Giselle, qui ne connaît pas le célèbre ballet d'Adolphe Adam, le summum du ballet romantique sur une idée de Théophile Gautier et un livret co-écrit avec Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges. Vous avez sûrement vu ou entendu ou au moins entendu parler de ce ballet qui fut le premier succès populaire pour un ballet, au point que son interprète Carlotta Grisi vit son salaire plus que tripler après l'avoir créé, le jour de ses 22 ans le 28 juin 1841. Mais attention, Giselle... de François Gremaud présenté au Maillon, si vous faites bien attention, compte trois points de suspension. De suspension, il en est effectivement question, puisque la danse est l'art du saut, de la légèreté, de l'élan vers le ciel et aussi du "porté", où les danseurs sont les faire-valoir des danseuses "sylphides" (du nom du premier ballet romantique), êtres sans corps et aérien. Et que l'on va voir quelques sauts, des déboulés, de jetés et grand jetés par la performeuse-danseuse Samantha van Wissen. Nous avons en version mimée (et même pantomimée) et dansée la matière de Giselle sans point de suspension, donc sans silence, mais avec commentaire, texte et contexte. C'est un vrai plaisir et un réel éclaircissement que d'avoir, d'abord en introduction un rappel rapide de la source de la danse (le Roi Soleil, Louis XIV, excusez du peu) jusqu'à la vraie reconnaissance de cet art qui marie musique et mouvement. Et, pour finir une très instructive "lecdem" ou lecture commentée, conférence non pas gesticulée mais vraiment dansée de ce ballet. Car Samantha est danseuse, déjà en 1992 chez Anne Teresa De Keersmaeker dans la compagnie Rosas). Ce texte est à la fois bien didactique et explicatif, mais aussi avec beaucoup d'humour et de distance avec le texte écrit par François Gremaud et qui va comme un gant à l'interprète.
Giselle- François Gremaud - Samantha van Wissen - Maillon - Photo: Dorothée Thébert-Filliger |
Nous avons ainsi droit à presque deux heures de conférence (et de texte) en plus de la danse, où Samantha van Wissen incarne l'ensemble de la distribution du ballet, à savoir bien sûr Giselle, sa mère Berthe, ses deux amoureux, Hilarion et Loys (qui est aussi Albrecht), le chatelain, le duc de Courlande et sa fille Bathilde, mais aussi Wilfried, l'écuyer d'Albrecht, un chasseur, sans oublier la reine des Willis, plus deux willis qui font un duo adorable et même - et là c'est le clou du spectacle - l'ensemble de la troupe des willis au grand complet, c'est-à-dire un ensemble de 32 danseuses en batterie qu'elle arrive à nous faire imaginer remplir la scène. Les willis, qui ont également donné le sous-titre au ballet Giselle sont des nymphes, en réalité des jeunes filles vierges mortes d'avoir trop dansé. Et Samantha nous conte ainsi cette passion de la danse, sur la scène et dans la vie, liée à l'amour, au point d'en être mortel.
Giselle- François Gremaud - Samantha van Wissen - Maillon - Photo: Dorothée Thébert-Filliger |
Grâce à cette époustouflante prestation nous pouvons comprendre ce dont parle le ballet (qui par définition est muet), d'en saisir l'histoire tout en ayant un regard historique sur la danse - Samantha van Wissen nous fait même une lecture comparée en présentant les interprétations à travers les siècles, de Carlotta Grisi à Natalia Makarova, ou, pour les personnages masculins de Petipa à Mikhail Baryshnikov ou Noureev. Le tout avec un enthousiasme, une énergie, une prestance sans faille et un humour bien pesé. Une prestation qui nous donne envie de voir (ou revoir) la vraie Giselle mais qui nous donne aussi envie de voir la suite (et le début) du triptyque de François Gremaud dans lequel s'insère cette pièce, à savoir Carmen (à venir...) et Phèdre! avec point point d'exclamation pousse à guetter le prochain passage de la pièce.
Giselle- François Gremaud - Samantha van Wissen - Maillon - Photo: Dorothée Thébert-Filliger |
Mais nous ne pouvons conclure sans parler de la musique et du formidable petit orchestre de chambre avec Anastasia Lindeberg au violon, Valerio Lisci à la harpe, Héléna Macherel à la flûte et Sara Zazo Romero au saxophone, puisqu'un ballet c'est aussi de la musique. Et donc c'est Luca Antignani qui a adapté cette musique d'orchestre que Théophile Gautier qualifiait de "supérieure à la musique ordinaire des ballets; elle abonde en motifs, en effets d'orchestre; elle contient même, attention touchante pour les amateurs de musique difficile, une fugue très bien conduite." Cette fugue, effectivement bien enlevée qui quelquefois est ôtée dans les représentations et qui permet à la danseuse soliste de reprendre son souffle. Et la formation de chambre à effectif réduit arrive à faire passer autant d'énergie dans la partition que la performeuse-danseuse dans sa prestation.
La Fleur du Dimanche
Au Maillon - Théâtre de Strasbourg, du 27 au 30 avril 2022
Conception et mise en scène : François Gremaud
Musique : Luca Antignani, d’après Adolphe Adam
Violon : Anastasia Lindeberg
Harpe : Valerio Lisci
Flute : Héléna Macherel
Saxophone : Sara Zazo Romero
Texte : François Gremaud, d’après Théophile Gautier et Jules-Henri Vernoy de Saint-Georges
Chorégraphie : Samantha van Wissen, d’après Jean Coralli et Jules Perrot
Assistanat : Wanda Bernasconi
Son, création : Bart Aga
Son, tournée : Raphaël Raccuia
Direction technique, lumière : Stéphane Gattoni - Zinzoline
Photographies : Dorothée Thébert-Filliger