mouvements serpentins, lorsque les deux interprètes, danseur et danseuse, se rejoignent, ils prennent possession du plateau, soutenus par les airs qui deviennent plus énergiques. 


Ultimo Helecho - François Chaignaud - Nina Laisné - Nadia Larcher - Photo: Nina Laisné


Leurs costumes sont merveilleux, tenant de la féérie, finement brodés de tissus avec mille détails, avec par exemple leur squelette qui se transforme en fleurs tressées. Et même les sombres tenues des musiciens sont agrémentés de plastrons multicolores (bravo à Sarah Duvert et Florence Bruchon pour la conception et la création des costumes et à l'atelier de confection de costumes de Liège pour la réalisation). Les transformations ultérieures avec cape, chapeau "pouf" (entre la coiffe alsacienne et la tranche de bois) sont tout aussi surréalistes. 


Ultimo Helecho - François Chaignaud - Nadia Larcher -Photo: Heinrich Brinkmoller-Becker


La dramaturgie et le rythme donné à la pièce par Nina Laisné est impeccable. On se laisse emporter par le flot de la musique, par la magie du chant, varié, même si la tonalité est souvent à la saudade. Et même au "duende" quand, chaussant ses bottes à talon, François Chaignaud se lance dans une épique et vigoureuse démonstration de flamenco dont il se sort très bien (cela ne nous étonne pas, l'ayant vu à l'oeuvre l'an passé dans Mirlitons). 


Ultimo Helecho - François Chaignaud - Photo: Heinrich Brinkmoller-Becker


Et nous on s'en sort "par le haut", comme si on allait au ciel, avec tous les musiciens et les chanteurs, sur ce plateau-terrasse en forme de rocher surplombant ou reste de château en ruine auquel on arrive par un escalier en colimaçon, comme dans les contes de fées. Un conte auquel nous adhérons sans réticence et qui nous a transporté dans l'espace et le temps à travers danse, chants et musique pour un merveilleux voyage où la dernière fougère nous caresse la joue comme en un ultime battement d'aile. 


La Fleur du Dimanche