Cette passion, qui bien sûr se réfère à bien d'autres "Passions" antérieures s'inscrit surtout dans notre monde contemporain en se souvenant de la Shoah et en inscrivant la réflexion de manière plus large sur la confrontation des religions.
Le fait que la pièce ait été commandée par l'association de Suisse Romande "Musique pour un temps Présent" à l'occasion du Jubilé de la Réforme pour des premières représentations lors des fêtes de pascales en avril 2017, permet aussi d'interroger la position de Luther envers le Juifs et de remettre quelques idées en perspective.
Michaël Levinas dans son oeuvre va ainsi créer un triptyque où, pour commencer, il invite les prières juives: le Kaddish (Hatzi Kadddish) et la version pour les morts de la Shoah de El Male Raharim, magnifiquement interprétées en hébreux par les solistes Guilhem Terrail (contre-ténor) et Matthieu Dubroca (baryton).
Musica 2017 - La Passion selon Marc - Micaël Levinas - Marion Grange - Photo: lfdd |
La deuxième partie reprend le texte en ancien français de l'évangile selon Marc consacré à la passion de Jésus. L'on y retrouve les deux solistes dans les rôles respectivement de Jésus et de l'évangéliste, ainsi que Marie-Madeleine (Marion Grange, soprano) - et la mère de Jésus (Raquel Camarinha, soprano), avec quelques solistes du choeur de l'Ensemble Vocal de Lausanne - magnifique ensemble: Marie Hamard (la servante), Simon Savoy (Pierre) et Pierre Arpin (Judas et l'évêque).
Ce récit chanté dans différentes langues (Français ancien, araméen, hébreux, araméen,..) va nous plonger dans une atmosphère variée qui nous fait passer d'ambiances polyphoniques à des choeurs antiques, des cris et brouhahas de marchés moyenâgeux et des moment de grande densité quand les solistes chantent dans le silence de l'orchestre. Ce dernier, l'Orchestre de Chambre de Lausanne, dirigé par Marc Kissoczy interprète avec finesse et puissance la délicate partition de Lévinas, faite de passages et de rappels d'un épisode à l'autre, en alternant entre théâtralité, liturgie et poésie.
La poésie, justement est ce qui conclut l'oratorio, avec deux poèmes de Paul Celan, "Die Schleusse - L'écluse" et "Espenbaum - Tremble" qui réactivent le deuil et la désespérance et font écho au Kaddhish et au Yiskor:
Die Schleusse (L'écluse)
An die Vielgötterei
verlor ich ein Wort,
das mich suchte:
Kaddish
...
Auprès
de mille idoles
j'ai perdu un mot qui me cherchait:
Kaddish
...
Espenbaum (Tremble)
ESPENBAUM, dein Laub blikt weiss ins Dunkel
Meine Mutter Haar ward nimmer weiss
...
Temble, ton feuillage cligne blanc dans la ténèbre
Ma mère jamais n'eut les cheveux blancs.
...
Il faut relever la magnifique prestation de la soprano Marion Grange pour ces poèmes de Celan en Allemand que pour cette interprétation émouvante et habitée. A la question de Michel Levinas qui se demande "Peut-on composer de la musique sans pleurer et sans trembler après la Shoah?" nous pouvons répondre de notre côté: "Peut-on écouter cette musique sans trembler ?" - La réponse est évidente...
Nous sortons de ce concert remués et transformés.
Musica 2017 - La Passion selon Marc - Michaël Levinas - Marc Kissoczy - Raquel Camarinha - Photo: lfdd |
La Fleur du Dimanche
Prochain concert:
Kein Licht - Opéra de Philippe Manoury à l'Opéra National du Rhin à Strasbourg.
Vendredi 22 septembre 20h00
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