La compagnie de Trisha Brown continue de maintenir son esprit et ses création après sa disparition en 2017. Celle qui avec Yvonne Rainer (dont nous avons pu apprécier la dernière pièce Hellzapopin en janvier dernier à Baden-Baden) avait fondé le Judson Dance Theater, a marqué la post-modern dance au Etats-Unis et ailleurs. En collaborant avec de nombreux artistes (dont Robert Rauschenberg) et de musiciens avec un esprit d'ouverture et de présentations de ses "chorégraphies" dans des lieux non dévolus à la danse, a aussi développé un style propre que l'on peut voir dans les deux pièces présentées à la Filature à Mulhouse Working Title (1985) et For M.G. : The Movie.
In the Fall - Noé Soulier - Photo: Delphine Perrin |
Pour la soirée, c'est une chorégraphie de Noé Soulier, la première écrite pour la compagnie par un autre chorégraphe que la fondatrice de la compagnie pièce qui ouvre le programme. Ce dernier, directeur du CNDC d'Angers a une réflexion similaire à la chorégraphe américaine sur les questions de qualité de mouvement qui ne soit pas de la danse classique ni même de la danse moderne, mais qui d'une part est un moment et un mouvement partagé par le groupe et dont le moteur est l'énergie du corps - en particulier le poids et la gravité. Avec In the Fall, le titre lui-même en indique la direction, et nous le voyons très bien dans la pièce, toute en chutes, rebondissements, équilibre, déséquilibre et rapports au sol. Les deux danseurs qui expérimentent en duo ces chutes, rebondissements, élans de remise à la verticale, que ce soit du corps ou des parties de corps, initient et développent ce vocabulaire.
In the Fall - Noé Soulier - Photo: Delphine Perrin |
Repris par deux autres danseurs, puis progressivement les huit danseurs de la compagnie (Christian Allen, Cecily Campbell, Burr Johnson, Lindsey Jones, Catherine Kirk, Patrick Needham, Jennifer Payán, Spencer Weidie), en justaucorps bleu, jaune clair ou rouge. Que ce soit en duo ou en mouvements d'ensemble, ce sera dans une fluidité parfaite que se répète et se construit cette gestuelle dynamique de ces bras et ces jambes qui essaient de se dresser, s'appuient sur le sol de différentes manières pour rebondir, ces corps qui roulent en puisant dans l'inertie pour se redresser. Cette éternelle transformation du mouvement du corps qui est sous-tendue par une bande sonore originale de Florian Hecker qui part de bruits de foule en rumeur avec un léger son aigu qui enfle au fur et à mesure et prend sa place dans l'espace.
Workin Title - Trisha Brown - Photo: Sandy Korzekwa |
La deuxième pièce, Working Title de Trisha Brown voit les danseurs de la troupe dans d'originaux et colorés costumes d'Elizabeth Cannon nous interpréter avec bonheur cette superbe pièce, toute en petits sauts, tours et détours, balancés des bras, des jambes jetés des pieds et des jambes, dans de superbes mouvements des danseurs qui se retrouvent ensemble, se portent ou se supportent dans une belle sympathie.
Workin Title - Trisha Brown - Photo: Sandy Korzekwa |
La musique de Peter Zommo, démarrant sur des sons très originaux, un peu free jazz, comme les sons graves de trombone et où arrivent des marimbas, des percussions, de l'accordéon et de la basse qui nous emmènent dans des élans de joie, joie partagée par les danseuses et les danseurs de la compagnie. L'énergie passe entre les danseurs dans une unité et une fluidité heureuse qui se transmet au public.
For M. G. : The Movie - Trisha Brown - Photo: Julieta Cervantes |
La dernière pièce, For M.G.: The Movie est une peu à part dans le vocabulaire de Trisha Brown. Dans cette pièce qu'elle a dédiée à Michel Guy, longtemps directeur du Festival d'Automne qui l'avait accueillie, le vocabulaire et la recherche du mouvement penche plutôt sur une interrogation du temps, de l'arrêt et pourrait lorgner du côté des films de expérimentaux de Marey. Un danseur s'essaye à former un huit infini sur scène, variant dans ses hésitations ou ses marches arrière, deux autres danseurs de dos semblent figés pour longtemps, mais bien sûr vont se mettre à bouger et les autres expérimentent des mouvements moins dans l'énergie que dans des gestes du quotidien, très géométriques ou ergonomiques. Les justaucorps chair nous donnent une vision presque scientifique de ces corps et des mouvement tandis que la musique d'Alvin Curran, partant de sa veine plus expérimentale, concrète se tourne vers ses opus au piano, qui apportent un peu plus d'humanité à la danse, cependant baignée par une attente une peu inquiétante.
Une soirée qui a permis de traverser trois univers complémentaires de cette danse qui n'est pas juste du mouvement mais qui a aussi une très grande qualité esthétique.
La Fleur du Dimanche
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