C’est l’été et rien de tel pour profiter de cette période que de faire un pas de côté (ou en arrière), comme le préconise Rilke (voir plus loin).
Ou alors un pas de danse, comme ce chardon que je vous offre
en « fleur d’été » :
La danse du chardon - Photo: lfdd
Parce que cet été l’a été, ardent, comme ce chardon, sec, et
porteur d’orages en même temps.
Allons directement au sujet, c’est-à-dire au TVA
(Texte à Valeur Ajoutée) qui me pousse à publier en plein mois d’août, alors que
tout le monde est en vacances, en avance - d’ailleurs, je ne suis pas seul en
avance, les fleurs et les fruits aussi (voir la fleur suivante, photographiée
le 17 août). Je vais vous parler d’un livre découvert à la Médiathèque Olympe
de Gouge à Strasbourg – il était mis en avant sur la table des suggestions.
Mille mercis pour leur choix !
Le livre s’appelle « Le Détail du monde » - c’est drôle, d’habitude je cite souvent
des livres qui sont présentés dans le supplément Littéraire du Monde. L’auteur en est Romain Bertrand et le
sous-titre du livres est « L’art
perdu de la description de la nature ». Il est constitué
principalement de trois chapitres : 1. « La vie rêvée des
coléoptères » - 2. « Le bleu des choses » et 3. « Le
sociologue et l’oiseau ». Chaque chapitre est consacré à un personnage,
méconnu, mais qui a oeuvré pour faire
évoluer la connaissance et la science. Et surtout notre compréhension de la
nature, et notre rapport à elle. Ce qui amène, entre autres, cette citations de
Rilke à la page 236 (presque à la fin du livre) :
« Il fallut
d’abord commencer par écarter de soi les choses pour devenir capable par la
suite de s’approcher d’elles de façon plus équitable et plus sereine, avec
moins de familiarité et un recul respectueux, car on ne commençait à comprendre
la nature qu’à l’instant où l’on ne la comprenais plus; lorsqu’on sentait
qu’elle était autre chose, cette réalité qui ne prend pas part, qui n’a point de
sens pour nous percevoir, ce n’est qu’alors que l’on était sorti d’elle,
solitaire, hors d’un monde désert… […] et l’on voyait que l’on ne voulait être
rien de plus qu’une chose. »
Devenir chose, ne plus être le centre du monde, arriver à
considérer la nature, les insectes, les oiseaux, les animaux comme des
individus, tout comme les hommes, c’est le parcours poétique et scientifique
auquel nous convie ce livre en essayant d’être le plus juste et à sa juste
place. En tenant compte aussi des mots, et en prenant, avec Francis Ponge le
parti des choses :
« D’où vient
cette différence, cette marge inconcevable entre la définition d’un mot et la
description de la chose que ce mot désigne ? D’où vient que les
définitions des dictionnaires nous paraissent si lamentablement dénuées de
concret, et les descriptions, des romans ou des poèmes, par exemple)) si
incomplètes (trop particulières et détaillées au contraire), si arbitraires, si
hasardeuses ? Ne pourrait-on imagines une sorte d’écrits (nouveaux) qui,
se situant à peu près entre les deux genres (définitions et description) ;
emprunteraient au premier son infaillibilité, son indubitabilité, sa brièveté
aussi, au second son respect de l’aspect sensoriel des choses ? »
Cette question de la définition et de la description, et
donc de la différence parcourt le premier chapitre consacré à Alfred Wallace,
entomologiste amateur qui n’a pas fait d’études, mais dont la passion des
coléoptères et des papillons (il en fit son gagne-pain en collectant 125660
pièces rien qu’en Indonésie) en arriva à concevoir – en même temps que Darwin –
la loi de la sélection naturelle et de pouvoir dire :
« Pourquoi tant
de grands esprits ont-ils échoué face à ce problème [de la sélection naturelle]
alors que Darwin et moi sommes tombés sur la solutions ? […] La première -
et selon moi la plus importante - de ces correspondances, c’est que dans nos jeunes
années, Darwin et moi étions de fervents chasseurs de scarabées. »
Petite pause avec les colchiques en avance:
Colchiques dans les prés - Photo: lfdd |
Le deuxième chapitre trace le cheminement parallèle de la peinture (et du bleu dans la peinture) et de la représentation de la nature, démarrant avec les relations - semblables à un « vieux couple de bourgeois de province qui, ayant depuis longtemps cessé d’éprouver l’un pour l’autre de la tendresse, et même de l’intérêt, se contentent de mener sous un même toit, dans l’odeur de l’encaustique et du papier d’Arménie, des existences séparées - entre Louis Tinayre, peintre paysagiste (c’est lui qui fait les Dioramas « d’après nature » à l’exposition universelle de Paris en 1900, et Albert 1er de Monaco. Le prince se dit océanographe et chasse dans le monde entier. Il remplit de ses trophées les Musées et Louis Tinayre documente ses expéditions en dessinant. Le fil sera donc le bleu et son évolution ainsi que la documentation de la nature … et les « naturalisation » des trophées de chasse. Et l’on rencontrera Goethe, Ponge, Camus, Sartre, et du côté des sciences également Ernst Haeckel et ses découverstes de méduses inspirant l’Art Nouveau.
Colchiques dans les prés - Photo: lfdd |
Le troisième chapitre suit la destinée d’un autre autodidacte un peu particulier, qui continue de faire avancer à sa manière la connaissance de la nature et sa « reconnaissance ». Celui qui va initier l’éthologie et surtout qui fonde en Angleterre le premier réseau de « Birdwatchers », les ornithologues amateurs, qui vont considérer les oiseaux comme des entités avec leurs règles qui doivent être observées et décrites très précisément. En complément de cette activité, et à l’occasion, il prend entre autres la direction d’un petit commando militaire chargé de harceler l’armée japonaise en Indonésie, puis la direction du Musée du Sarawak. Il est aussi à l’origine de la sociologie, puisqu’il adapte les règles d’observation des oiseaux et les méthodes de l’ethnologie à l’étude détaillée de la vie quotidienne des classes populaires anglaises, fondant le « Mass Observation » qui a en archive plus de 3000 études de terrain. Et qu’il invente une méthode d’enquête inédite consistant à vivre la vie de ceux qu’il étudie. Son nom bizzarement ne sera pas retenu pour ces innovations scientifiques et sociales. Il s'appellle Tom Harrisson. On apprend aussi dans ce chapitre que le dessinateur John James Audubon « tirait » au moins 20 oiseaux sur le Mississipi par jour pour dessiner les planches de son livre « Birds of America » (vous avez peut-être vu le film récemment qui en raconte l'histoire).
Bon dimanche et encore bonnes vacances.
La Fleur du Dimanche
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