dimanche 26 janvier 2025

Les Contes d'Hoffmann à l'Opéra du Rhin: L'expérience de la perte pour se retrouver

 Les Contes d'Hoffmann est le premier opéra (fantastique) de Jacques Offenbach qui a fait sa renommée dans le milieu lyrique. Il est aussi un des opéras le plus joués dans le monde et est parmi les cinq le plus représentés à l'Opéra de Strasbourg depuis la guerre. Mais cela fait vingt ans qu'il n'y a plus été montré. Curieusement, ou malheureusement, ce succès, pour Offenbach, est un succès posthume, qu'il espérait connaître mais en vain. Il est mort le 5 octobre 1880, quatre mois avant la première. Il n'avait pas fini d'écrire l'opéra en entier (il n'y avait pas l'orchestration) sur le livret de Jules Barbier et Michel Carré. C'est Ernest Guiraud aidé d'Auguste, le jeune fils d'Offenbach, qui l'ont fait. D'ailleurs, Offenbach étant réputé pour réorganiser et couper des parties dans les pièces jusqu'à la première, ce n'est qu'en 2005 qu'avec l'analyse de manuscrits divers qu'une version complète et critique a vu le jour. A partir de ces éléments, la metteuse en scène Lotte de Beer a également fait sa propre adaptation, dont par exemple le choix de présenter les échanges entre le personnage d'Hoffmann et sa Muse sous une forme théâtrale et non de récitatif, gardant ainsi une dynamique d'Opéra Bouffe. L'histoire se présente sous forme d'un long flash-back où l'Acte I, le prologue et l'Acte V, l'épilogue, deux scènes où l'on assiste aux échanges entre le personnage d'Hoffmann et sa Muse enserrent les récits sur les épisodes amoureux du personnage poète et amoureux. Il l'est successivement d'Olympia, d'Antonia et de Giulietta. Et pour commencer de Stella, la chanteuse qui joue Donna Anna dans un Dom Juan présenté à côté. 


Les Contes d'Hoffmann - Jacques Offenbach - Photo: Klara Beck

La pièce, et la mise en scène joue d'ailleurs beaucoup sur la dualité et le double, les deux maîtres de la narration passant de l'avant-scène (rideau tombé et même ouvert) à la scène, dont ils dirigent en démiurge d'une certaine manière l'action, mais dont ils ne sont pas toujours totalement maîtres. Hoffmann tombant toujours, et dans ses travers, et dans une certaine malédiction ou fatalité qui fait de chaque histoire d'amour un échec. Les trois sont traitées avec des thématiques diverses et des styles différents. 


Les Contes d'Hoffmann - Jacques Offenbach - Photo: Klara Beck

Pour Olympia, ce sera l'aveuglement (même avec les lunette magiques de Coppélius) d'Hoffmann devant un automate (ici sous la forme double à des échelles opposées d'une poupée). Pour Antonia, c'est dans une ambiance plutôt fantastique et magique, "fantasmagorique", que se déroule l'histoire de la chanteuse muette qui meurt de trop bien re-chanter jusqu'à l'extase, pour son amour. 


Les Contes d'Hoffmann - Jacques Offenbach - Photo: Klara Beck

Et avec Giulietta, nous tombons dans la malédiction de l'amour où l'amant se fait voler son âme - et son ombre, son image - par la mort dans un jeu dangereux d'Eros et de Thanatos où les morts s'accumulent, de même que les "reflets" dans très une belle mise en scène.  Les décors de Christophe Hetzer apportent dans leur étrangeté une touche de surnaturel dans les effets de perspective, de perte d'échelle, d'apparition et d'escamotage subtil, tout comme la poupée créée par Jorine van Beek, également créatrice des costumes qui naviguent entre atmosphère fin de siècle et milieux troubles et dont étincelle en beauté le costume de scène de Stella. 


Les Contes d'Hoffmann - Jacques Offenbach - Photo: Klara Beck

La partition musicale, très varié, montre tout le talent de compositeur et de créateur d'opéra d'Offenbach, qui reprend en citation quelques-uns des airs de ses autres pièces. On y trouve tout autant des airs à boire que la devenue célèbre Barcarolle (Belle nuit, O douce nuit d'amour) et les solos, duos, trios et choeur mettent en valeur les interprètes et le choeur de l'Opéra du Rhin sous la direction de Hendrik Haas. Le chef Pierre Dumoussaud, à la tête de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg arrive à naviguer entre les multiples climats de cette pièce et lui donne le bon rythme, sans s'essouffler.

 

Les Contes d'Hoffmann - Jacques Offenbach - Photo: Klara Beck

Les interprètes, confrontés à des tableaux très différents, en particulier la soprano Lenneke Ruiten qui assure quatre rôles et les styles variés qu'elle doit interpréter, passant de la fougue au dramatique et à la virtuosité, est magistrale. De même le ténor Attilio Glaser en Hoffmann, avec toute la puissance de feu qu'il offre du début à la fin de cette pièce. La mezzo Floriane Hasler jongle entre ses airs chanté et ses parties théâtrale sans souci et les autres interprètes, le baryton Jean-Sébastien Bou (Lindorf, Coppélius, le docteur Miracle et Dapertutto), le ténor Raphaël Brémard (Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio) et le baryton Marc Barrard (Crespel, le tenancier Luther), Pierre Romainville (Nathanël, Spalanzani, le capitaine des sbires) et Pierre Gennaï (Hermann et Schlémil) troquent aussi aisément les rôles, les costumes et les personnages de cette distribution fourmillante. Et la mezzo-soprano Bernadette Johns fait une spectrale mère d'Antonia. 


Les Contes d'Hoffmann - Jacques Offenbach - Photo: Klara Beck

Ainsi, entre rebondissements, changements d'atmosphère et de style, successions ininterrompues d'événements en tout genre, mélodies entraînantes et pièces vocales captivantes, les aventures de ce poète désenchanté nous entraînent sur de multiples chemins mystérieux et les arcanes mouvantes de l'amour. Jusqu'à la morale finale, la voix de la raison de la Muse qui somme Hoffmann d'arrêter de s'apitoyer sur son sort et de ne s'aimer que soi-même mais de s'ouvrir à l'autre et de reconstruire avec génie à partir de sa douleur: 

"On est grand par l'amour 
Et plus grand par les pleurs."   

Tous ces ingrédients en font une représentation fort enlevée et agréable, d'une très belle tenue artistique - et de l'humour - et dont les performances des artistes et de l'orchestre sont justement saluées par le public ravi.


La Fleur du Dimanche


Les Contes d'Hoffmann


A Strasbourg - Opéra National du Rhin - du 20 au 30 janvier 2025

A Mulhouse - La Filature - les 7 et 9 février 2025

Distribution

Direction musicale: Pierre Dumoussaud
Mise en scène: Lotte de Beer
Décors: Christof Hetzer
Costumes: Jorine van Beek
Lumières: Alex Brok
Réécriture des dialogues et dramaturgie: Peter Te Nuyl
Dramaturgie: Christian Longchamp
Chef de Chœur de l’Opéra national du Rhin: Hendrik Haas
Les Artistes
Hoffmann: Attilio Glaser
Olympia, Antonia, Giulietta, Stella: Lenneke Ruiten
Nicklausse, La Muse: Floriane Hasler
Lindorf, Coppélius, Miracle, Dapertutto: Jean-Sébastien Bou
Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio: Raphaël Brémard
Crespel, Luther: Marc Barrard
Nathanaël, Spalanzani: Pierre Romainville
Hermann, Schlémil: Pierre Gennaï
La Mère: Bernadette Johns
Orchestre philharmonique de Strasbourg, Chœur de l’Opéra national du Rhin

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