Ce dernier l'avait commandée à l'auteur en 2016 lors de la lecture de "Histoire de violence", le deuxième roman d'Edouard Louis au TNS à Strasbourg. Et la voilà, après la création le 12 mars au Théâtre de la Colline, à Strasbourg, au TNS.
C'est un drame contemporain en cinq actes, un prologue et un épilogue, tragédie antique de notre époque, roman policier en un personnage et quelques allocutaires.
Dans la salle Koltès, gradinée pour l'occasion, pour donner un air d'amphithéâtre, de tribune au comédien, lorsque le rideau s'ouvre, la scène, sur le grand plateau, offre un tête à tête entre le fils et le père face à face à chaque bout de la table, table de cuisine familiale qui va permettre de déballer les sentiments, les rancoeurs, les reproches, les confessions, le linge sale et de faire le tri. Surtout d'essayer de reconstruire une mémoire heureuse, même si elle est écrasée par la violence inscrite dans l'histoire familiale, avec le grand-père ouvertement violent et le père dont la violence est sourde. Et il n'y a pas que la violence qui soit sourde, le père n'entend ni ne voit, ne veut pas voir son fils, ce qu'il est, ce qu'il devient.
Car dès le départ, le tutoiement du fils envers son père se perd et il se tourne vers le public: Le père n'écoute pas, ne regarde pas, les yeux oblitérés par ses doigts qui soutiennent sa tête lourde et pesante, le corps affalé, lourd de sa vie, de son travail, de sa souffrance, de ses maladies. Le personnage qui va raconter sa vie est venu chercher un signe de paix, d'amour, de réconciliation et l'on va assister dans un long flash-back de deux heures à la reconstruction de la vie du père.
Qui a tué mon Père - Edouard Louis - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Hernandez |
Acte 1: Adoration du père, le dieu silencieux
Le fils va donc revisiter les souvenirs de jeunesse et essayer de comprendre à la fois son père, et ce que lui est devenu et comment il l'est devenu. Le bonheur du père absent, les folies de celui-ci, ses hauts-faits et ses erreurs. Quelques scènes "fondatrices" vont ainsi émerger, comme le spectacle de danse où le fils pose son rapport au monde - en dehors ou contre son père - ou "l'explosion de Noël" où se révèle à lui sa conscience sociale. Cette scène est à ce propos très intéressante concernant la construction d'une morale - ou plutôt comme perversion de la morale - de la "culpabilité". Et l'on peut la mettre en parallèle avec l'épisode du téléphone trouvé où l'on ne peut être coupable par omission, ni surtout par l'avenir auquel on est destiné. Au fur et à mesure de ces souvenirs reconstruits et égrenés, le père va prendre forme et se matérialiser, devenir une figure plus sympathique, même si d'une part on ne le comprend pas et que lui, ostensiblement ne comprend pas son fils. Ce dont ce dernier grande un grande amertume.
Qui a tué mon Père - Edouard Louis - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Hernandez |
Acte 2: Meurtre rituel de la mère via le père.
Ce fils, un peu ovni dans cette famille pauvre, n'arrivant pas à s'inscrire dans la famille - on le comprend - ni dans la vie de cette petite ville que l'on imagine grâce aux images-photos entourant la scène, va dans un sursaut provoquer le meurtre symbolique du père par son frère en se vengeant de sa mère - C'est vraiment une tragédie antique qui se joue dans cette cuisine, qui a disparu derrière un mur de plastique noir ressemblant à des entrailles, des viscères, l'intérieur d'un ventre (maternel? Ou celui, paternel qui a "lâché"? ). La scène, hormis la violence brute du frère, révèle le rapport amour-haine envers la mère, traitresse mais en même temps protectrice et aimante, qui donne vie et amour mais peut tuer d'un mot, d'une expression, d'une simple constatation de la singularité de ce fils qui n'arrive pas à s'intégrer.
Qui a tué mon Père - Edouard Louis - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Hernandez |
Acte 3: Du passé faisons table rase.
L'acte 2 aura permis au fils de se retrouver du côté du père, souffrant pour lui et avec lui, partageant cette violence en héritage. En même temps le passé aura été recouvert d'un linceul, les mauvais souvenirs ensevelis, un bilan et le ménage fait, une certaine distance propice aux réconciliations remet les choses et les relations dans une bonne perspective.
Acte 4: La prière du zouave Louis.
Pour cet acte, changement de ton, nous rentrons dans un registre de tendresse, de confidence, de miséricorde. Le fils devient aimable, gentil, cherche à faire son enfant prodigue. On sent une humanité et un appel à l'amour, un besoin de réconciliation, en besoin d'unité avec le père. Dans un registre presque chuchoté, de tendres paroles appellent à la paix.
Qui a tué mon Père - Edouard Louis - Stanislas Nordey - Photo: Jean-Louis Hernandez |
Acte 5: Vocatif aux assassins
Pour ce dernier acte, le changement est brutal, nous pensions assiter à une réconciliation finale, mais non, coup de théâtre, l'assassin du père n'était pas seul, il a agi en groupe, et pire en groupe politique! Ce n'est pas le fils, ni le grand frère, ni l'usine, ni la vie dure de la province qui a achevé, mené à bout, le père, non... Les assassins courent toujours, on ne les accuse même pas, ni pour leurs actes, ni pour leurs fausses promesses. Dans un plaidoyer violent, le fils interpelle, avec preuves à l'appui ceux qui ont tenté de tuer son père en lui ôtant les moyens de vivre dignement, d'empêcher sa dégradation, la perte de ses moyens, les remèdes pour se soigner: les médicaments déremboursés, l'obligation de travailler alors qu'on favorise le licenciement, la réduction des aides familiales et pour les logements, la honte de sa situation et de la fainéantise. Et le fils interpelle, apostrophe, crie au ciel les noms des assassins, "Chirac, Sarkosy, Bertrand, Hollande, El Khomri, Vals, Macron" qui promettent et en même temps qu'ils assassinent violemment ou à petit feu les pauvres, les sans-moyens, le peuple. Ce peuple qui trouve normal ce qui lui arrive, comme en témoigne Edouard Louis dans le livret du spectacle en citant son beau-frère.
On sort du spectacle un peu sonné, bousculé, ne sachant pas trop s'il faut saluer la performance de l'acteur Stanislas Nordey qui a bien réussi ce que sa collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau notait comme mission "Pour "Qui a tué mon père", l'abandon, le lâcher-prise était un de mes objectifs dans l'accompagnement de Stanislas-acteur" ou la liberté de l'auteur Edouard Louis de prendre la scène comme tribune politique au sens historique du terme. Et là on se demande ce que nous allons faire après... La question reste ouverte.
La Fleur du Dimanche
QUI A TUÉ MON PÈRE
Jusqu'au 15 mai au TNS
Béthune du 9 au 11 octobre 2019 à la Comédie de Béthune
Orléans le 22 janvier 2020 au CDN d'Orléans
Lausanne (Suisse) du 25 au 28 janvier 2020 au Théâtre Vidy – Lausanne
La Roche-sur-Yon les 5 et 6 mai 2020 au Grand R – Scène nationale de la Roche-sur-Yon
Villefranche-sur-Saône le 13 mai 2020 au Théâtre de Villefranche
PRODUCTION
Texte Édouard Louis
Mise en scène Stanislas Nordey
Collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau
Assistanat à la mise en scène Stéphanie Cosserat
Avec Stanislas Nordey (distribution en cours)
Lumière Stéphanie Daniel
Scénographie Emmanuel Clolus
Composition musicale Olivier Mellano
Création sonore Grégoire Leymarie
Clarinettes Jon Handelsman
Sculptures Anne Leray et Marie-Cécile Kolly
Production Théâtre National de Strasbourg
Corpoduction La Colline – théâtre national (en cours)
Création le 12 mars 2019 à La Colline – théâtre national
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS.
D’après le livre Qui a tué mon père d’Edouard Louis.
Le texte est publié aux éditions du Seuil. Tous droits réservés.
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