Le Retable d'Issenheim, véritable chef-d'oeuvre de la sculpture et de la peinture du début du XVIème siècle, était en restauration depuis 2018. Les travaux sont terminés et cette pièce maîtresse de l'art religieux, célèbre dans le monde entier, est non seulement à nouveau visible, mais elle a retrouvé un éclat inimaginable, avec des couleurs impressionnantes. La partie sculptée a été réalisée par Nicolas de Haguenau, qui avait aussi sculpté le maître-autel de la Cathédrale de Strasbourg, et Mathias Grünewald qui a peint les différents panneaux (9) retraçant la vie du Christ et deux pour la vie de Saint Antoine, le patron du couvent des Antonins à Issenheim, où il a installé à l'origine. Pour célébrer d'une manière unique cette "résurrection" le Musée Unterlinden à Colmar, où cette oeuvre est désormais présentée organise une série de manifestations qui dialoguent avec elle et la mettent en lumière.
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Musée d'Unterlinden - Le retable de Grünenwald - La tentation de Saint Antoine - Photo: lfdd |
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Musée d'Unterlinden - Le retable de Grünenwald - La tentation de Saint Antoine - Photo: lfdd |
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Musée d'Unterlinden - Le retable de Grünenwald - La tentation de Saint Antoine - Photo: lfdd |
Une des manifestations est une chorégraphie pour douze danseurs du Ballet de l'Opéra National du Rhin, adaptation de la pièce Bless, ainsi soit-il créée en 2010 en écho à la peinture murale de Delacroix dans l'église Saint Sulpice à Paris, La lutte de Jacob avec l'Ange. Bruno Bouché y voit "une allégorie du combat de l'homme face aux forces qui le dépassent". La peinture de Grünewald dépeint, elle le Christ devenu homme pour sauver l'humanité, et le combat de Saint Antoine contre le diable et ses tentations dans le but d'aider les malades venus se soigner au couvent des Antonins à Issenheim pour lutter contre le feu de Saint Antoine, ou l'ergotisme. Les douze danseuses et danseurs (Audrey Becker, Suzie Buisson, Christina Cecchini, Pierre Doncq, Ana Enriquez Gonzalez, Caué Frias, Rio Minami, Avery Reiners, Ryo Shimizu, Marwik Schmitt, Hénoc Wayenson et Dongting Xing) se positionent en trois fois deux couples entre les différents éléments du retable pour des duos alternants, à la fois fluides et dynamique, dans la proximité du toucher, entre attraction et repoussement. Dans une dynamique à la fois douce et vigoureuse, nous assitions à une simulation de corps à corps qui s'inscrit dans une relation très physique pour aboutir dans une position d'opposition à l'image de la peinture de Delacroix. Maxime Georges interprète en direct la transcription pour piano de la Chaconne de la Partita N°2 en ré mineur de Bach par Ferrucio Busoni, un vrai bonheur.
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Musée d'Unterlinden - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd |
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Musée d'Unterlinden - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd |
La deuxième manifestations est une "visite dansée" du retable par Aurélie Gandit, danseuse, chorégraphe et historienne de l'art. L'artiste s'est imprégné du retable pendant plusieurs semaines et nous propose son éclairage à la fois commenté et dansé. Vêtue en guide de musée dans un uniforme sobre et sombre, elle nous ammène à travers le cloître dans la chapelle et commence par une présentation très "visite guidée" qui repositionne le retable dans son histoire: origine, création, auteurs, techniques, contexte historique, différents lieux d'accueil, caractéristiques, etc.,... Puis les explications se mettent à hocqueter. La disposition des éléments du polyptique du retable et les épaisseur du bois lui permettent de prendre possession de l'espace et de passer de la parole au geste, minuscule (3 et 4 centimètre d'épaisseur) et à d'autres qui la dépassent (des mètres en hauteur et en largeur,...).
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Musée d'Unterlinden - Aurélie Gandit - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd |
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Musée d'Unterlinden - Aurélie Gandit - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Photo: lfdd |
Les panneaux consacrés à Saint Antoine apportent du feu et de la violence dans les gestes, avec le mal des ardents - ou ergotisme gangreneux - également appelé la danse de Saint Guy, puis s'apaise avec la visite de Saint Antoine à Saut Paul dans un paysage fantastique mais avec, aux pieds de Saint Paul toute une botanique de soin..
La visite continue avec la série de panneaux consacrés au Christ, l'Annonciation, la Nativité et le Concert des Anges, toute en sérénité, en joie et en bonheur; plein de lumière et de couleurs.
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Musée d'Unterlinden - Visite dansée pour le retable de Grünewald - Crucifixion - Photo: lfdd |
Puis, beaucoup plus sombre et tragique, la séquence de la crucifixion et de la déposition, encadrée par les Saints Sébastien et Antoine, le Christ en croix, énorme qui, comme l'a décrit Huysmans: "vous abasourdit aussitôt avec l’effroyable cauchemar d’un calvaire (…) avec ses buccins de couleurs et ses cris tragiques, avec ses violences d’apothéoses et ses frénésies de charniers, il vous accapare et vous subjugue...". Nous restons sans voix et Aurélie Gandit ne peut que nous présenter, en toute intériorité l'incarnation de l'ensemble des personnages et figures qui entourent ce Christ en croix et au tombeau, dans un profond silence et un recueillement obligé.
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Musée d'Unterlinden - Retable de Grünewald - Résurrection - Photo: lfdd |
Et on le quitte à jamais, passant de l'autre côté, là où, triomphant, il ressucite dans un cercle de lumière, seul éclairage qui baigne la scène. Cette visuite nous aura permis de ressentir au plus près, à la fois par les mots mais aussi par les mouvements et les gestes, la force qui émane de cette magnifique oeuvre d'art qui est parvenue jusqu'à nous à travers les siècle. Le passage de la parole au geste, le rythme de la présentation et l'intériorité qu'Aurélie Gandit a réussi à faire passer dans nos sensations nous ont fait toucher du doigt à l'indicible et voir l'invisible caché dans ce polytpique exceptionnel qui a rétrouvé toute sa jeunesse et son éclat.
La Fleur du Dimanche
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