Dans le combat de la princesse et de l'exilé, qui va gagner? Tout au moins en musique.
Le Maillon qui présente ces deux programme du Festival Musica laisse le choix au spectateur en lui proposant la pièce sur Lady Di Queen of Hearts deux fois dans la petite salle, le vendredi 22 et le samedi 23 septembre à 19h00. Et pour la grande pièce de Ted Hearne écrite avec l'auteur et rappeur Saul William, Place, elle a sa place dans la grande salle le vendredi soir à 21h00.
Il est vrai que pour le Théâtre Musical de Jannik Giger, Leo Hoffmann, Benjamin van Bebber, Sarah Maria Sun, Jude Ellison et Sady Doyle (que de monde...) l'approche est plus intimiste à priori: une interview au plus près des sentiments de la Princesse de Galles le 20 novembre 1995 (deux ans avant sa mort accidentelle) qui révèle les pans de son intimité et ses souffrances. La mise en scène est cependant plus clinquante à part un extrait de cette interview sur un tout petit écran derrière un voile sur lequel est fixée l'image de la voiture accidenté fatale, dans laquelle la princesse se qualifie de "Reine des coeurs" (ou reine dans les coeurs de ses sujets et de la foule de ses admirateurs) et refuse de se sentir elle-même comme une Reine: "I am Queen in peoples' hart but I don't be myself a Queen". Cette séquence vient à nouveau conclure la pièce et l'on a l'impression que plein de choses se sont mélangées. C'est peut-être la volonté des auteurs, mais cela perturbe un peu de ne pas savoir si les paroles - qui basculent du l'anglais à l'allemand par exemple - sont de Lady Di, ou d'autres stars ou héroïnes du peuple comme Marylin Monroe qui apparait aussi sur les écran ou d'autres chanteuses qui doutent de leur succès et n'arrivent pas à assumer leur célébrité (Britney Spears). De même les époques et la temporalité sont allègrement bousculés et l'on se perd un peu dans un vortex temporel qui engloutit le passé de la princesse et son futur et sa mort (prédite?).
Musica - Le Maillon - Queen of Hearts Photo: Bettina Matthiessen |
La mise en scène qui fait le grand écart entre des moments de vérité et de confession intime (les doutes, les douleurs de la personne privée et ses contraintes de personnage public, les revirements et volte-face aussi dans sa conduite, son instabilité) et des scènes grandiloquentes et grotesques, parodies d'émissions de TV, dont l'autodérision annihile les effets - des moments grotesques et grand guignol ou kitsch. Alors que la soprano Sarah Maria Sun a une voix magnifique, l'on aurait aimé y goûter un peu plus et ainsi que de son talent d'interprétation dont elle aurait pu jouer avec plus de finesse et de variété. Dans le rôle de l'intervieweur, Silvester von Hösslin en fait quelquefois un peu trop. En terme de lecture, on se demande, entre autres, quel est le poids que peut avoir la malédiction d'Henri 8 qui tua ses femmes pour avoir un héritier mâle (Geschieden Gekopft Gestorben - Divorcée, Décapitée, Morte) et qui semble peser sur la jeune princesse et l'on s'interroge du rôle (intégrateur?) qu'à l'orchestre de jeunes Orchesterschule Insel lors de la cérémonie d'adieu final de la princesse, dérisoire et presque ridicule. Si la critique du poids des médias (presse et réseaux sociaux - déjà!) est évidente, la pièce en tout cas ne fait pas assez l'effort de clarifier sa position en jouant sur les clichés qu'elle dénonce dans son sujet.
La création de Ted Hearne, Place est une grande fresque musicale, tel un oratorio mêlant un ensemble classique, le collectif lovemusic strasbourgeois avec une formation plutôt rock, guitare, basse, synthé, batterie, et également synthé et électronique et aussi des samples joués par l'auteur et chef d'orchestre Ted Hearne ainsi qu'une ensemble de six solistes tous magnifiques. Une mention spéciale pour Steven Bradshaw qui assure à merveille, avec quelquefois de l'auto-tune, le personnage "blanc" qui va être confronté à la problématique de la pièce, à savoir la gentrification d'un quartier de New York dans lequel il va habiter puis le quitter, Fort Green à Brooklin, où il va, à l'instar du compositeur, côtoyer la diversité, surtout raciale et en prendre conscience, surtout prendre conscience de cette situation autocentrée des blancs en général.
Musica - Le Maillon - Place - Ted Hearnes - Saul Williams |
Noter également l'arrivée haute en couleur de Sol Ruiz et la très belle prestation de Isaiah Robinson sur les réponses qu'apporte le regard et la position de l'autre, à travers le texte de Saul William, qui dépeint la situation plutôt ignorée, sinon niée des noirs qui tentent de se faire entendre et donc sur une version du Messie de Haendel dire au lieu d'Halleluia (Dieu est béni) "Mind your business" (Occupe-toi de tes affaires). Sur cette composition qui passe volontiers d'un genre musical à un autre en de très pointus collages, laissant les instrument classiques soit crisser leurs cordes, soit laisser filer l'archer et jouer trombone, clarinette ou clarinette basse et flûte ou piccolo. Et l'on passe allègrement par de motifs répétés de samples (voix ou musicaux) ou des passages plus rocks et rythmés et des solos où les chanteuses et chanteurs dans une superbe dynamique et une belle homogénéité dans la diversité.
Musica - Le Maillon - Place - Ted Hearnes - Isaiah Sol - Ayanna Josephine - Video: Tim Brown |
Les images projetées sur le grand écran du fond nous font prendre la matière du récit, que ce soit l'environnement architectural et humain de ce récit (la misère à sa porte ou les déménagements forcés) et la réflexion qu'elle soulève que la mise en abyme de la prestation musicale ou son illustration. Une belle performance de plus d'une heure dont nous sortons, à défaut d'être plus engagé politiquement au moins satisfait de la démonstration et de la prestation qui nous a comblés.
La Fleur du Dimanche
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